Communiquer pour gérer l’obésité - La Semaine Vétérinaire n° 2046 du 06/09/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2046 du 06/09/2024

Nutrition

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Propos recueillis par Tanit Halfon

La prise en charge médicale d’un chat ou chien en surpoids ou obèse passe aussi par une communication adaptée à ses propriétaires. Charlotte Devaux (L 12), vétérinaire nutritionniste, et créatrice du podcast « La truffe dans la gamelle », et Angélique Beaudoin, ASV référente en nutrition, nous livrent quelques clés pour les motiver à s’engager dans une démarche d'amaigrissement… et s’y tenir !

Y a-t-il une meilleure manière qu’une autre d’annoncer à un propriétaire que son animal est en surpoids ou obèse ?

Charlotte Devaux : l’objectif est d’amener les propriétaires à prendre conscience du surpoids de leur animal sans les braquer, ou leur donner l’impression qu’on les juge. Pour y arriver, j’utilise volontiers l’humour, avec quelques expressions comme « La cantine est bonne », ou bien encore en m’adressant à l’animal « Attention, ils t’engraissent pour te manger ! ». J’oriente aussi mon discours de telle sorte que les propriétaires arrivent à expliciter que leur animal est en surpoids. Je leur dis par exemple, « Il prend du poids tous les ans » ou « Je n’arrive pas à sentir les côtes à la palpation ». Ces propos, de simples constats sans jugement, peuvent les amener à répondre : « C’est peut-être qu’il est un peu trop gros. »

Angélique Beaudoin : on se doit d’adapter son discours au propriétaire. Par exemple, s’il est très proche de son animal, avec une tendance à l’anthropomorphisme, on va privilégier les mots les plus doux possibles, et ne surtout pas utiliser des termes trop directs comme « gras » ou « gros ». On peut leur montrer aussi la courbe de poids qui ne va pas dans le bon sens.

C. D. : il faut aussi avoir conscience que tant qu’on ne leur fait pas remarquer l’état d’embonpoint de leur animal, les propriétaires peuvent ne pas en être conscients ! Cela a été montré dans des publications. Pour certains, cela prendra du temps ; ils peuvent avoir tendance à négocier les premières années.

A. B. : voire à se réveiller très tard dans la vie de l’animal ! Des détenteurs viennent me voir avec un chat en obésité morbide déjà âgé d’une dizaine d’années, alors que, tous les ans, on leur avait bien expliqué qu’il faudrait faire quelque chose.

Certains vétérinaires pourraient se mettre des freins, en se disant qu’ils vont froisser les propriétaires, nuire à la relation client, voire craindre de se voir attribuer des motivations uniquement financières….

C. D. : il n’y a aucune raison de penser cela. Il s’agit d’une prise en charge médicale au même titre que tout autre trouble de santé. Un animal en surpoids vit deux ans de moins. Un chien en surpoids développe plus précocement de l’arthrose. Il faut vraiment que l’équipe médicale soit convaincue des bienfaits de la perte de poids.

A. B. : il faut dépasser ses propres freins qui peuvent amener à se dire que tel propriétaire ne paiera pas. L’obésité, en tant que maladie inflammatoire chronique réversible, doit être prise en charge de manière médicale. C’est notre travail de le proposer.

Comment faciliter la compréhension des propriétaires sur la démarche à suivre ?

A. B. : il convient déjà de prendre son temps, avec une consultation dédiée à cette problématique. Pour ma part, elle peut durer entre 45 min et 1 heure. De plus, il est très important d’absolument tout noter sur un support écrit, sans aucune ambiguïté. On peut y adjoindre une grille de perte de poids.

C. D. : certaines publications montrent que les propriétaires ne retiennent que partiellement ce qui est raconté en consultation. Rien ne remplace la puissance de l’écrit sur une ordonnance. Autre point aussi important : le suivi, qui permettra de s’assurer que les propriétaires ont bien compris et appliquent ce qui a été prescrit.

A. B. : le suivi doit être régulier. Je pense que le mieux est que ce soit la même personne qui revoit l’animal, afin d’adopter la même approche tout au long de la procédure. Certains font un suivi par téléphone, mail… Chacun trouve la bonne formule. Je préfère le présentiel, et je commence par des visites bimensuelles les trois premiers mois de prise en charge.

Comment inciter le détenteur à passer à l’action, et surtout à tenir sur la longueur ?

A. B. : il faut déjà se fixer des objectifs facilement et rapidement atteignables. Évidemment, les propriétaires doivent être conscients qu’ils s’engagent sur du long terme. Mais sans objectifs à court terme, de l’ordre de semaines à mois, le risque est de les perdre ! C’est aussi utile d’utiliser des illustrations d’animaux avant/après pour les motiver. Et les rassurer sur le fait qu’un régime n’est pas forcément synonyme de privation.

C. D. : il faut motiver par les bénéfices que l’animal va en tirer. L’animal va de nouveau bouger, sauter… Le poids utilisé dans les calculs de besoin énergétique n’est pas le poids réel qui devra être atteint – on n’y arrivera probablement jamais ! Le vrai objectif est l’amélioration de la qualité de vie de l’animal. Par exemple, on peut déjà se fixer trois mois de suivi avec le propriétaire. Si au bout de ces trois mois, la perte de poids a permis à l’animal de se déplacer beaucoup mieux, on peut se fixer un nouvel objectif de maintien de ce poids. Dans les publications, 6 % de perte de poids permettent déjà une amélioration de la mobilité.

A. B. : il faut aussi instaurer un climat de confiance afin que le propriétaire puisse avouer sans crainte l’échec de la prescription. Et a contrario, savoir se remettre en cause et réadapter sa prise en charge.

Comment réagir face à des propriétaires totalement hermétiques à toute remarque sur le poids de leur animal ?

AB : là, clairement, il faut sortir l’argument santé, être plus alarmiste éventuellement.

CD : il faut montrer que le surpoids de l’animal est un problème, par exemple en appuyant sur le fait qu’il a du mal à se lever, qu’il est essoufflé en balade… et insister sur le fait qu’on pourrait l’améliorer. Mais pour certaines personnes très hermétiques, cela peut ne pas fonctionner.

Est-ce plus difficile lorsque les propriétaires sont eux-mêmes en situation d’obésité ?

A. B. : mon discours est le même pour tout le monde. Je pense qu’il n’y a pas de lien entre le poids du propriétaire et celui de son animal. Il n’y a pas de freins à se mettre.

Prévenir le surpoids, c’est aussi une affaire de communication ?

C. D. : il faut dire aux propriétaires quand leur animal est à son poids de forme, afin qu’ils connaissent ce poids et la silhouette associée. L’utilisation de courbe de croissance en début de vie permet de leur donner un poids adulte à atteindre… et à ne pas dépasser ! Il faut aussi leur apprendre comment détecter le surpoids : plus de taille visible de profil et de côté, cotes difficiles à palper sans appuyer… Toute consultation est l’occasion de vérifier le poids de l’animal.

A. B. : le jour où le poids de l'animal correspond à son poids de forme, il ne faut pas oublier de le noter sur l’historique ! Au-delà du poids, on ne peut pas faire l’impasse d’un discours plus global sur l’hygiène de vie : par exemple, expliquer qu’un chien, cela ne sort pas uniquement 10 min le matin et 10 min le soir…

Charlotte, vous qui êtes présente sur les réseaux sociaux, est-ce aussi un levier pour lutter contre l’obésité ?

C. D. : Totalement. Je m’emploie à casser les mythes et les idées reçues pour le plus grand nombre. Il y a un énorme travail à faire. Rappelons qu’environ un chat sur deux est en surpoids en France. J’ai de bons retours, mais aussi des insultes de personnes qui me traitent de grossophobe pour chats ! Grâce à ce travail de vulgarisation, j’ai même réussi, via X, à faire maigrir des chats de personnes qui ont appliqué mes conseils et m’envoient des photos de leur animal avant/après.