La démarche RSE dans les cliniques vétérinaires - La Semaine Vétérinaire n° 2040 du 28/06/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2040 du 28/06/2024

Enquête

DOSSIER

Auteur(s) : Par Rémy Garcin

La Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) est une notion fréquemment évoquée dans le débat public vis-à-vis des entreprises. Historiquement, la question de la responsabilité des entreprises a été posée aux grandes entreprises de secteurs d’activité questionnables sur le plan environnemental (cas des industries pétrolières comme Exxon) ou social. Aujourd’hui, de plus en plus d’entreprises de taille et de secteurs d’activité variés s’intéressent à la RSE. Dans ce contexte, notre travail de thèse d'exercice vétérinaire* s’est intéressé aux modalités d’appropriation de la RSE par les structures de soin vétérinaire et aux pratiques découlant de cette responsabilité sociétale.


 

Qu'entendons-nous par responsabilité sociétale des entreprises (RSE) ? Cette notion, apparue au milieu du XIXe, siècle est toujours débattue. Aujourd’hui, il est communément admis que la RSE correspond à l’intégration volontaire des préoccupations sociales et environnementales dans leurs activités et dans le lien avec leurs parties prenantes.
Les parties prenantes sont les personnes (ou groupes de personnes) concernées par les activités de l’entreprise. Il s’agit, par exemple, des salariés et des actionnaires (parties prenantes internes) ou des fournisseurs et des clients (parties prenantes externes). La concertation des parties prenantes principales aboutit à des programmes socialement responsables pour l’entreprise visant, par exemple, à lutter contre les discriminations liées au sexe, à l’âge ou aux handicaps dans le recrutement.
De nos jours, les grandes entreprises cotées en Bourses sont obligées par la réglementation de réaliser un rapport extra-financier lié à ses programmes socialement responsables. Des mécanismes de marché poussent à étendre cette notion de responsabilité aux plus petites entreprises sous-traitantes.

La RSE encore à ses prémices dans le secteur vétérinaire

Dans le secteur vétérinaire, on retrouve, au moment de notre étude, une pratique naissante des rapports de responsabilité sociétale chez certains groupes consolidés. Ces rapports reprennent les outils et lignes directrices adoptés par les grands groupes internationaux. Aucune étude ne s’est encore intéressée aux responsabilités sociétales des entreprises de soin vétérinaires françaises ni aux pratiques qui en découlent. Ceci nous a amenés à nous interroger sur l’intégration des aspects sociaux et environnementaux dans l’activité des entreprises de soin vétérinaires et dans les liens avec leurs parties prenantes.

Nous avons donc réalisé une enquête en deux parties, composée d’un questionnaire, relayé par L'annuaire Roy (Le Point Vétérinaire, 1Health), et d’une série d’entretiens effectués au sein d’une clinique vétérinaire. Ces deux approches ont permis une évaluation globale mais superficielle de la maturité de la RSE dans les entreprises vétérinaires françaises pour le questionnaire. Les entretiens ont été l’occasion d'entrer plus en détail dans la responsabilité sociétale d’une clinique en particulier.
Le questionnaire comprenait trente-huit questions réparties en six thématiques. La première concernait les connaissances générales, les freins, les moteurs et les avantages des pratiques de RSE. La deuxième relevait des relations humaines et de la qualité de vie au travail. La troisième portait sur le volet sociétal (liens entre la clinique et la vie publique locale), la quatrième sur le volet environnemental. La gouvernance de la clinique était abordée dans la cinquième. Enfin, la sixième avait pour but de récolter des informations générales sur la structure vétérinaire.
Les réponses obtenues ont été regroupées en cinq thématiques correspondant à celles d’études précédentes réalisées dans d’autres secteurs d’activité. Ce sont ces mêmes thématiques qui sont évaluées lors d’audits RSE (figure 1).
En complément de ce questionnaire, les entretiens ont permis d’observer les thématiques abordées spontanément au sein d’une clinique vétérinaire en lien avec sa responsabilité sociétale.
Ils se sont déroulés auprès de l’ensemble des salariés, associés et collaborateurs libéraux de la clinique vétérinaire de Monestoy, située à Épinac (71), dans une zone à régime restrictif (ZRR), avec une activité mixte canine, rurale, équine. Lors de notre enquête, l’effectif se composait de cinq associés, cinq collaborateurs libéraux, sept ASV et deux secrétaires administratives. Notre choix s’est porté sur cette structure car elle présentait une diversité de clientèle et la formalisation d’une structuration de sa RSE dans sa stratégie. L’objectif des entretiens était d’évaluer l’intégration des responsabilités sociétales et des pratiques en lien, perçues par les parties prenantes internes de l’entreprise.
Un guide d’entretien, élaboré en amont, permettait de diriger la discussion vers les thématiques de la RSE. Ces entretiens ont été enregistrés puis nous avons défini a posteriori les sous-thématiques abordées spontanément par les personnes interviewées. Enfin, ces thématiques ont été illustrées par les citations issues des enregistrements. Nous avons ainsi obtenu vingt sous-thématiques réparties en quatre thématiques ainsi qu’une thématique globale sur l’intégration de la RSE dans la stratégie de l’entreprise (figure 2).

Des résultats encourageants

Au bilan de notre étude, 271 réponses ont été obtenues après traitement et 19 entretiens individuels ont été menés dans la même structure. En s’intéressant au profil des répondants, nous retrouvons des structures de formes et d’activités variées (figures 3 et 4). Ces structures se sont réparties à parts égales en zone rurale, périurbaine et urbaine. Leurs effectifs étaient très variables, allant d’un vétérinaire isolé à de grosses entreprises de 170 personnes. La structure médiane étant représentée par deux associés, trois vétérinaires salariés ou collaborateurs et quatre ASV.

Le questionnaire réalisé nous a permis de constater que les entreprises de soins vétérinaires sont globalement peu familières avec le concept de RSE. Ainsi, 95 % des répondants déclarent en avoir aucune connaissance, voire de faibles. Malgré cela, les entreprises vétérinaires réalisent majoritairement des actions ponctuelles en lien avec la protection de l’environnement, participent à la vie publique locale ou portent une attention particulière aux paramètres sociaux de leur entreprise. Des actions sont donc menées sur les thématiques abordées par la RSE, sans réelle stratégie de la part des dirigeants pour presque trois quarts des questionnés. Ces actions sont principalement motivées par les valeurs personnelles des dirigeants plutôt que par d’éventuels mécanismes de marché. D’ailleurs, elles sont très rarement mises en avant auprès des clients ou des membres de l’équipe. En reprenant les différents domaines sociaux, environnementaux et sociétaux couverts par la RSE, l’étude réalisée nous a permis de faire le constat suivant.

Volet environnemental La consommation énergétique des bâtiments et la gestion des déchets sont les principales préoccupations des structures questionnées et ces sujets sont prédominants dans les entretiens. Concernant les déchets, un dilemme est observé chez les personnes interrogées entre l’exigence hygiénique de l’activité de soin et la génération d’une quantité importante déchets liée à l’emploi de matériel à usage unique. Ainsi, on observe qu’en plus du tri réalisé par une grande majorité des structures, une moitié des interrogés déclare avoir adapté sa méthode de travail pour limiter la génération de déchets et qu’un quart réemploie du matériel à usage unique. Malgré un questionnement des cliniques sur la quantité de déchets générée par les activités de soin, certains freins liés au recyclage des déchets hospitaliers par les collectivités territoriales ou aux emballages des fournisseurs et distributeurs sont évoqués lors des entretiens, hors des capacités d’action de l’entreprise. Dans le cadre d’une stratégie socialement responsable, il semble donc que les déchets représentent un enjeu important et qu’une concertation avec les salariés, les fournisseurs, les distributeurs et les collectivités territoriales soit nécessaire.

Si la gestion des déchets et la consommation des bâtiments préoccupent la majorité des structures, certains sujets relatifs à l’empreinte environnementale des entreprises sont plutôt peu abordés par la majorité des structures, comme la mobilité du personnel et des clients pour les visites dans les activités ambulantes et les déplacements domicile-structure.

Enfin, en se basant sur les études menées en santé humaine, l’impact environnemental de la production et de l’approvisionnement en médicaments représente probablement une lourde part dans le bilan carbone des structures vétérinaires. Néanmoins, un manque de données ne permet pas d’évaluer précisément le coût environnemental du médicament vétérinaire. De plus, il est évident que certaines molécules écotoxiques de nos prescriptions sont rejetées dans l’environnement. Outre les aspects environnementaux, la prescription comprend une dimension économique importante pour la clinique et s’adapte selon l’atteinte de l’animal, les moyens financiers du client et d’autres aspects. Ce sujet touche donc aux aspects sociaux, économiques et environnementaux observés dans la RSE. De plus, plusieurs acteurs sont concernés par ce sujet, comme les laboratoires, les groupements d’achats, les cliniciens et les clients. La notion de « juste prescription » semble donc être un enjeu important pour les structures vétérinaires et doit être réfléchi collectivement puis expliqué aux différentes parties prenantes, dans le cadre d’une stratégie socialement responsable.

La rémunération est aussi un sujet clé de la gestion des ressources humaines et de la satisfaction des salariés et des collaborateurs, néanmoins peu abordé spontanément par les personnes interrogées. Selon les réponses, les écarts de rémunération horaire sont relativement faibles au sein des structures, avec en moyenne une différence de 150 % entre les salaires les plus bas et les plus élevés de la structure. 

Par ailleurs, d’autres sujets semblent moins concerner les structures vétérinaires comme la diversité ethnique et sociale, plutôt faible pour la majorité des entreprises interrogées. Au sein des vétérinaires, ce constat est cohérent avec une faible diversité d’origine sociale constatée au sein des écoles vétérinaires.

Volet sociétal Plus largement, l’implication des entreprises vétérinaires est relativement faible. Les actions réalisées sont rares et majoritairement en lien avec l’activité de soin aux animaux. On note le plus souvent des missions de gestion des animaux errants avec les organismes de protection animale et les mairies. On constate également une implication dans la représentation et dans la formation aux métiers de soin aux animaux avec un accueil de stagiaires à plusieurs étapes de leur scolarité (collège, école vétérinaire, école d’ASV).

Quelles attentes, quels freins, quel avenir ?

Si la RSE est une occasion claire de réunir les membres de l’équipe autour d’un projet fédérateur, les structures considèrent, dans une moindre mesure, que la définition d’une stratégie RSE pourrait être un léger avantage concurrentiel auprès de la clientèle et un atout dans le recrutement. Néanmoins, la généralisation de la RSE dans les structures vétérinaires se voit freinée par le manque de temps disponible par les équipes pour se consacrer à l’établissement et au suivi d’une politique socialement responsable. De plus, le coût des actions à réaliser en lien avec ces politiques et le manque de méthodes pour se saisir des responsabilités sociétales de sa structure vétérinaire sont aussi des freins importants pour plus de la moitié des questionnés.

Les entreprises vétérinaires semblent donc réaliser, sans formalisation, des actions socialement responsables. Le développement de telles politiques au sein des grands groupes vétérinaires, la quête de sens, les attentes des nouvelles générations de praticiens et l’intérêt croissant pour le management au sein des cliniques devraient inciter les entreprises vétérinaires à se saisir de leur impact et de leur responsabilité envers la société et l’environnement.

  • * « La responsabilité sociétale des entreprises de soins vétérinaires : pratiques et modalités d'appropriation », Rémy Garcin, 2023. Université Claude Bernard Lyon 1. Thèse d'exercice vétérinaire, 150 p.