DOSSIER
Auteur(s) : Par Sarah André
Les praticiens sont dans les starting-blocks pour les JOP, qui s’ouvrent dans quelques jours à Paris. Une organisation millimétrée est en place. Deux tables rondes réunissant des experts abordent les différentes facettes de la préparation des chevaux athlètes, ainsi que les spécificités des Jeux sur les terres versaillaises. Visite des coulisses où les vétérinaires agissent comme d'indispensables – et expertes – chevilles ouvrières.
Le 27 juin dernier, les revues Pratique Vétérinaire Équine et La Semaine Vétérinaire (appartenant à la société 1Health1) ont organisé, au sein de leurs locaux à Paris, deux tables rondes dont la thématique était « Vétérinaires, au cœur des JOP ! » en partenariat avec l’Association vétérinaire équine Française (Avef), la Ligue française pour la protection du cheval (LFPC) et avec le soutien de Lambey, Kitvia et Poulnot Assurances2. Des rencontres qui ont confirmé que les vétérinaires sont très engagés dans la préparation, le suivi, la prévention les soins, la sécurité et la bientraitance du cheval en compétition.
En amont des épreuves
En amont des JOP, c'est déjà des chevaux bien entraînés, bien suivis, bien dans leur tête. Ainsi, la première table ronde, animée par Margherita Manfrin, rédactrice en chef de Pratique Vétérinaire Équine a réuni Julie Dauvillier (A 03), spécialiste en médecine interne des équidés, Aude-Gaëlle Heitzmann (A 01), spécialiste en pathologie locomotrice équine, ainsi qu’Emmanuelle Van Erck-Westergren (A 96), spécialiste en médecine interne et médecine sportive des équidés. Ces trois expertes ont ainsi échangé autour de la préparation du cheval de sport de haut niveau et notamment abordé les dernières avancées scientifiques et techniques en lien avec la performance équine. Ce débat s’inscrit dans la continuité du dernier numéro de Pratique Vétérinaire Équine, un numéro spécial sur la prise en charge du cheval athlète dans le but de concilier bien-être animal et performance sportive. L’auditoire a ainsi pu profiter de riches discussions entre ces trois vétérinaires équins pour en apprendre davantage sur la préparation des chevaux en amont des épreuves de sports équestres qui regroupent le saut d’obstacles, le dressage, le concours complet mais aussi le saut d’obstacles pour le pentathlon moderne.
Entre innovations et examens
Cette première table ronde a démarré avec un échange autour de la prise en charge du cheval sportif dans l’optique d’un respect optimal de son bien-être. Il a notamment été rappelé que le cheval est une proie, et ne va donc pas facilement exprimer de la douleur pour ne pas apparaître comme faible face à de potentiels prédateurs. La détection de la douleur même subclinique chez le cheval apparaît alors comme primordiale pour le praticien, d’autant plus que le bien-être est un prérequis à la performance sportive. Néanmoins, Aude-Gaëlle Heitzmann a indiqué qu’il convient de porter attention aux chevaux ayant une pratique sportive en catégorie amateur car ils peuvent plus facilement masquer leur douleur au vu de l’effort sportif moindre comparé à celui des chevaux de haut niveau.
Pour déceler toute affection ou problème de santé le plus en amont possible, de nombreuses innovations fleurissent de nos jours. Le sujet des objets connectés a ainsi été abordé avec les trois expertes. Tout l’équipement traditionnel relié au cheval pour recueillir un électrocardiogramme (ECG) a désormais laissé place aux tablettes connectées. Divers outils sont désormais délaissés au profit d’autres, plus performants, rapides et moins encombrants.
L’importance des examens complémentaires a également été soulevée. Pour les chevaux sportifs de haut niveau, Julie Dauvillier a notamment mentionné l’importance d’avoir des valeurs individuelles de référence quant aux analyses sanguines. En effet, collecter de telles valeurs lorsque le cheval est en bonne santé permet d’avoir ses références, notamment dans le cas où il se situe hors des 90 % ayant participé à élaborer les valeurs de références des automates. Ainsi, il sera plus aisé de détecter une anomalie ultérieurement en ayant les valeurs propres à un même cheval pour pouvoir affiner le diagnostic.
Vétérinaire : membre de l’équipe à part entière
La place du vétérinaire dans l’accompagnement du cheval sportif a été sujette à de nombreux échanges entre les intervenantes. Une des questions posées a, par exemple, concerné les qualités recherchées par les cavaliers chez un vétérinaire. « De la disponibilité ! », a répondu Aude-Gaëlle Heitzmann. Les compétences restent bien évidemment primordiales, mais les trois expertes ont été unanimes sur la disponibilité, qui reste le critère numéro un. Par ailleurs, certains cavaliers sont favorables à un suivi régulier, voire hebdomadaire pour quelques cavaliers de haut niveau. « Un cavalier de ma clientèle réserve son mardi pour que le vétérinaire voie tous ses chevaux, qu’il y ait un problème ou non », a indiqué Julie Dauvillier. Le vétérinaire apparaît alors comme plus qu’un partenaire de santé, il s’agit d’un membre à part entière de l’équipe qui gravite autour du couple sportif cheval-cavalier. Le praticien est ainsi un acteur clé pour un suivi optimal du cheval, pour son bien-être et in fine pour arriver aux meilleures performances sportives les jours de compétition. Il travaille en collaboration avec l’ensemble des acteurs de santé du milieu équestre (maréchal-ferrant, ostéopathe, etc.) et assure ainso le meilleur suivi de santé possible des chevaux sportifs.
Aude-Gaëlle Heitzmann a aussi cité en exemple le fait que certains cavaliers pensent parfois à un problème de dos lorsqu’un cheval a des difficultés en fin de parcours alors qu’il s’agit souvent de troubles respiratoires : « Une infiltration du dos ne sert alors à rien si le problème est tout autre. » Le vétérinaire joue ainsi pleinement son rôle de partenaire de santé. Enfin, l’importance de connaître le cheval, mais aussi le cavalier pour ne pas qu’il soit « trompé », a également été mentionnée.
Quid des médecines complémentaires ?
Autre sujet débattu lors de cette première table ronde : la place des médecines complémentaires. Comme Julie Dauvillier l’a indiqué « le mot est juste, ces médecines sont complémentaires » et doivent donc être utilisées en complément de la médecine allopathique. Ces pratiques, pas si récentes, se frayent progressivement un chemin dans la médecine traditionnelle occidentale. Le vétérinaire doit ainsi réfléchir aux usages et limites de ces médecines afin de les inclure à bon escient dans la prise en charge globale du cheval sportif.
Modus operandi
À quelques jours de l’ouverture des JOP, les chevaux sont prêts et entreront en scène dans le Parc de Versailles, où se déroulent les différentes épreuves équestres. Ainsi, la seconde table ronde, animée par Marine Neveux, rédactrice en chef de La Semaine Vétérinaire et directrice des rédactions a permis de rentrer dans les coulisses de l’organisation vétérinaire.
Richard Corde (A 81), président de la LFPC est horse welfare coordinator (coordinateur du bien-être équin), un tout nouveau poste pour ces JOP 2024. Il a été créé sous l’impulsion de Sylvie Robert (de société GL Events, organisatrice des JOP de Versailles) et de Thierry Grisard (L 87), président de la commission vétérinaire de la Fédération équestre internationale (FEI) pour les Jeux. Présent aux côtés de chaque acteur pour s’assurer de la bientraitance des chevaux sur les épreuves équestres, ce poste éphémère est une première ! « Il a pour but de coordonner toutes les actions des différents officiels qui sont concernés par la bientraitance du cheval en compétition, en particulier les stewards qui sont les premiers surveillants pour que tout se passe bien sur les aires d’exercice, et aussi les officiels de terrain, présidents, juges étrangers ». Ce poste n’a pas pour fonction d’organiser – la bientraitance étant déjà réglementée par le code FEI – mais de fluidifier les problématiques de bientraitance, et d’être un support de référence pour les stewards. Il n’a pas de rôle de sanction. Un comité d’éthique et de bien-être a aussi été créé, et poursuivra son travail au-delà des Jeux. « Il est important que ce comité puisse nous donner des informations scientifiques, techniques pour nous aider à bien saisir cette problématique de la bientraitance du cheval en compétition », poursuit Richard Corde. Les points de vigilance seront les attitudes de contraintes du cheval, que ce soit monté ou à l’écurie. Les stewards sont formés pour savoir ce qui est interdit ou non.
Un bilan de l’organisation de l’équipe des vétérinaires présente à l’occasion a été détaillé par Anne Couroucé (N 92), veterinary services manager (vétérinaire coordonatrice), responsable de l’établissement de soins déclaré par le comité d’organisation des JOP 2024. Pas moins de 89 vétérinaires, parmi lesquels une majorité de praticiens bénévoles mais aussi officiels, évolueront sur les épreuves des sports équestres à la fois olympiques et paralympiques. Anne Couroucé a ainsi fait part des rôles de chacun mais aussi de son rôle de coordinatrice. Avec environ plus de deux cents chevaux participant à ces épreuves, le total s’élève à presque un vétérinaire par cheval. Il y a plusieurs types de vétérinaires pour ces Jeux : les officiels choisis par la FEI (4 dans la commission vétérinaire), les examining vets qui interviennent particulièrement pour le CSO, pour regarder les membres, la thermographie, etc. Enfin, particulièrement lors des Jeux,on a les national technical officer (NTO), choisis par le comité d’organisation, avec des vétérinaires spécialistes. Et aussi les étudiants vétérinaires, les ASV, les maréchaux et les vétérinaires bénévoles qui ont postulé.
Une clinique éphémère
Côté prise en charge des chevaux tout au long de ces Jeux, des installations ad hoc ont été montées de toutes pièces. Comme les épreuves des sports équestres se déroulent sur le site du parc de Versailles, il a fallu construire, en plus des infrastructures sportives et gradins, tout un aménagement pour l’accueil des équidés : barns favorisant la biosécurité, cooling zones, grazing zones, etc. Une clinique éphémère a été mise en place avec des salles d’examen, d’imagerie et d’hospitalisation. Elle travaillera en collaboration avec la clinique vétérinaire équine de Grosbois, à Boissy-Saint-Léger (Val-de-Marne) pour transférer les chevaux nécessitant soins ou chirurgies plus importants. Des analyses pourront être directement réalisée sur place avec un Labéo truck (camion ambulant), y compris les PCR.
L'inspection vétérinaire des chevaux a lieu avant les épreuves, « on s’assure de leur aptitude à participer à la compétition, dans le cadre des JOP, on a une deuxième inspection, soit après le cross country pour les chevaux de complet, soit avant les phases finales pour les chevaux de dressage et les chevaux de jumping, détaille Thierry Grisard, c’est un avis collégial ».
Accueil des chevaux et biosécurité
L’organisation de ces épreuves a été optimisée pour éviter l’entrée d’un cheval malade sur le site et prévenir ainsi toute éventuelle contamination. Anne Couroucé a alors rappelé l’usage de l’application FEI Horse App pour renseigner la température de chaque cheval et constater que celle des trois jours précédents a bien été renseignée. « Nous avons essayé de penser à tout », a-t-elle indiqué. Jusque dans les moindres détails. Des boxes d'attente permettent d'isoler des chevaux suspects de maladie contagieuse, sachant que si un équidé est suspect, tous les chevaux du camion qui ont voyagé à ses côtés seront aussi placés à l'isolement pour veiller aux mesures de biosécurité. En outre, tout a été mis en place pour respecter la biodiversité du site : un parc de plus de 850 hectares classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Gestion des effluents, des litières, des insectes (sans produit traitant), etc. ont été autant de paramètres à prendre en compte en respectant un site classé au réseau Natura 2000 avec l'objectif de préserver la diversité biologique. En outre, les particularités du canal ont nécessité une considération des risques associés (dont chutes dans l'eau), en coordination avec le service départemental d'incendie et de secours des Yvelines. Toutes les installations seront démontées à la fin des Jeux.
Une réglementation adaptée
Au cours de cette seconde table ronde, Nathalie Blanc (A 98), membre du Conseil national de l’ordre des vétérinaires a fait un point réglementaire concernant les dispositions prises pour cet évènement sportif d’envergure. En effet, plusieurs dérogations ont été émises pour le comité d’organisation des Jeux olympiques, comme la déclaration de la clinique vétérinaire éphémère auprès du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (Cnov). La possibilité d’exercer en tant que vétérinaire a également été abordée, notamment dans la mesure où certains vétérinaires d’Europe et hors Europe accompagneront leur équipe nationale. Une dérogation est prévue pour ceux de pays tiers pour exercer la médecine et la chirurgie vétérinaires. Et c'est le Cnov qui se charge de recueillir les informations et les documents nécessaires puis de vérifier leur conformité en amont de ces Jeux : validité des diplômes, certificat de bonne conduite, passeport en règle.
Anticiper, prévenir
Ainsi, l’organisation des épreuves d’équitation de ces JOP de Paris 2024 a pu être examinée sous toutes ses coutures grâce aux interventions des vétérinaires participant à ces deux tables rondes. L’anticipation et le volet préventif ont pris une place de choix dans cette logistique pour s’assurer du bien-être et de la bonne santé des chevaux, et permettre aux cavaliers et spectateurs de profiter pleinement de ces épreuves sportives sur les terres versaillaises. Il ne reste plus qu’à souhaiter bonne chance aux cavaliers et cavalières tricolores.
Le 27 juin 2024, les revues Pratique Vétérinaire Équine et La Semaine Vétérinaire (appartenant à la société 1Health1) ont organisé, au sein de leurs locaux à Paris, deux tables rondes dont la thématique était « Vétérinaires, au cœur des JOP ! » en partenariat avec l’Association Vétérinaire Équine Française (Avef), la Ligue Française pour la Protection du Cheval (LFPC) ; et avec le soutien de Lambey, Kitvia et Poulnot Assurances.
Viviane Basquine
« Nous sommes les premiers porteurs d’alerte de la bientraitance animale » explique Richard Corde.
Viviane Basquine
De gauche à droite : Julie Dauvillier, Emmanuelle Van Erck - Westregren et Aude-Gaëlle Heitzmann.
Viviane Basquine