Incivilités au sein des équipes vétérinaires : des impacts délétères - La Semaine Vétérinaire n° 2044 du 30/08/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2044 du 30/08/2024

Santé mentale

ENTREPRISE

Auteur(s) : Par Anne-Claire Gagnon

Lors du congrès de la World Small Animal Veterinary Association (WSAVA) à Lisbonne1, de nombreuses conférences ont été consacrées à la santé mentale et à la culture vétérinaire, pour prévenir les incivilités au sein des équipes… plus fréquentes et sources de tensions que celles des clients. 

La WSAVA avait fait le choix pleinement assumé d’offrir des conditions d’accueil digne de ce nom à tous les participants pour la session. En partenariat avec Anicura et Mars Petcare, chacun a pu s’asseoir dans un canapé confortable et grignoter des barres chocolatées, posées sur les tables basses. Un effet déstressant immédiat et apprécié.

En introduction, Helen Silver-McMahon de Being Human Consulting (Royaume-Uni) a souligné le ressenti lors du premier rendez-vous ou contact avec une équipe, un patron, symbolisé par la rudesse d’une chaise ou la douceur et le moelleux d’un canapé (souvent présent dans les salles d’attente des cliniques félines).

Quelles conséquences ?

Les incivilités peuvent être directes ou indirectes (quand vous êtes mis de côté d’une réunion ou d’un projet). C’est quelque chose que nous avons toutes et tous expérimentés dans notre carrière. Dans l’enquête qu’Helen Siver-MacMahon a conduite pour son PhD (doctorat), 48 % des nurses vétérinaires ont témoigné avoir été ignorées. Les nurses sont plus souvent victimes de comportements grossiers et d'incivilités de la part du personnel d’encadrement et de leurs collègues que des salariés vétérinaires.

Au moment où l’incivilité se produit, c’est notre amygdale qui prend le contrôle et nous fait perdre 61 % de nos capacités cognitives, avec souvent une envie de se cacher, de fuir et une incapacité à répondre.

Si les incivilités venant de personnes toxiques se répètent, le coût, pour les victimes comme pour l’entreprise vétérinaire, est important en perte de temps (celui qu'on met à éviter son agresseur, absentéisme), de motivation et de qualité de travail (volontaire pour 38 %). Un quart des victimes d’incivilités professionnelles disent se venger sur leurs patients… Être témoin d’incivilité marque beaucoup plus une personne empathique qu’une peu sensible, et peut la conduire au burn-out, voire à des conduites suicidaires. En médecine humaine, les équipes identifient des incivilités qui conduisent à des erreurs médicales dont 25 % peuvent être responsables du décès du patient.

Premiers gestes psychologiques de secours

Lorsque l’incivilité se produit, il faut avoir le réflexe de faire une pause en adoptant le moyen mnémotechnique STOP Stop your activity (s’arrêter quelques instants) / Take deep breath (reprendre son souffle et respirer calmement) / Observe (observer) / Proceed (agir). Être formé à l’autocompassion est essentiel car ce n’est pas de la complaisance, bien au contraire, « elle est un outil de guérison puissant qui est l’antidote aux sentiments de honte et d’échec2 ».

Si l'on porte assistance à un collègue, pouvoir utiliser la communication non-violente est important : les faits observés, le ressenti-les émotions, les besoins, les demandes.

L’analyse des circonstances dans lesquelles l’incivilité s’est produite est utile. Sous pression, chacun d'entre nous peut ne pas être aimable. L’important est de le reconnaître, présenter ses excuses et faire en sorte que cela ne se reproduise plus, ce qui implique souvent un meilleur management collectif visant à alléger la charge de travail et la charge mentale de chacun. 

Savoir gérer les urgences

Sous le stress d’un enjeu où le pronostic vital est engagé, c’est notre inconscient rapide, qui décide de façon réflexe – l’amygdale toujours, qui sauve la vie quand il y a le feu ! – alors que la conscience et le raisonnement agissent plus lentement. Apprendre à prioriser est donc essentiel, pour que la nouvelle organisation, au fil d’urgences par essence non anticipables, se fasse avec fluidité.

Helen Silver-MacMahon a souligné que nous étions formés à soigner des animaux sans l’être à la stratégie de l’organisation. Le manque de contrôle, les évènements ou tâches qui s’imposent à nous sont problématiques. Pouvoir dire « Je choisis à chaque instant de faire telle ou telle tâche, parce que c’est ma priorité » permet de maîtriser son agenda.

Organiser son agenda

Dans le brief du matin avec l’équipe, il est important de s’assurer que tout le monde a compris (ne pas présumer que cela le soit), que les coéquipiers posent des questions, sans crainte de jugement. Tout système complexe est fait de nombreux éléments simples, et la matrice d’Eisenhower permet de déterminer ce qui est à faire en urgence ou à déléguer, à décider ou à supprimer. Souvent la not-to-do list est essentielle pour ne pas se noyer dans ses tâches et savoir sur quels critères déléguer : y a-t-il quelqu’un de disponible, de formé, est-ce une tâche récurrente, avez-vous le temps de transmettre les informations (à la place de la réaliser vous-même), est-ce délégable ?

Parmi les recommandations organisationnelles à adopter : fixer la durée par défaut de l'événement à 15 min (sans dépasser 25 !), mettre en priorité les choses les plus importantes, tout planifier, notamment les repas et pauses. Comme les voitures, le soignant a besoin de carburant pour avancer.

La technique Pomodoro (tomate en italien) consiste à prendre 25 min. pour faire sa tâche, prendre 5 min. de pause. Toutes les quatre tâches, prendre une pause plus longue.

Comprendre son erreur 

Melinda Larson, urgentiste et directrice qualité médicale de Buepearl (États-Unis), Lisen Schortz, directrice de la sécurité patient pour Anicura (Suède) et Katherine Blackie de l'université de Plymouth (Royaume-Uni) ont évoqué les erreurs en santé. Dans le domaine médical, elles sont à l’origine de 2,6 millions de décès dans le monde, dont 80 % auraient pu être évitées. En aviation, le modèle de gestion des erreurs mis en place rapidement s’avère très effectif. En effet, dans ce domaine, la culture de l’infaillibilité – qui prévaut encore trop en santé – n'existe pas. En médecine vétérinaire, les études montrent que, comme en médecine, 95 % des erreurs sont dues au système, même si elles sont commises par un individu en général consciencieux et bien formé à son métier. On appelle système l’ensemble des tâches et actes élémentaires, les lieux et circonstances dans lesquelles ils se produisent. Trois praticiens sur quatre se souviennent d’une erreur survenue dans l’année.

Certaines erreurs sont actives, perçues immédiatement par l’auteur, d’autres sont latentes, nécessitant une analyse pour être identifiées. L’important c’est de les comprendre pour prévenir collectivement les futures. Les sept points pour progresser après une erreur sont : partager l’information, avec la bonne équipe, identifier ce qui s’est passé, comprendre ce qui y a contribué, identifier ce qu’on en apprend, améliorer, vérifier que les améliorations sont effectives.

L’étude des facteurs humains permet de construire une meilleure organisation, conduisant à une plus grande efficacité et motivation des équipes ainsi qu'une meilleure sécurité de l'animal. Critiquer ne sert à rien, la punition n’est jamais pédagogique. Certains systèmes poussent à l’erreur à l'image du marketing ou certains magasins qui poussent à l'achat. La déclaration systématique des erreurs est importante pour apprendre et faire changer le système, sans que le soignant en porte tout le poids.

Être « soutien » 

Se mettre à la place de l’autre est utile, car il y a toujours une logique à l’acte qui a été commis (fatigue, mauvaises transmission de l'information, compréhension et organisation).

Les conséquences sur l'animal sont évidentes mais celles sur l’auteur de l’erreur sont moins reconnues, ce dernier subissant le syndrome de la seconde victime. Parmi les signes cliniques : manque de sommeil, dépression avec, pour 50 % des vétérinaires, un impact sur la vie professionnelle et personnelle, auxquels s’ajoute l’envie de quitter la profession. Ce qui peut tout changer ? Être soutenu par ses collègues, compris, se trouver dans une structure où l’on peut dire les erreurs paisiblement, avec une véritable culture de la sécurité. Tout ce qui peut promouvoir l’assistance psychologique en urgence, la résilience (RISE, resilience in stressful events) et l’autocompassion seront bénéfiques pour la préservation d’une bonne santé mentale des équipes, un meilleur fonctionnement de la structure et une excellente sécurité des animaux.

  • 1. Septembre 2023.