Sanitaire
ANALYSE MIXTE
Auteur(s) : Par Ségolène Minster
L’École nationale vétérinaire de Toulouse a établi un rapport d’évaluation de l’impact socio-économique de cette disposition. Dans l’ensemble, le système sanitaire satisfait les parties prenantes malgré quelques points de tension.
La loi de santé animale (LSA) a introduit un changement de paradigme. Elle a fourni une nouvelle catégorisation des maladies animales transmissibles, qui « s’appuie davantage sur la notion de risque ». De plus, la LSA met l’accent sur la prévention, la biosécurité et « la responsabilisation des acteurs dans l’exécution et la maîtrise de la gestion du sanitaire, sans que l’État n’abandonne son rôle de contrôle ». À la demande du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire (Masa), l’École nationale de Toulouse a réalisé une étude afin d’évaluer les coûts des maladies réglementées et leur ventilation par acteur ainsi que les impacts socio-économiques de la LSA (UE/2916/429), en France. Elle s’est appuyée sur une bibliographie, l’analyse des données du budget opérationnel dédié à la sécurité et qualité sanitaire de l'alimentation du Masa (programme 206), et d’une enquête auprès de parties prenantes : organismes techniques (ANSP, Respe, SNGTV, GDS France, Idele, Itavi, IFCE, etc.)*, interprofessions et organismes d’états (Draaf, OFB)*, ainsi que l’Adilva et le FMSE*.
Une évaluation économique partielle
L'analyse des sources bibliographiques a permis d’estimer les coûts supportés par l’État dans la prise en charge des maladies réglementées en France. Ils incluent les honoraires vétérinaires, frais de laboratoire, indemnités aux éleveurs et frais divers. Sur la période 2014-2018, les subventions de l’État ont été allouées à près de 78 % à la filière volaille, à 19 % aux bovins, 3,4 % aux petits ruminants, à 0,2 % aux porcs et poissons. Sur cette même période, les coûts engagés par l’État étaient consacrés à près de 75 % à l’influenza aviaire, à 14,5 % à l’encéphalopathie spongiforme bovine et 9,5 % à la tuberculose. Entre les épizooties d’influenza aviaire de 2016-2017 et 2020-2021, un rapport FranceAgriMer rapporte que les coûts supportés par la filière étaient similaires mais ceux supportés par l’État ont augmenté de 650 %, passant de 160 millions d’euros à plus d’un milliard d’euros (800 millions d’indemnisation et 245 millions réservés au sanitaire). Les coûts supportés par les éleveurs et les filières sont en nature les mêmes que pour l’État, plus les coûts indirects comprenant ceux de repeuplement, nettoyage et désinfection, immobilisation, pertes de production et de marché et variations des prix de marché.
Pour les ruminants, les dispositifs de surveillance et de lutte pèsent différemment sur les éleveurs selon les maladies : ainsi la lutte contre la rhinotrachéite infectieuse bovine (IBR) repose uniquement sur les éleveurs, celle contre l’hypodermose et la brucellose bovines majoritairement sur les éleveurs, celle contre la tuberculose bovine, l’ESB et la fièvre catarrhale ovine (FCO) principalement sur l’État. Le FMSE financé par des cotisations des éleveurs et des fonds publics intervient aussi dans les programmes d’indemnisation.
Malgré la diversité des sources étudiées, le rapport précise que l’hétérogénéité des données économiques rend impossible l’analyse de la performance du système sanitaire (coût/efficacité ; coût/ bénéfice). Les données devraient être transmises de manière harmonisée et centralisée par les acteurs privés et publics pour permettre à l’État de conserver son droit de regard et de conseil auprès des filières, selon les auteurs du rapport. Par ailleurs, « le temps de travail des fonctionnaires alloués au service sanitaire n’est jamais pris en compte dans les bilans économiques tandis que c’est toujours le cas dans le secteur privé. » Un bilan plus juste de l’engagement des instances de l'État permettrait également une meilleure évaluation économique du système sanitaire.
Un certain désengagement de l’État
Les entretiens menés auprès des parties prenantes ont révélé des inquiétudes par rapport à la LSA, et la déréglementation de certaines maladies. Le rapport indique ainsi que cette préoccupation « comprend deux aspects ». Le premier est l’arrêt du support financier étatique dans la gestion de ces maladies. Le second est la transmission de la responsabilité des pouvoirs publics vers les professionnels des filières et la disparition de la force persuasive de la police sanitaire. Cela fait craindre une difficulté supplémentaire pour toucher les éleveurs réfractaires aux mesures de gestion ». Acteurs sanitaires et vétérinaires redoutent de « perdre leur poids et leur légitimité dans la gestion des maladies déréglementées » en raison de l’absence de l’appui de l’État. La primauté des enjeux économiques sur les enjeux sanitaires est aussi source de questionnement.
Cependant, les auteurs notent que lors des récentes crises sanitaires, l’État a montré un important engagement pour indemniser les pertes et lutter contre les épizooties. Par ailleurs, parmi les maladies non listées par la LSA, « 60 % sont toujours de la responsabilité du Gouvernement en plus des 21 maladies nouvellement réglementées ». Les auteurs recommandent que l’État communique de manière efficace avec les acteurs sanitaires pour rendre facilement accessibles les informations techniques liées à la mise en place de la LSA. Par ailleurs, les programmes sanitaires d'intérêt collectif (PSIC) constituent une opportunité pour modifier la gouvernance sanitaire afin qu’elle corresponde au mieux aux attentes sur le terrain. Les auteurs recommandent que les filières se saisissent rapidement de ce sujet pour les maladies d’intérêt pour elles et non listées dans la LSA, voire fassent reconnaître les PSICs par l’État. « Le PSIC est un outil générique mis à disposition des filières pour l’écriture d’un cahier des charges pour les maladies, telles que l’hypodermose bovine ou le varroa qui ne bénéficient plus d’un arrêté ministériel pouvant imposer des moyens de surveillance et de lutte. »
De nombreux relais
Les acteurs sanitaires sont nombreux, et en cas de crise, l’État, via les directions départementales de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETSPP) et les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaff), coordonne sa gestion, accompagné des organismes à vocation sanitaire (OVS), interprofessions, chambres d’agriculture… Les cellules de crises locales et nationales tout comme les autorités vétérinaires sont mobilisées. Les auteurs notent toutefois que « le niveau de conscience des enjeux sanitaires est très dépendant de l’organisation des filières et de son historique, et joue sur l’acceptabilité des mesures de gestion. Il a été unanimement reconnu que plus une filière est intégrée, plus la gestion sanitaire est efficace et comprise par ses acteurs ». Il conviendrait à présent de capitaliser sur les initiatives pionnières des filières porc et aviaire en biosécurité et d’optimiser le partage d’information pour améliorer la surveillance. L’Ansp constitue un exemple, car son réseau est en capacité de soutenir un territoire en difficulté face à l’émergence d’une maladie. Elle a, avec les instances gouvernementales, élaboré précocement un plan d’action « Peste porcine africaine » de prévention, surveillance et lutte en janvier 2022. La surveillance évènementielle de la faune sauvage est assurée en parallèle par l’OFB.
Les auteurs concluent que la LSA entraîne des changements relatifs dans la gestion du sanitaire et sa mise en œuvre doit reposer sur une concertation entre pouvoirs publics et parties prenantes. Il est aussi nécessaire de maintenir un système d’intervention, notamment via le maillage vétérinaire et des laboratoires départementaux. « Un enjeu d’autant plus important que la LSA s’appuie sur la notion de risque et sur la responsabilisation des professionnels d’élevages. »