Nouvelle classification des entéropathies inflammatoires chroniques chez le chien - La Semaine Vétérinaire n° 2040 du 28/06/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2040 du 28/06/2024

Gastro-entérologie

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Noémie Dupouy-Manescau1, Juan Hernandez21. DMV, assistant hospitalier2. DMV, PhD, Dipl. ECVIM-CA et ACVIMOniris VetAgroBio Nantes, Service de Médecine interne, 101, route de Gachet, 44300 Nantes (Loire-Atlantique)

Cette nouvelle classification remet en question l’utilisation des antibiotiques, avec des conséquences pratiques pour le clinicien. Les changements alimentaires restent la pierre angulaire du diagnostic et du traitement des troubles digestifs chroniques chez le chien.

Les entéropathies inflammatoires chroniques (EIC) du chien sont responsables de signes cliniques tels que des vomissements, de la diarrhée, de l’hyporexie, des nausées, des borborygmes, de la douleur abdominale et/ou une perte de poids, évoluant depuis au moins trois semaines. Leur classification repose depuis une dizaine d’années sur la réponse clinique observée après essai thérapeutique et sépare les EIC en quatre grandes catégories. Un groupe additionnel, nommé « entéropathies avec perte de protéines » regroupe toutes les EIC suffisamment sévères pour induire une hypoalbuminémie. Depuis la publication de cette classification en 2016, les connaissances n’ont cessé d’évoluer et des limites importantes sont apparues conduisant à une mise à jour (voir figure) récemment publiée dans le journal Animals*. Il est ainsi proposé de remplacer la catégorie des entéropathies répondant aux antibiotiques par celle des entéropathies répondant à la modulation du microbiote.

Les antibiotiques dans le viseur

Un des premiers éléments motivant cette nouvelle classification est lié aux effets néfastes du métronidazole. En effet, des preuves s’accumulent sur des effets délétères des antibiotiques sur le microbiote intestinal. Les modifications de la richesse, de la diversité et de l’abondance de certains genres bactériens sont durables après l’administration de métronidazole, et pourraient expliquer les rechutes cliniques fréquentes après interruption du traitement. De plus, une étude a identifié le chien comme réservoir possible de souches de Clostridium perfringens résistantes au métronidazole, suscitant une inquiétude croissante. En pratique, ces nouvelles données avaient déjà motivé à arrêter l’usage des antibiotiques dans les entéropathies, au profit de solutions thérapeutiques visant à restaurer un microbiote fonctionnel.

Un intérêt croissant pour le microbiote intestinal

Cette nouvelle approche clinique est d’autant plus validée que le rôle du microbiote intestinal dans la santé est désormais bien établi chez l’homme et l’animal. Pour la plupart des chiens souffrant d’EIC, la diversité et la richesse du microbiote sont diminuées, avec notamment une surreprésentation des bactéries appartenant aux phyla Pseudomonadota et Actinomycetota, et une moindre abondance des phyla Bacteroidota, Bacillota et Fuseobacteria. Cette dysbiose entraîne l’altération des voies métaboliques portées par les bactéries comme la synthèse des indoles et des acides gras à chaîne courte, la diminution de la biotransformation des acides biliaires et l’augmentation de l’activité protéolytique. Ces perturbations fonctionnelles contribuent de fait à l’initiation et à l’entretien du processus inflammatoire. Dans ce contexte, une équipe de l’Université vétérinaire du Texas a développé un indice de dysbiose reposant sur l’évaluation de huit groupes bactériens (Blautia, Peptacetobacter hiranonis, Escherichia coli, Faecalibacterium, Fusobacterium, Streptococcus, Turicibacter et bactéries totales). Cet indice permet de détecter les chiens présentant une dysbiose intestinale et de suivre le retour à l’eubiose. Plusieurs stratégies ont été explorées pour y parvenir – avec des résultats prometteurs – comprenant les changements alimentaires, l’utilisation de prébiotiques, de probiotiques, de symbiotiques, de postbiotiques, de séquestrants d’acides biliaires et la transplantation de microbiote fécal.

Nouvelles catégorisation et répartition

Dans la nouvelle classification, la nouvelle catégorie englobe toutes les méthodes de modulation du microbiote intestinal. Cette dernière se recoupe partiellement avec les entéropathies répondant au changement alimentaire, car ce dernier peut entraîner une amélioration clinique pour de multiples raisons dont celles attribuables à la modulation du microbiote. Le poids de chaque catégorie est également révisé, avec notamment la catégorie des entéropathies répondant au changement alimentaire (ERCA) qui est revu à la hausse. Il est probable que sa proportion était sous-estimée : en effet, les études rapportent qu’une partie des entéropathies réfractaires sont en réalité des ERCA renforçant l’idée que les essais alimentaires restent la pierre angulaire du diagnostic et du traitement des troubles digestifs chroniques chez le chien. D’autre part, la dysbiose contribuant de manière importante à l'inflammation intestinale, et l’alimentation étant le moyen le plus efficace de modulation du microbiote, il est probable qu’une partie des effets bénéfiques du changement alimentaire soient dus au rééquilibrage du microbiote. Enfin, une proportion des entéropathies avec pertes de protéines répond à des changements alimentaires sans autre modalité de traitement et intègre donc de fait la catégorie des ERCA.

Au final, les entéropathies répondant aux immunosuppresseurs et les réfractaires semblent désormais constituer une minorité. Les stratégies de modulation du microbiote pourraient également apparaître comme des options bénéfiques pouvant encore conduire à une réduction de la proportion de chiens redevables d’une immunodépression ou décrétés réfractaires.

Des conséquences cliniques

Cette nouvelle classification doit amener à réviser sa démarche diagnostique et thérapeutique face à un chien présenté pour des signes d’atteinte digestive depuis plus de trois semaines.

Les entéropathies répondant à la modulation du microbiote pourraient englober une partie importante des entéropathies inflammatoires chroniques en se concentrant sur la prise en charge de l’élément pathogène clé qu’est la dysbiose intestinale. Toutefois, la meilleure façon de rééquilibrer le microbiote reste à clarifier, et les recherches futures devraient viser à tester leur capacité à restaurer un microbiote fonctionnel. Par ailleurs, il n’existe pas de critère diagnostique fiable pour la catégorie des entéropathies répondant aux immunosuppresseurs. La pertinence clinique de l’indice de dysbiose pour suivre l’efficacité du traitement n’a pas été démontrée, mais l’outil reste intéressant pour surveiller les animaux souffrant de dysbiose intestinale. L'association d'une hypocobalaminémie, d'une hyperfolatémie et d'une immunoréactivité sérique normale de type trypsine, bien que très peu sensible, doit nous faire suspecter une dysbiose intestinale (consommation accrue de vitamine B12 et production accrue de folates par le microbiote dévié). L'hypocobalaminémie reste une observation peu spécifique puisqu'elle peut survenir en cas d'insuffisance pancréatique exocrine, de malabsorption iléale ou de syndrome d'Imerslund-Gräsbeck.