La difficulté de choisir un logiciel dans un marché atomisé - La Semaine Vétérinaire n° 2044 du 30/08/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2044 du 30/08/2024

DOSSIER

Auteur(s) : Par Irène Lopez

Le marché des logiciels vétérinaires est très concurrentiel. Un large éventail d’acteurs offre diverses solutions pour répondre aux besoins des pratiques vétérinaires. Certains professionnels ont tendance à négliger ces outils, à tort. Comment l’expliquer ? Tour d’horizon du marché.

Choisir un logiciel relève de la gageure tant le choix est vaste. Frédéric Arzur (N 01), vétérinaire en Bretagne, témoigne : « Nous sommes une toute petite profession. Pourtant, rien que dans le département du Finistère, plus de dix logiciels différents avaient été recensés il y a dix ans lors de la campagne de contrôle pharmacie des domiciles professionnels d'exercice du département ». En Allemagne, deux logiciels métier se partagent 80 % du marché ; en Espagne, leur nombre s’élève à trois. Idem pour l’Italie.

Jean-Christophe Vullierme (L 89), directeur de la stratégie vétérinaire chez SantéVet, explique : « C’est l’exception culturelle française. Il y a trente ans, nombre de ces logiciels ont été créés par des vétérinaires eux-mêmes pour leur propre usage puis, parfois, vendus à petite échelle » ; ce que confirme Frédéric Arzur : « Il y a les logiciels historiques, mais cohabite autour d’eux toute une ribambelle de petits logiciels, parfois développés à l’échelle d’une seule clinique, parfois éphémères. Ainsi, on en voit régulièrement arriver un nouveau surfant sur une demande de niche, qui promet plus un projet qu’une innovation concrète. Ces logiciels captent chaque fois une frange de population vétérinaire car le bouton est vert au lieu d’être bleu ou en haut plutôt qu’en bas… Faute de clients et donc de moyens pérennes – car le développement informatique coûte très cher – le projet tarde à se développer et le logiciel finit par tomber en désuétude. Si ces programmes ne font pas le poids face aux éditeurs historiques, je pense néanmoins qu’ils obèrent régulièrement, par captation partielle de clientèle vétérinaire, les moyens de ces derniers pour finaliser le développement opérationnel réel de leurs outils. Au final, cela "balkanise" le marché du logiciel métier des vétérinaires et aucun acteur n’arrive, faute de moyens, à réellement mettre au point son produit. Au détriment des utilisateurs que sont les vétérinaires… ».

Pour Jean-Christophe Vullierme, cette situation a vocation à évoluer inévitablement. Pour lui, « les contraintes que sont, par exemple, les normes Afnor et Calypso ou encore la facturation électronique, nécessitent des refontes en profondeur et des développements très importants que les petits logiciels auront difficilement les moyens de réaliser. Il y a peu d’acteurs qui auront les moyens et les reins assez solides pour entretenir l’équipe de développeurs nécessaire à ces mutations. L’ère des petits logiciels "faits par des copains" est révolue. À terme, il en restera quatre ou cinq ».

Besoin d’un outil simple

Anne-Marie Lebis est ASV et travaille à Quimper avec deux autres ASV auprès de quatre vétérinaires (trois associés et une salariée). Au cours de sa carrière, elle s’est toujours servie d’un logiciel métier. Elle déclare : « un logiciel métier est nécessaire ou vraiment très utile. Avant, les données de contact étaient inscrites à la main sur des fiches à trous. Il fallait les tenir à jour. Avec l’informatique, on a la capacité de rechercher un animal dans la base de données très facilement (avec le nom des propriétaires ou celui de l’animal, par numéro d’identification, par race…). » Ces logiciels permettent de faire des ordonnances, des factures. S’est greffée ensuite la possibilité de gérer les stocks de médicaments et de matériel. Combien de médicaments consomme-t-on ? Quel est le stock minimal à posséder pour ne pas subir de ruptures ? Autre avantage de la digitalisation : la gestion des stupéfiants. « C’est d’autant plus important que la gestion papier peut être source d’erreurs humaines », commente-t-elle.

Jean-François Labbé (A 90), praticien à Broons (Bretagne) est membre du conseil d’administration de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV), président des commissions Bien-être animal et Qualité du lait. Selon lui : « Les besoins exprimés par les vétérinaires [exercice bovin] sont simples et concernent les données de l’élevage ou les animaux traités pour adapter le traitement et assurer la partie prescription. Le règlement européen a complexifié les mentions obligatoires sur l’ordonnance rendant cette dernière quasiment impossible à réaliser sur papier (sont par exemple à ajouter : la ou les molécules, les numéros de lot pour les médicaments administrés et délivrés, les conditions particulières d’utilisation du médicament, les risques…). Les vétérinaires ont besoin d’un outil simple pour faire les prescriptions, les suivis d’élevage… »

Le dernier des Mohicans ?

Face à ces besoins exprimés, une méconnaissance est mise en lumière par François Courouble (A 81), vétérinaire qui exerçait en Bourgogne et était spécialiste des bovins allaitants. Ancien administrateur de la Caisse de retraites des vétérinaires libéraux (CARPV) et membre de Resovet, il atteste que, parmi les vétérinaires qu'il accompagne au sein de Resovet, « beaucoup ne savent pas analyser leur structure d’un point de vue économique (Comment évolue la clientèle ? Quels facteurs la rendent plus rentable ? Etc.). Neuf sur dix ne savent pas répondre à la question : “Quel est le chiffre d’affaires moyen par vétérinaire dans votre structure ?” »

Comment expliquer ce manque d’intérêt ? Les vétérinaires sont-ils rebutés par l’informatique ? Jean-François Labbé a travaillé sur la partie rurale du logiciel GmVet et sur Vetelevage (qui existe depuis près de trente ans). Pour lui, il n’y a pas besoin d’être un professionnel de l’informatique pour savoir utiliser ces logiciels. Il s’offusquerait presque de la situation : « Cela fait vingt-cinq ans que l’on possède tous de l’informatique dans notre voiture. Toutes les professions utilisent aujourd’hui des outils connectés. Le vétérinaire ne peut pas rester le dernier des Mohicans en élevage avec son papier et son crayon ! »

Plus performants mais plus chers

Le prix du logiciel serait-il à blâmer ? Jean-François Labbé répond : « Tous les vétérinaires vous diront que le coût d’un abonnement à un logiciel métier est élevé. Auparavant, on en achetait un et la maintenance revenait à moins de 1 000 € par an. Ce qui était ridicule. Désormais, les coûts sont plus élevés mais les logiciels plus performants. Il faut dire que les vétérinaires ne sont pas habitués à payer leurs logiciels de gestion. Aujourd’hui, ils trouvent le tarif de l’abonnement élevé. Ce n’est pourtant rien par rapport à celui du système d’information d’une entreprise privée d’un autre secteur. » Jean-François Labbé utilise Vetelevage, outil associatif. Aujourd’hui, il affirme que l’abonnement pour les six vétérinaires ruraux qui composent son cabinet lui revient à environ 100 € par mois.

Peu de professionnels se montrent transparents sur le coût d’un logiciel. Cyrille Catoio (L 03) œuvre, lui, pour plus de clarté. Il est le directeur général de Vetup et a cédé 100 % des parts à IVC Evidensia en 2021. Outre les équipements des cliniques du groupe, son entreprise continue de pourvoir aux besoins en logiciels des établissements extérieurs à IVC.
Dès 2007, ce passionné d’informatique en a créé un en ligne pour rédiger ses comptes rendus de chirurgie. Cela n’existait pas encore et il faisait figure de précurseur. « Aujourd’hui, il n’y a plus de frais d’achat comme par le passé. Nos prix sont publics, ce qui est rare sur le marché. L’abonnement est de 59 € HT par mois par vétérinaire auquel s’ajoutent 19 € HT par mois pour la maintenance de la clinique. » Il avoue se situer dans la moyenne haute du prix des abonnements, et s’empresse d’ajouter que Vetup met à disposition une version gratuite (limitée à moins de cent consultations par mois), notamment utilisée par les vétérinaires qui débutent.

Anne-Marie Lebis suggère de se servir de ces versions ou des démonstrations en ligne pour choisir un logiciel : « Quand cela est possible en ligne sur les sites des éditeurs (ou en téléchargement), il faut prendre le temps d’explorer le logiciel, en ayant en tête les tâches qu'on effectue tous les jours : "J’arrive dans une nouvelle clinique, le téléphone sonne, je dois accéder à la fiche client pour consulter les informations, vérifier si elles sont à jour, lire l’historique de l’animal pour comprendre la demande du client… Faire une facture, etc." Il faut toujours se poser la question suivante : comment le faire avec cet outil ? »

Se fédérer

Quid de l’indépendance des données ? La question est prégnante, notamment lorsque l’éditeur du logiciel fait partie d’un grand groupe, comme c’est le cas de Vetup. Son directeur général confirme que l’indépendance des données suscite beaucoup d’interrogations sans que cela soit toutefois un frein, les conditions générales de vente garantissant confidentialité et sécurité.

L’indépendance, Jean-François Labbé y tient mordicus : « Lorsque nous avons créé Vetelevage, nous souhaitions que le logiciel soit un outil professionnel indépendant. Quand nous récupérons les données d’un élevage, l’éleveur doit savoir en toute transparence à qui il donne les informations et ce qui va en être fait car elles lui appartiennent. Nous passons un contrat individuel avec l’éleveur qui garantit que ses données ne repartiront pas ailleurs. »

Il insiste : « C’est très important car des logiciels peuvent être "ouverts" à des gens de l’extérieur (pareurs, contrôleurs laitiers…). Or, je ne veux pas que des concurrents du vétérinaire puissent utiliser les données sans que mon client ne donne son accord. Avec notre logiciel associatif, nous avons placé le vétérinaire au centre du système de l’information. Le choix d'un logiciel, c’est technique mais aussi politique. »

Face à ce marché atomisé, Frédéric Arzur souhaite sensibiliser : « Il faudrait une prise de conscience de la profession. Nous devrions faire corps et rester unis pour permettre le développement au niveau national d’un seul logiciel solide, robuste et répondant correctement non seulement à nos obligations réglementaires  – fiscales mais aussi en termes de pharmacie (nous revendiquons d’en être des professionnels) – et capable aussi de répondre favorablement aux enjeux de notre profession en ce qui concerne l’accompagnement médical et zootechnique de nos clients. À ce titre, les échanges de données doivent évoluer et favoriser l’intérêt d’une meilleure prise en charge des animaux, d’un meilleur accompagnement vétérinaire sanitaire et zootechnique des cheptels, d’une meilleure utilisation des médicaments, antimicrobiens notamment, par un accès à la donnée permettant une médecine autorisant des prescriptions de précision ! »

Se fédérer est également un souhait partagé par Jean-Christophe Vullierme. Il prône une union des éditeurs de logiciels. Il l’explique comme suit : « Cela permettra tout d’abord de bien comprendre le marché et, enfin, de pouvoir parler d’une seule voix avec les politiques. Pourquoi ne pas envisager une contribution de l’État concernant les contraintes administratives imposées aux éditeurs ? » Le débat est ouvert.

Témoignages

Frédéric Arzur (N 01), vétérinaire dans le Finistère

Des outils qui communiquent trop peu entre eux

Le logiciel métier est censé nous faire gagner du temps. C'est un outil très puissant. Pourtant, je rencontre des écueils. Pour mon exercice rural, je suis obligé d’en utiliser plusieurs : VetAppli/Vetelevage pour prescrire le plus correctement possible, réaliser mes protocoles de soins en mode opérationnel de contrôle lors de prescription hors examen clinique, réaliser mes suivis de fécondité, organiser mes dossiers élevage, Vétocom pour facturer, VetIMPRESS pour le volet parage et noter les lésions de boiteries, IAGEST pour saisir les inséminations bovines, Vetestel pour réaliser mes bilans sanitaires, BDiVET pour récupérer des données importantes lors de réalisation de bilan sanitaire d'élevage (mortalité, intervalle vêlage-vêlage…) ou de veille sanitaire et zootechnique chez mes éleveurs, etc. Malheureusement, tous ces outils ne communiquent pas ou trop peu entre eux. Il faut souvent que je procède à une double saisie des données, qui est une source de perte de temps (prescription et facturation par exemple) et de potentielles erreurs. De plus, je reçois encore des fichiers au format papier en ce qui concerne les contrôles laitiers. Jeune véto motivé, je prenais le temps de consacrer certains dimanches après-midi à saisir manuellement les données dans mon logiciel métier pour résoudre le problème de l’éleveur. Avec l’âge, je me suis usé et j’ai laissé tomber… 

Anne-Marie Lebis, ASV dans le Finistère

C'est un avantage extraordinaire

Le gain de productivité est une évidence. Vous imaginez sortir les fiches papier, les remplir, les reclasser alors qu’un établissement de soins vétérinaires accueille souvent plusieurs dizaines de clients par jour ? Le logiciel métier est indispensable. C’est un avantage extraordinaire. Aujourd’hui, on peut associer à la fiche patient tous les résultats de radiographies et d’analyses de laboratoires. Cela permet également de gérer les paiements et les mauvais payeurs. Parexemple, si un client qui n’a pas honoré sa dernière facture  revient à la clinique, il est pratique d’avoir l’information du non-paiement pour pouvoir le lui rappeler. Le logiciel métier sert aussi à gérer tous les plannings. On a abandonné l’agenda papier. Dans un planning informatisé, on peut créer des codes couleur par vétérinaire, par activité. Et on organise ainsi plus facilement les journées. Certains logiciels ont des fonctions très poussées. Quand le client appelle, il y a la reconnaissance du numéro. On a accès à sa fiche client automatiquement. Enfin, il donne des informations sur les fréquentations, reconnaît les meilleurs clients de la clinique, indique le revenu moyen que dégage chaque vétérinaire, etc. En tant qu’ASV, nous pilotons les achats, la facturation.

Céline Porret-Condamin (L 03), vétérinaire consultante dans le Rhône

« La difficulté à investir financièrement dans ces programmes »

J’ai déjà travaillé avec cinq logiciels métier différents. La seule critique que je peux formuler est le manque de personnalisation. Ce sont des outils très généraux. Au sein de ma précédente structure, nous avions sollicité plusieurs fois des améliorations. Nous étions même prêts à payer ces nouveaux développements tant ils pouvaient apporter à notre quotidien. L’éditeur n’avait pas donné suite, sans trop d’explications, ce qui est dommage. J’aurais aimé comprendre cette rigidité de développement, le prix ou les contraintes techniques, car ce n’est pas notre métier… Le frein au développement des logiciels me semble lié à la difficulté des vétérinaires à investir financièrement dans ces programmes. Pour accéder à un outil de qualité, il faut parfois augmenter notablement le budget dédié mais ce n’est pas forcément dans les habitudes de la profession. Les vétérinaires n’hésiteront pas à investir dans un échographe onéreux que l’on utilise peut-être cinq fois par jour alors qu’ils hésiteront à le faire dans un logiciel qui, pourtant, sert à tout le monde et tout le temps ! De plus, avec l’augmentation de la taille des équipes, la gestion de l’information devient vraiment stratégique. Le logiciel permet également de segmenter ses clients, de mieux gérer l’hospitalisation, de communiquer autour de ses services… 

Les logiciels

Liste publiée sur le site du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (Cnov) des logiciels disponibles sur le marché qualifiés Calypso : Argos (Action technologie), AssistoVet (AssistoVet Systems), Bourgelat (Digivet), Calypsoconnector (CIAG), dr.veto (Hubvet SAS), Epivet (Something Else), GmVET (SNC GMV), iVET (Le Martret), JVET (Selarl Symphovet), Koudou (ZooTIC SAS), My Vet Apps (Coveto), Simax (GCV), Starvet (Newtonik computer systems), Tracivet (RC Services), Vetdom (SAS Faget Viennet vétérinaires), Veto-Win (Soft-Lan SARL), Zoodiag (Empovet).

Logiciels en cours de tests sur l’environnement de préproduction Calypso (source CNOV) : Logivet (SO), Pegase (ByVets), Sirius (EnvA), SVG (Selas vétérinaire du Gouessant), VetAPPLI (SNGTV), Vet'Phi (Log'Phi assistance SARL), VES (Altitude Vet Software), Vetordo (Insight DBM-Décision Alpha), Vetoto (solution individuelle de gestion personnalisée), Vetup (Vetup SAS).