Éthique
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Par Brigitte Leblanc
Un colloque s’est intéressé aux impacts de la robotisation sur le bien-être animal. Des dispositifs connectés aux animaux augmentés en passant par les prothèses, ces innovations, dont les vétérinaires peuvent être partie prenante, transforment notre rapport aux animaux.
« L’Homme, l’animal et le robot : défis et perspectives », tel est le titre du colloque qui s’est tenu à l’université d’Évry Paris-Saclay (Essonne) le 15 mai dernier, sous la direction d’Aloïse Quesne1, maître de conférences en droit privé. Ce rendez-vous2 pluridisciplinaire interroge le rapport entre humains et animaux, entre humains et robots parfois humanoïdes, et entre animaux et robots, tous deux soumis aux lois humaines créées par l’humain pour l’humain. Les mutations qui ont lieu ou se profilent sur ces trois entités touchent aussi bien les corps que les relations entre elles. Leur anticipation concerne chacun d’entre nous, et, pour celles concernant les animaux, ceux qui leur sont proches, dont la profession vétérinaire.
La robotisation de l’animal
Conduite sous le double prisme du droit et de l’éthique, l’analyse d’Aloïse Quesne ne peut manquer d’interpeller la profession vétérinaire. En effet, la question se pose du bénéfice réel que comportent pour l’animal certaines formes de robotisation, alors même que l’article 515-14 du Code civil reconnaît sa sensibilité. Sans parfois que nous en ayons conscience, les animaux qui nous entourent sont de plus en plus des animaux connectés, à l’instar de l’humain : litières et distributeurs d’aliments connectés, GPS, ces objets surveillent, localisent ou assurent des services jusque-là de notre ressort. Notre propre rapport aux animaux est sur le point de changer avec la télémédecine vétérinaire qui, si elle n’est pas encore autorisée, a fait l’objet d’une expérimentation de dix-huit mois. Car cette télémédecine, associée à l’avènement des robots qui prennent la place de l’humain dans sa tâche, tels les robots de traite pour les vaches laitières, fait craindre une perte de la relation Homme-animal et une réification encore plus importante de l’animal. Cette réification apparaît également dans la mécanisation physique de l’animal, par l’ajout d’éléments électroniques invasifs, comme les transpondeurs pour l’identification individuelle, banalisant la pose d’un matériel électronique dans un corps vivant, mais aussi le bolus d’identification électronique, inséré dans le rumen de la vache, uniquement utilisé pour le moment en Corse, et dont l’usage pose des problèmes éthiques soulevés par le Comité d’éthique animal, environnement, santé, par manque de données sur son impact sur le bien-être de l’animal. Mais d’autres entreprises vont encore plus loin, avec la création de cyborgs, d’« animaux augmentés », manipulés par ajout de matériel électronique ou mécanique, pour accroître leurs capacités physiques ou cognitives : cafards vivants télécommandés par smartphone, rat dont le cerveau a subi l’implantation d’électrodes pour être guidé directement par la pensée d’un humain. Certes ces procédés apparaissent d’utilité et de gravité différentes, mais se pose toujours la question du bénéfice qu’en retire l’animal, et principalement du mal-être qui peut en résulter. « Le transanimalisme permet à l’homme d’instrumentaliser l’animal afin de l’augmenter, en lui imposant cette transformation », alerte Aloïse Quesne, et le statut actuel de l’animal, « être vivant doué de sensibilité » mais « soumis au régime des biens sous réserve des lois qui le protègent », d’après l’article 515-14 du Code civil, ne le protège que mal des dérives déjà existantes.
Petite lueur positive toutefois : des robots sont capables de prendre la place des animaux pour leur bien-être ou leur protection : ainsi, des robots-animaux peuvent remplacer ou compléter l’animal dans ses activités d’aide thérapeutique, de soins par contact animalier ou de zoothérapie, activités émotionnellement éprouvantes pour l’animal. Le robot-chien pourrait éviter au chien de risquer sa vie en temps de guerre, et une proposition a été faite pour la création de robot-gibier, qui pourrait servir de « doublure » pour l’animal lors de la chasse à courre.
Une prothèse « soin », pas esthétique
Prothèse et animal peuvent être liés de deux façons différentes : l’animal peut être appareillé par prothèse, mais lui-même peut être considéré comme une « prothèse vivante », selon le législateur, ceci concernant les animaux dits d’assistance. La prothèse, définie comme un objet artificiel créé par l’homme pour remplacer ou suppléer un organe ou une fonction défaillante, profite de plus en plus aux animaux. Son but est d’améliorer la mobilité, l’autonomie, le bien-être de l’animal. Concernant les exoprothèses, elles nécessitent la collaboration d’un vétérinaire et d’un orthoprothésiste animalier, souvent formé au préalable en orthopédie humaine, comme Antoine Maitre, créateur d’Orthopia. Fort de son expérience, il adapte ses connaissances aux animaux. Son rôle est de restaurer la fonction et non pas l’esthétique, et dans ce but il se fonde sur les connaissances et la collaboration de vétérinaires, maréchaux-ferrants, ostéopathes. L’écueil principal est le décalage existant entre la réalité pragmatique et l’attente du grand public : l’objectif n’est pas la technicité mais le bien-être de l’animal. En revanche, certaines prothèses à visée esthétique, oculaires ou testiculaires par exemple, interrogent quant au but poursuivi : si la vision n’est pas restaurée par la prothèse et que sa pose nécessite chirurgie puis soins réguliers, à qui profite-t-elle ? Pas à l’animal semble-t-il. Heureusement, notre code de déontologie nous met à l’abri de l’aberration des prothèses testiculaires telles que celles posées au chien des Kardashian… La prothèse doit rester de l’ordre du soin et non de l’amélioration de l’esthétique du vivant.
Repenser la relation au chien d’assistance
La seconde considération entre prothèse et animal est ce terme de « prothèse vivante » qu’a utilisé le législateur pour qualifier le chien guide d’aveugle : l’animal, le plus souvent le chien, supplée cette fois à une fonction défaillante, ici la vision, mais ce terme correspond en réalité à tous les chiens d’assistance : pour personne à mobilité réduite, mais aussi chien écouteur, chien d’alerte (pour les personnes diabétiques ou épileptiques), chien d’éveil pour certains enfants. Dans chacun de ces cas, l'animal bénéficie à une personne unique et supplée au moins partiellement à son handicap et ce 24 heures/24, à la différence du chien de médiation (judiciaire, scolaire…) qui accompagne un intervenant dans une mission limitée dans le temps. Mais si cet animal bénéficie de droits que n’ont pas nos animaux de compagnie, tels que l’autorisation d’accès aux transports et lieux ouverts au public, qui profitent d’ailleurs plutôt à son bénéficiaire, qu’en retire-t-il ? Il est en réalité dans la même situation qu’un aidant humain : disponible 24 heures/24, prothèse vivante et soutien émotionnel, avec la fatigue physique et morale qui accompagne ces rôles. De plus, chaque changement de vie que subit le chien, notamment au moment de sa mise à la retraite, peut être source d'anxiété dite de déritualisation et, de ce fait, de troubles du comportement. Ces aspects devraient amener le législateur à assurer et faciliter le quotidien et le devenir de ces collaborateurs à part entière, au travers d’une organisation adaptée de nos espaces urbains et d’une cotisation retraite soutenue par l’État qui pourrait leur être dédiée.
La zoophilie, une transformation dans nos relations ?
Notre profession est de plus en plus sensibilisée au lien existant entre maltraitance animale et maltraitance humaine, et à notre rôle central dans leur signalement précoce. Pourtant un type de maltraitance reste encore tabou ou ignoré, tant dans la société que dans nos rangs : la zoophilie. Dans sa contribution intitulée « L’animal, nouvel objet sexuel ? Le cas de la zoophilie », François-Xavier Roux-Demare, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, en fait un état des lieux. Présentée comme une déviance, cette pratique sexuelle est connue et réprimée depuis l’Antiquité. Elle concernerait 1 % de l’activité sexuelle humaine, moins fréquente que la pédophilie, le voyeurisme ou l’exhibitionnisme, mais il est probable que ce chiffre soit sous-estimé. En effet, il y a certes peu de personnes poursuivies pour de tels actes, peu de pratiquants « déclarés », mais la forte fréquentation sur des sites d’échanges librement accessibles et le visionnage d’un grand nombre de films zoopornographiques sèment le doute. Alors que l’acte de bestialité était puni par le bûcher sous l’Ancien Régime, la pénalisation de cette déviance par le législateur n’a été mise en place que tardivement – en 2004 – sanctionnant les « sévices de nature sexuelle », termes que la récente loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes a fait évoluer en « atteintes sexuelles ». Ainsi, le nouvel article 521-1-1 du Code pénal énonce que « les atteintes sexuelles sur un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité sont punies de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ». De ce fait, il n’est plus nécessaire qu’il y ait violence, souffrance ou présence de lésions sur l’animal pour caractériser l’infraction, il s’agit de protéger l’animal (le plus souvent un chien ou un cheval, les animaux « préférés » des zoophiles), contre une atteinte sexuelle imposée par un humain, portant atteinte à son intégrité tant physique que morale. Ceci n’est pas sans rappeler la répression de la pédophilie, où l’enfant n’est pas capable de comprendre ou de désirer un acte sexuel avec une personne. À noter que les animaux sauvages sont exclus de cette protection.
En définitive, chaque intervention met en évidence la nécessité de repenser le statut de l’animal : être vivant doué de sensibilité mais que nous réifions à l’envi, une clarification juridique est nécessaire pour le respecter et assurer sa protection.