Congrès NUManima
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Par Laurent Masson
En juin dernier, le colloque de Vet IN Tech a mis en lumière l'impact de l'intelligence artificielle et des outils numériques en médecine vétérinaire, qui révolutionnent déjà la santé humaine. Pour le praticien, la communication avec le propriétaire, l’aide au diagnostic et la médecine préventive en sont les principaux apports.
L’association Vet IN Tech a organisé la 4e édition de son colloque NUManima dédié à la e-santé animale les 26 et 27 juin 2024 à l’École nationale vétérinaire d’Alfort, après trois éditions passées au sein d’Oniris, à Nantes. Un succès, puisque cent vingt congressistes environ s’y sont retrouvés autour de l’apport de l’intelligence artificielle (IA) et du numérique dans la pratique quotidienne. De la prise de rendez-vous à l’aide à la rédaction d’ordonnances et de comptes rendus de consultation, en passant par le suivi et l’aide au diagnostic, les outils digitaux sont ou seront de plus en plus présents dans notre pratique en clientèle et dans la relation client.
De la surveillance des rechutes en cancérologie…
La télémédecine et la télésurveillance est un domaine qui « explose » en médecine humaine, avec près de quatre cent mille solutions disponibles. Fabrice Denis, président de l’Institute for Smarthealth (INeS) et spécialiste en e-santé en médecine humaine, a fait part de son expérience notamment dans la télésurveillance par reporting des patients (ePRS) et Patient Reported Outcomes (ePROMS) en cancérologie : les patients sont invités à rentrer sur une application les symptômes présentés ou non afin de détecter précocement par des signaux faibles des récidives de cancer, une intolérance aux traitements ou des complications. Les informations sont triées par des algorithmes et transmises sous forme d’alerte à l’équipe soignante qui contacte alors le patient pour convenir d’une visite, d’un examen… Ces outils numériques améliorent tellement la prise en charge médicale des patients qu’ils sont devenus obligatoires en cancérologie et que certains sont même remboursés par la sécurité sociale en cancérologie ou en diabétologie. Fabrice Denis pense que ces systèmes sont transposables en santé animale, en postopératoire après le retour au domicile, lors de suivi de traitements de maladies chroniques ou de cheptel par exemple.
… au casque virtuel anti-douleur
Mais actuellement, c’est l’intelligence artificielle (IA) qui chamboule le monde de la santé humaine. Elle repose sur des algorithmes simples (IA symbolique), apprenants (deep learning, machine learning) et génératif/LLM (ChaptGPT, Mistral, Gemini, Perplexity…). L’IA permet l’automatisation de tâches simples, l’interprétation de radiographies, la rédaction de comptes rendus en écoutant simplement la conversation pendant la consultation. Les inconvénients sont la qualité des données initiales, l’interprétabilité dont la responsabilité reste celle du praticien, la protection des données sensibles, les biais algorithmiques et les hallucinations (publications totalement inventées par l’IA), sans oublier la consommation d’énergie. En conclusion, l’IA a toujours besoin de l’humain. Elle conduit surtout à un gain de temps en aidant dans le dépistage ou l’analyse de bilans biologiques, dans la rédaction de comptes rendus, dans la vulgarisation des données à destination du patient, facilitant ainsi le devoir d’information. L’aide au diagnostic par LLM est devenue très performante, et parfois même meilleure que le médecin. Gemini présente notamment des capacités générales de raisonnement multimodal (image, son…) et à contexte long, surpassant ChatGPT4. Enfin, les thérapies digitales apparaissent : un casque de réalité virtuelle* est utilisé à visée antalgique et se révèle être aussi efficace que le protoxyde d’azote lors de chirurgie légère, biopsies, ponctions. Quant aux outils connectés (montre, collier…), ils deviennent plus performants mais sont victimes de la lassitude des patients. Selon Fabrice Denis, il convient de privilégier ce qui fait gagner du temps et/ou de l’efficacité. L’IA ne remplacera pas le médecin ou le vétérinaire, mais en fera un praticien augmenté.
Quelques développements en santé animale
C’est exactement ce que propose notre confrère Mathieu Lamant (L07) (HVC Premium) en déléguant à l’IA tout ce qui est pénible dans notre pratique quotidienne autour de quatre grands thèmes : les consultations (rédaction de comptes rendus, proposition de diagnostic différentiel), la communication (rédaction de fiches explicatives), le management (simulateur de cas cliniques, données bibliographiques) et l’administratif. Concernant l’aide au diagnostic, la Digital Academy de Dômes Pharma propose aux praticiens une palette d’outils digitaux, créés en collaboration avec des spécialistes, et facilite l’accès au portail Zag, avec un outil d’aide au diagnostic différentiel d’après les renseignements fournis par le praticien et des fiches sur de nombreuses maladies.
D’autres outils numériques, comme ceux qui suivent, sont d’ores et déjà présents dans le quotidien de vétérinaires.
– La signature électronique de l’ordonnance, notamment en élevage rationnel pour assurer des soins de qualité et une bonne gestion des traitements (temps d’attente, délai d’abattage).
– L’aide au diagnostic des boiteries grâce à des appareils connectés détectant des asymétries locomotrices, notamment chez le cheval mais aussi chez le chien (Ekico), remplaçant la motion capture. Les objets connectés Kardia Mobile d'Alivecor ou Bimod Vet permettent d’obtenir des électrocardiogrammes.
– La télésurveillance peut prendre différentes formes. Earwise étudie le son présent au sein des élevages pour détecter l’apparition de bruits alarmants comme de la toux. Mais c’est sûrement en cardiologie que la télésurveillance est la plus avancée grâce aux applications Smartphone SuiVie Chien Ceva, My Pet’s Heart2Heart ou RespiDog. Celles-ci aident en effet le propriétaire à suivre la fréquence respiratoire de leur animal au domicile et à détecter les signes précoces d’œdème aigu du poumon. En neurologie, l’application Mon Animal Epileptique facilite le suivi des animaux épileptiques et la collaboration entre propriétaires et vétérinaires. Adapté sur le collier du chien, le système connecté Minitailz d’Invoxia quantifie l’activité physique de l’animal cardiaque (détection d’une intolérance à l’effort) et calcule non seulement la fréquence respiratoire mais aussi la fréquence cardiaque par sismocardiographie. La société Domethics propose Carepet, un coussin pour chien capable de recueillir des informations comme les fréquences cardiaque et respiratoire et la qualité du sommeil par des capteurs situés dans le matelas, puis transmises par Bluetooth vers une application mobile. A l’avenir, peut-être verrons-nous des objets connectés favorisant la prévention à domicile, avec un suivi pondéral, postural, voire de l’humeur comme cela existe déjà en santé humaine (Baracoda).
– La modernisation de la communication avec la clientèle. Par exemple, Whatsapp Business facilite gratuitement la transmission des informations et permet de savoir si le message a été lu. Rappelant qu’un propriétaire informé est un propriétaire rassuré, notre confrère Thomas Grenier (N15), développeur, propose une application mobile (My Pet At The Vet) : le fil d’actualité permet de tenir au courant le propriétaire d’un animal hospitalisé sans faire perdre du temps à l’équipe soignante.
– La prise de rendez-vous en ligne, en lien avec le logiciel métier, permet un gain de temps. Elle est actuellement présente dans seulement 30 % des cliniques (57 % chez les réseaux vétérinaires) bien que deux tiers des praticiens pensent qu’elle peut participer à fidéliser la clientèle. Par ailleurs, ce système est avantageux à la fois pour les clients (la moitié des rendez-vous sont pris en dehors des heures d’ouverture) et les équipes (économie de temps, fluidification du workflow, en particulier en période tendue). Hormis le coût que cela peut représenter, le principal inconvénient des rendez-vous en ligne est leur paramétrage (temps par consultation, délai, choix du consultant, type de consultation…). Un préquestionnement par IA pourrait régler une partie de ces problèmes.
Mais tout n’est pas parfait. Ont été citées les falsifications par IA des demandes de remboursement auprès des assurances animalières : plus d’une dizaine par semaine chez Agria… Chaque médaille a son revers.
* Il détourne l’attention lors de moments anxiogènes et réduit les sensations de douleur, avant ou pendant un soin médical.