Protection animale
ANALYSE MIXTE
Auteur(s) : Par Marine Neveux
Le 1er juin dernier, lors de son assemblée générale dans les locaux de l'Assemblée nationale, l'Oeuvre d'assistance aux bêtes d’abattoirs a mis l'accent sur les 60 ans de la parution du décret de 1964.
« À l'époque, il n'existait pas de matériel adapté à l'abattage des veaux, porcs, chèvres, qui étaient alors égorgés à vif », explique Frédéric Freund, directeur de l'Œuvre d'assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA). Cela a été un des premiers combats de Jacqueline Gilardoni, fondatrice de l'association. Cette dernière avait pris contact avec des associations de protection animale étrangères, dont l'Angleterre, qui à l'époque disposait de pistolets d'abattage. Elle a alors fait entrer ce dispositif en France, « avec l'objectif d'avoir un outil d'insensibilisation et une loi pour l'obligation de l'utiliser ». Une pétition dans ce sens avait recueilli en 1961 plus de cent cinquante mille signatures grâce à la diffusion du vétérinaire Fernand Méry. Jacqueline Gilardoni a ainsi obtenu le décret le 16 avril 1964 dit « d'abattage humanitaire » imposant l'étourdissement des animaux. Dix ans plus tard, il était repris dans la réglementation européenne avec la directive du 18 novembre 1974. « Une belle victoire à l'époque » estime Manuel Mersch, vétérinaire et président de l'OABA, « mais nous attendons toujours des progrès aujourd'hui ». « Alors que depuis plusieurs années, l’animal d’élevage est reconnu comme un être doué de sensibilité, l’abattage en pleine conscience, toujours pratiqué sur des millions d’animaux, ne devrait-il pas être interdit ?, poursuit le président de l’OABA. Un récent arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme démontre que cela est juridiquement possible. De nombreuses études scientifiques attestent qu’une telle interdiction serait parfaitement justifiée. Il ne manque donc que la décision politique… »
Troubles réalités de terrain
Alain Grépinet, expert honoraire près la cour d’appel de Montpellier, ancien inspecteur vétérinaire en abattoirs, membre du conseil d’administration de La Fondation droit animal, éthique et sciences, ancien chargé de cours à l’ENVT, a apporté un riche témoignage : « Le fil rouge de toute ma vie professionnelle a été le respect de la vie », explique-t-il. Mon expérience à l’abattoir d’Annemasse m’a appris les progrès réalisés, mais aussi les difficultés de passer d’un texte de loi à son application ». Il souligne aussi « l’aberration, l’absurdité, l’incohérence des abattages dits rituels qui existent encore aujourd’hui. Sujet sur lequel il est très difficile d’avancer. »
Alice Di Concetto, avocate, fondatrice de l'Iinstitut européen* pour le droit de l'animal, a apporté un regard juridique sur l'abattage rituel en droit de l'Union Européenne.
Frédéric Freund déplore l'opacité persistante sur le nombre d’animaux abattus sans étourdissement. « Question épineuse, juridique, politique mais aussi économique », il note que « les Allemands savent contrôler le volume d’abattage, pourquoi les Français ne sauraient pas le faire ? ». Au printemps 2023, l’OABA a sollicité les ministères de l’Intérieur et de l’Agriculture ainsi que les préfectures pour connaître le bilan des contrôles effectués dans les abattoirs. Elle a saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) durant l’été pour obtenir son avis sur la communication des statistiques. « Par avis du 23 novembre 2023, la Cada a modifié sa jurisprudence et a donné raison à l’OABA en reconnaissant le caractère communicable des commandes commerciales des abattoirs titulaires d’une dérogation à l’obligation d’étourdissement. Pour autant, cette communicabilité n’est possible que si les administrations détiennent les documents sollicités et l’avis de la Cada n’oblige en rien les administrations à solliciter des abattoirs concernés les documents nécessaires pour répondre à notre demande. » Et de constater que les Préfectures « se sont bien évidemment engouffrés dans la brèche ». Alors, un nouveau contentieux est en cours de préparation devant les juridictions administratives.
Concertation avec les filières
L’OABA poursuit les réunions de concertation avec les filières, avec en face des réticences, mais aussi des avancées. Ainsi, les travaux sur l’Étiquette bien-être animal se poursuivent. Un référentiel pour les œufs de poules est une préoccupation. « La fin de vie des poules (abattage des poules de réforme) étant une étape quasi systématiquement délaissée par les acteurs de la filière, cette dernière a nécessité un grand nombre d’échanges pour enclencher une démarche d’amélioration des pratiques d’abattage. » Un travail de vulgarisation du référentiel technique comportant 235 critères de l’étiquette « poulet de chair » a permis la diffusion d’une plaquette explicative.
Informer et former
L’OABA est aussi très engagée dans la formation, dont celle des magistrats et des forces de l’ordre. Elle a rencontré plusieurs fois la Division de lutte contre la maltraitance animale créée et développée en 2023 au sein de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique de la Gendarmerie nationale. « Un partenariat s’est noué afin que les forces de l’ordre puissent bénéficier d’une ONG référente sur les maltraitances subies par les animaux d’élevage ».
Une nouvelle convention financière
Chaque année, l’association est confrontée à l’accueil d’un nombre croissant d’animaux de ferme maltraités ou abandonnés, et saisis par les services de l’État qui les lui confie. Début 2024, le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire a signé une convention financière avec l’OABA, allouant 200 000 € pour la prise en charge d’animaux abandonnés.
Les vétérinaires de l’OABA
Le conseil d’administration de l’OABA est composé de dix membres, dont cinq vétérinaires. Notre consœur Audrey Groensteen anime le service communication. Le pôle abattoir est désormais coordonné par Estelle Mollaret, vétérinaire, aidée bénévolement par une consœur Marylène Nau, ancienne inspectrice vétérinaire en abattoirs. Elles utilisent les grilles d’audit « protection animale en abattoirs », développé par le vétérinaire Michel Courat.
À retenir
troupeaudubonheur.fr : ce site permet de parrainer les animaux. Le troupeau du bonheur, qui offre un refuge aux animaux de ferme maltraités, permet de parrainer les animaux recueillis.
Cooptation de deux membres lors de l'AG :
– Alain Boissy, directeur de recherche à l’Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement, qui travaille sur le projet d’inclure le bien-être animal dans la durabilité du système d’élevage.
– Jérome Dié, magistrat honoraire.