Enfin, une solution légale pour la péritonite infectieuse féline ! - La Semaine Vétérinaire n° 2044 du 30/08/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2044 du 30/08/2024

Médecine

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Par Anne-Claire Gagnon

C’est une première tant attendue ! En France, les praticiens vétérinaires peuvent désormais faire réaliser une préparation magistrale de GS-441524 pour leurs patients diagnostiqués de PIF.

Depuis 2019 et la publication princeps de Niels Pedersen1, la guérison de la péritonite infectieuse féline (PIF), dramatiquement mortelle depuis plus de 60 ans, était établie. Malheureusement, l’absence de volonté du laboratoire propriétaire de la prodrogue en question, le remdésivir, de développer un médicament vétérinaire ou a minima d’en laisser le libre usage, a ouvert le champ du marché noir, florissant en Chine. Depuis quelques années, le GS-441524 est disponible à des prix et des concentrations très variés, sauf en Australie et au Royaume-Uni où Bova a mis à disposition des praticiens vétérinaires d’abord le remdésivir injectable, puis les comprimés et la suspension orale de GS-441524. L’importation de ces produits britanniques est toujours actuellement impossible.

Une pâte orale de qualité certifiée

Pour la pharmacie française Delpech, très impliquée en galénique vétérinaire, c’était une préoccupation depuis plusieurs années que de pouvoir sourcer un GS-441524 de qualité. C’est chose faite avec la même source chinoise que celle qui approvisionne l’hôpital universitaire vétérinaire d’Utrecht. Delpech a investi dans du matériel d’analyse aux normes européennes, pour certifier que son GS-441524 est de grade pharmaceutique et respecte les bonnes pratiques de fabrication, ce qui est un gage de qualité.

Delpech est donc désormais en mesure de délivrer, sur ordonnance du vétérinaire traitant, une pâte orale de GS-441524 aux praticiens vétérinaires, pharmacies ou même propriétaires qui lui en feraient la demande (conformément à la réglementation)2.

Les responsables de Delpech insistent sur la qualité du diagnostic précédant la prescription, pour éviter le surdiagnostic de la PIF. Néanmoins, ils savent qu’il ne leur appartient pas d’intervenir mais de délivrer le médicament prescrit, à savoir une préparation magistrale sous forme de pâte orale, aromatisée au poisson (le parfum le plus apprécié par les chats).

Spécifier sur l’ordonnance le poids et la forme clinique

Selon la prescription3 du vétérinaire traitant, la pâte orale pourra être délivrée en deux dosages, selon que le chat pèse plus ou moins de 4 kg. Chaque clic du système doseur correspond à la dose pour 250 ou 500 g de chat (sur une posologie de 15 mg/kg). Selon le poids du chat (souvent en croissance au cours du traitement), il faut prévoir entre 2 à 4 pots, soit un coût inférieur à 1 000 €.

« Notre ADN est de mettre à disposition un traitement qui ait la meilleure observance (en termes de goût et de coût) », déclarent Youcef Boukaache (vétérinaire) et Sébastien Bertin (responsable du préparatoire), de la pharmacie Delpech, expliquant n’avoir pas cherché à marger sur un médicament tant attendu. Ils se tiennent prêts à faire des devis pour les confrères et/ou les propriétaires de chats. Le laboratoire prévoit ultérieurement de pouvoir délivrer, selon les demandes, une pâte orale à 20 mg/kg pour les formes neurologiques.

INTERVIEW

Suzy Valentin (A 05), spécialiste en médecine interne vétérinaire (diplômée des collèges européen et américain de médecine interne)

« C'est un soulagement de voir disparaître les sources illégales de GS ainsi les “cliniques clandestines” »

Afin d’aider les praticiens dans leur démarche diagnostique et thérapeutique, notre consœur de la clinique vétérinaire Hopia va superviser une étude clinique prospective. Elle nous en livre les détails.

Que signifie pour vous la possibilité pour les vétérinaires de prescrire désormais magistralement le GS-441524 ?

La disponibilité d’une préparation magistrale nous donne enfin le droit de prescrire légalement le GS, ce qui était impossible jusqu’à présent. Les seules sources étaient via des groupes Facebook illégaux, qui donnaient également des conseils médicaux. Cette situation était très difficile pour nous vétérinaires, car nous savions que la molécule est efficace contre la maladie. Nous savons aussi que les personnes administrant ces groupes se font des bénéfices sur des traitements déjà très chers. Il est à présent connu que le traitement de la péritonite infectieuse féline (PIF) par le GS permet de passer de quasiment 100 % de mortalité sans prise en charge médicale à 80 % de rémission/guérison (ce qui correspond également à mon expérience).

Comment collaborez-vous avec l’équipe de Delpech ?

J’ai accompagné bénévolement l’équipe Delpech afin de la conseiller scientifiquement et médicalement, en particulier en lui fournissant les informations médicales et études déjà disponibles. Nous sommes également en train de monter ensemble une étude clinique prospective sur leur GS. Elle est conçue sur le suivi des chats traités. C’est fondamental dans l’avancée de la recherche mais aussi de l’Evidence-Based Medicine (EBM). Ces études légitimisent, en effet, les traitements que nous prescrivons, leur durée, et les posologies. Pour cette étude, nous allons recueillir des données afin de tenter de raccourcir le traitement actuellement préconisé pour quatre-vingt-quatre jours. Cela réduirait le temps de médicalisation mais aussi le coût pour le propriétaire*.

Travaillez-vous avec vos homologues internationaux ?

J’échange régulièrement avec les professeurs et spécialistes avec lesquels j’ai travaillé aux États-Unis.

Quels sont les enjeux pour la profession ?

De manière générale, la PIF est responsable de 1,2 à 1,8 % des morts félines annuelles. C’est un soulagement d’avoir accès à une préparation légale, et je l’espère, de voir disparaître les sources illégales de GS ainsi que les conseils médicaux et « cliniques » clandestines organisées par des personnes non vétérinaires qui regroupent des chats entre eux, sans cages, dans des pièces exiguës, afin de les traiter.

INTERVIEW

Christophe Hugnet (L 93), praticien vétérinaire, expert près la cour d'appel de Grenoble, spécialiste en médecine interne des animaux de compagnie

« La prudence reste de mise »

Notre confrère rappelle les règles très précises que tout vétérinaire doit respecter lors d'une prescription.

Y a-t-il aujourd’hui un risque réglementaire pour un vétérinaire de prescrire une préparation magistrale de GS-441524 pour un chat qu’il a diagnostiqué atteint de PIF ?

Dans le cadre du dispositif dit de la « cascade » et conformément à l’article 112 (point 1c) du règlement européen 2019-6 relatif au médicament vétérinaire, le vétérinaire peut prescrire « un médicament vétérinaire en préparation extemporanée conforme aux termes d’une ordonnance vétérinaire. » Le vétérinaire est alors responsable de l’administration du médicament y compris par un tiers (le détenteur du chat). Le devoir d’information sur les modalités d’administration est donc fondamental.

La prescription du GS-441524 doit être conforme aux données acquises de la science (arrêt Mercier s’appliquant à la profession vétérinaire). Le vétérinaire doit donc actualiser ses connaissances scientifiques (congrès, articles de revues vétérinaires à comité de lecture en particulier) : la seule lecture de témoignages ou informations sur des réseaux sociaux (fussent-ils vétérinaires) n’est pas suffisante pour justifier du recours à cette préparation extemporanée.

Le prescripteur doit donc se souvenir que plusieurs risques coexistent :

prescrire un traitement antiviral contre le coronavirus associé à la PIF sans avoir confirmé le diagnostic avec un faisceau de preuves suffisant et solide. Ne pas déclarer les effets indésirables observés lors d’utilisation de GS-441524 prescrit par le vétérinaire. Induire la sélection de souches mutantes, transmissibles et pathogènes.

Jusqu’à quel point le refus de conseil, d’information éclairée sur les solutions thérapeutiques pour guérir les chats de la PIF a-t-il entamé l’image de la profession ?

Les professionnels ont été pris entre leurs responsabilités de soignants qui cherchent à offrir des solutions pour accompagner, soigner, voire guérir les chats atteints de PIF, et leurs obligations de respecter la réglementation relative aux règles de prescription (médicaments avec AMM en priorité pour l’espèce et l’indication, puis la déclinaison rendue possible par la cascade ; médicaments avec AMM pour une autre espèce ou une autre indication, commercialisé en Europe, puis un médicament autorisé en France pour l’humain, puis une préparation extemporanée, et enfin un médicament autorisé dans un pays tiers pour la même espèce et la même indication1). À ces règles s’ajoutent des restrictions ou interdictions : certaines molécules antimicrobiennes sont d’usage interdit de prescription vétérinaire en Europe afin de préserver la santé humaine et limiter les risques de résistance de pathogènes impliqués en santé humaine. Ainsi le règlement d’exécution 2022/1255 réserve l’usage de trente-sept antimicrobiens au traitement de certaines infections chez l’homme : parmi ces molécules, se trouvent dix-huit antiviraux dont le molnupiravir !2 Ainsi, en cas d’échec thérapeutique avec la préparation extemporanée GS 441524, le vétérinaire n’a pas le droit de prescrire le molnupiravir. Être vétérinaire responsable, c’est aussi limiter les effets délétères de son exercice sur la santé humaine !

L’image de la profession a-t-elle réellement été entamée ? Probablement auprès d’une certaine communauté de passionnés de chats prêts à toutes les compromissions et incartades avec la législation. Cependant, la prudence légitime de beaucoup de professionnels a conduit à la réalisation de réelles études scientifiques sous contrôle vétérinaire : nous découvrons ainsi que la durée de traitement est probablement très inférieure à celle généralement préconisée depuis des années, que les doses et voies d’administration n’ont pas été optimisées, que des effets secondaires sérieux existent, que les échecs thérapeutiques durant la phase de traitement sont réels et approcheraient les 25 à 30 %, que la guérison sur le long terme n’est pas acquise, que des rechutes ont été observées, et enfin que des doutes existent sur l’implication potentielle de certains traitements antiviraux dans l’émergence de foyers d’allure épizootique… Et si les vétérinaires français avaient eu raison d’être prudents et critiques ?

INTERVIEW

Suzy Valentin (A 05), spécialiste en médecine interne vétérinaire (diplômée des collèges européen et américain de médecine interne)

« C'est un soulagement de voir disparaître les sources illégales de GS ainsi les “cliniques clandestines” »

Afin d’aider les praticiens dans leur démarche diagnostique et thérapeutique, notre consœur de la clinique vétérinaire Hopia va superviser une étude clinique prospective. Elle nous en livre les détails.

Que signifie pour vous la possibilité pour les vétérinaires de prescrire désormais magistralement le GS-441524 ?

La disponibilité d’une préparation magistrale nous donne enfin le droit de prescrire légalement le GS, ce qui était impossible jusqu’à présent. Les seules sources étaient via des groupes Facebook illégaux, qui donnaient également des conseils médicaux. Cette situation était très difficile pour nous vétérinaires, car nous savions que la molécule est efficace contre la maladie. Nous savons aussi que les personnes administrant ces groupes se font des bénéfices sur des traitements déjà très chers. Il est à présent connu que le traitement de la péritonite infectieuse féline (PIF) par le GS permet de passer de quasiment 100 % de mortalité sans prise en charge médicale à 80 % de rémission/guérison (ce qui correspond également à mon expérience).

Comment collaborez-vous avec l’équipe de Delpech ?

J’ai accompagné bénévolement l’équipe Delpech afin de la conseiller scientifiquement et médicalement, en particulier en lui fournissant les informations médicales et études déjà disponibles. Nous sommes également en train de monter ensemble une étude clinique prospective sur leur GS. Elle est conçue sur le suivi des chats traités. C’est fondamental dans l’avancée de la recherche mais aussi de l’Evidence-Based Medicine (EBM). Ces études légitimisent, en effet, les traitements que nous prescrivons, leur durée, et les posologies. Pour cette étude, nous allons recueillir des données afin de tenter de raccourcir le traitement actuellement préconisé pour quatre-vingt-quatre jours. Cela réduirait le temps de médicalisation mais aussi le coût pour le propriétaire*.

Travaillez-vous avec vos homologues internationaux ?

J’échange régulièrement avec les professeurs et spécialistes avec lesquels j’ai travaillé aux États-Unis.

Quels sont les enjeux pour la profession ?

De manière générale, la PIF est responsable de 1,2 à 1,8 % des morts félines annuelles. C’est un soulagement d’avoir accès à une préparation légale, et je l’espère, de voir disparaître les sources illégales de GS ainsi que les conseils médicaux et « cliniques » clandestines organisées par des personnes non vétérinaires qui regroupent des chats entre eux, sans cages, dans des pièces exiguës, afin de les traiter.

INTERVIEW

Christophe Hugnet (L 93), praticien vétérinaire, expert près la cour d'appel de Grenoble, spécialiste en médecine interne des animaux de compagnie

« La prudence reste de mise »

Notre confrère rappelle les règles très précises que tout vétérinaire doit respecter lors d'une prescription.

Y a-t-il aujourd’hui un risque réglementaire pour un vétérinaire de prescrire une préparation magistrale de GS-441524 pour un chat qu’il a diagnostiqué atteint de PIF ?

Dans le cadre du dispositif dit de la « cascade » et conformément à l’article 112 (point 1c) du règlement européen 2019-6 relatif au médicament vétérinaire, le vétérinaire peut prescrire « un médicament vétérinaire en préparation extemporanée conforme aux termes d’une ordonnance vétérinaire. » Le vétérinaire est alors responsable de l’administration du médicament y compris par un tiers (le détenteur du chat). Le devoir d’information sur les modalités d’administration est donc fondamental.

La prescription du GS-441524 doit être conforme aux données acquises de la science (arrêt Mercier s’appliquant à la profession vétérinaire). Le vétérinaire doit donc actualiser ses connaissances scientifiques (congrès, articles de revues vétérinaires à comité de lecture en particulier) : la seule lecture de témoignages ou informations sur des réseaux sociaux (fussent-ils vétérinaires) n’est pas suffisante pour justifier du recours à cette préparation extemporanée.

Le prescripteur doit donc se souvenir que plusieurs risques coexistent :

prescrire un traitement antiviral contre le coronavirus associé à la PIF sans avoir confirmé le diagnostic avec un faisceau de preuves suffisant et solide. Ne pas déclarer les effets indésirables observés lors d’utilisation de GS-441524 prescrit par le vétérinaire. Induire la sélection de souches mutantes, transmissibles et pathogènes.

Jusqu’à quel point le refus de conseil, d’information éclairée sur les solutions thérapeutiques pour guérir les chats de la PIF a-t-il entamé l’image de la profession ?

Les professionnels ont été pris entre leurs responsabilités de soignants qui cherchent à offrir des solutions pour accompagner, soigner, voire guérir les chats atteints de PIF, et leurs obligations de respecter la réglementation relative aux règles de prescription (médicaments avec AMM en priorité pour l’espèce et l’indication, puis la déclinaison rendue possible par la cascade ; médicaments avec AMM pour une autre espèce ou une autre indication, commercialisé en Europe, puis un médicament autorisé en France pour l’humain, puis une préparation extemporanée, et enfin un médicament autorisé dans un pays tiers pour la même espèce et la même indication1). À ces règles s’ajoutent des restrictions ou interdictions : certaines molécules antimicrobiennes sont d’usage interdit de prescription vétérinaire en Europe afin de préserver la santé humaine et limiter les risques de résistance de pathogènes impliqués en santé humaine. Ainsi le règlement d’exécution 2022/1255 réserve l’usage de trente-sept antimicrobiens au traitement de certaines infections chez l’homme : parmi ces molécules, se trouvent dix-huit antiviraux dont le molnupiravir !2 Ainsi, en cas d’échec thérapeutique avec la préparation extemporanée GS 441524, le vétérinaire n’a pas le droit de prescrire le molnupiravir. Être vétérinaire responsable, c’est aussi limiter les effets délétères de son exercice sur la santé humaine !

L’image de la profession a-t-elle réellement été entamée ? Probablement auprès d’une certaine communauté de passionnés de chats prêts à toutes les compromissions et incartades avec la législation. Cependant, la prudence légitime de beaucoup de professionnels a conduit à la réalisation de réelles études scientifiques sous contrôle vétérinaire : nous découvrons ainsi que la durée de traitement est probablement très inférieure à celle généralement préconisée depuis des années, que les doses et voies d’administration n’ont pas été optimisées, que des effets secondaires sérieux existent, que les échecs thérapeutiques durant la phase de traitement sont réels et approcheraient les 25 à 30 %, que la guérison sur le long terme n’est pas acquise, que des rechutes ont été observées, et enfin que des doutes existent sur l’implication potentielle de certains traitements antiviraux dans l’émergence de foyers d’allure épizootique… Et si les vétérinaires français avaient eu raison d’être prudents et critiques ?

  • 1. Pedersen NC, Perron M, Bannasch M, Montgomery E, Murakami E, Liepnieks M, Liu H. 2019. Efficacy and safety of the nucleoside analog GS-441524 for treatment of cats with naturally occurring feline infectious peritonitis. J Feline Med Surg. 21(4):271-281.