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ANALYSE MIXTE
Auteur(s) : Pierre Bessière
Face à la restriction réglementaire d’usage des antibiotiques, des recherches sont en cours à l’École nationale vétérinaire de Toulouse afin d’optimiser l’efficacité des molécules pouvant être utilisées. Elles ont fait l’objet d’une présentation lors de la dernière journée d’animation scientifique organisée par l’École.
Ces dernières années, l’arsenal thérapeutique s’est nettement réduit en antibiothérapie vétérinaire. En effet, en 2016, la France publiait un arrêté1 définissant une liste d’antibiotiques à usage interdit en médecine vétérinaire. Suivi en 2022 par un règlement européen2 allant dans le même sens. Le but ? Protéger la santé publique, en limitant l’usage de molécules considérées comme indispensables en médecine humaine. Dans ce contexte, quelles sont les perspectives d’usage des antibiotiques en élevage ? Cette question a été posée à l’occasion de la journée d’animation scientifique organisée par l’École nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT), le 4 avril dernier, sur la thématique de l’élevage de demain3. Comme l’a expliqué Aude Ferran, enseignante-chercheuse en physiologie et thérapeutique à l’ENVT, il est probable que ces restrictions se fassent plus fortes à moyen terme, avec de nouvelles limitations, voire interdictions d’utilisation. En attendant, actuellement, l’Agence européenne des médicaments (EMA) a défini quatre catégories d’antibiotiques, allant de A (molécules à éviter) à D (molécules à favoriser). En regardant de plus près, il apparaît que la catégorie D contient principalement des molécules dont les autorisations de mise sur le marché (AMM) datent des années 1990, comme l’amoxicilline ou les sulfamides. « Les antibiotiques du futur en médecine vétérinaire sont en réalité de vieux antibiotiques », a souligné la conférencière. Or, obtenir une AMM est aujourd’hui bien plus difficile qu’il y a des dizaines d’années : les études réalisées sur les antibiotiques de la catégorie D ne sont ainsi pas nécessairement exhaustives et précises, ce qui laisse une grande marge de manœuvre pour optimiser leur efficacité. D’où les travaux de recherche menés par Aude Ferran : maintenir ou améliorer l’efficacité d’une antibiothérapie, tout en limitant les effets indésirables et la sélection de bactéries résistantes.
Des limites pour les antibiotiques administrés par l’eau de boisson
Chez les animaux de production, de nombreux traitements sont administrables par voie orale, en mélangeant l’antibiotique à l’eau de boisson. Pourtant, les recherches menées à l’ENVT montrent qu’en respectant les résumés des caractéristiques du produit (RCP), les concentrations plasmatiques en antibiotique chez les animaux traités sont parfois insuffisantes pour être efficaces – voire au contraire, contre-productives. D’un côté, le vétérinaire a peu de contrôle sur la quantité d’eau ingérée par les animaux, car les plus malades sont souvent ceux qui boivent le moins (cette différence est encore plus marquée pour l’ingestion de nourriture, ce qui fait que l’utilisation d’aliments médicamenteux est sur le déclin). Et de l’autre, la solubilité des antibiotiques varie selon la qualité de l’eau : « en fonction du pH et de la dureté de l’eau, la solubilité d’une molécule peut fortement varier ».
Aude Ferran a pris l’exemple de deux molécules administrables via l’eau de boisson, l’amoxicilline et la doxycycline, en s’intéressant à deux paramètres : les concentrations réelles dans les abreuvoirs et les concentrations plasmatiques chez les animaux. Ainsi, et malgré le respect scrupuleux des RCP, respectivement 3 à 11 % et 40 à 70 % des concentrations attendues en amoxicilline et en doxycycline étaient retrouvés dans les prélèvements d’eau réalisés dans les abreuvoirs. La précipitation des molécules ou leur altération du fait d’une qualité de l’eau inadaptée peuvent expliquer ces différences. Ainsi, sans surprise, les concentrations plasmatiques en antibiotiques étaient nettement en deçà des concentrations minimales inhibitrices (CMI) de Pasteurella multocida, avec une forte variabilité interindividuelle en lien avec la consommation d’eau de boisson (certains animaux buvant peu, d’autres uniquement le matin, etc.). Le traitement était donc inefficace et risquait de sélectionner des bactéries résistantes à ces molécules.
Des évolutions à venir pour les RCP
Mais alors, comment améliorer les posologies ? Pour Aude Ferran, il est difficile de se reposer sur les industriels car ils n’investiront pas d’argent pour des molécules n’étant plus sous brevet. En 2017, l’Agence nationale sécurité sanitaire alimentaire nationale (Anses) a publié un rapport4 (largement repris en 2021 par l’Agence européenne des médicaments, l'EMA), donnant des pistes pour optimiser les doses à moindre coût, à partir des données déjà existantes. S’inspirant de ce rapport, l’équipe d’Aude Ferran a mis au point des modèles mathématiques prenant en compte les variabilités observées en élevage : la concentration en principe actif dans l’eau, mais aussi le comportement des animaux. Ainsi, elle a pu proposer une alternative plus efficace au schéma posologique classique de la doxycycline donnée dans l’eau de boisson dans les élevages d’agneaux en engraissement : 25 mg/kg/12 h sur 2 jours, au lieu de 10 mg/kg/jour sur 5 jours. En traitant plus fort, mais moins longtemps et sans pour autant modifier la dose globale reçue, les concentrations plasmatiques sont fortement augmentées. L’Europe s’apprête à publier une liste d’antibiotiques pour lesquels réaliser ce genre d’étude est prioritaire.
« Améliorer la gestion de l’élevage pour prévenir les maladies est une priorité majeure, mais nous aurons toujours besoin d’antibiotiques, donc il faut les utiliser le mieux possible », a conclu Aude Ferran.