Le boum démographique des vétérinaires - La Semaine Vétérinaire n° 2046 du 06/09/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2046 du 06/09/2024

Recensement

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Tanit Halfon

Le dernier Atlas démographique de la profession vétérinaire montre que le nombre d’inscrits au tableau de l’Ordre continue d’augmenter. L’exercice canin reste toujours le grand gagnant de cette dynamique positive, portée pour partie par des praticiens diplômés hors de France.

D’années en années, les vétérinaires inscrits au tableau de l’Ordre sont toujours plus nombreux, une trajectoire qui reste d’actualité selon l’édition 2024 de l’Atlas démographique de la profession vétérinaire. Au 31 décembre 2023, il est ainsi dénombré 21 494 vétérinaires inscrits au tableau de l’Ordre, soit une hausse de 3 % (650 vétérinaires) par rapport à l’année précédente. Si on regarde l’évolution depuis le premier Atlas publié de 2016 (données au 31 décembre 2015), la hausse est de 16 %, soit 3 430 vétérinaires de plus. Cette dynamique positive est permise par les plus de 1 000 entrants, contre 560 vétérinaires sortants.

À noter que cette année, les sortants du tableau de moins de 40 ans « sont en nette régression par rapport aux 5 dernières années », mais ils représentent encore 30,3 % des sortants, soit 170 vétérinaires de moins de 40 ans qui ont changé de métier. Au total, 560 vétérinaires sont sortis du tableau en 2022.

Des femmes toujours plus nombreuses

Le nombre de primo-inscrits a fortement augmenté : il est passé de 778 vétérinaires en 2015 (et 736 en 2010) à 1 168 en 2023. Soit une hausse de 58,7% (+ 432) en près de dix ans. Sur les cinq dernières années, la hausse a été de 20,7 %.

Sans surprise, les femmes représentent 69,4 % des primo-inscrits. Et portent une nouvelle fois la dynamique positive de la profession, avec une balance entrants/sortants des femmes positives (+ 633)… contre une balance entrants/sortants des hommes négatives (- 25). Au global, comme l’an dernier, les femmes représentent près de 60 % des inscrits au tableau de l'Ordre. Et 75,4 % des vétérinaires de moins de 40 ans, contre 74,8 % pour l’an dernier. Autrement dit, sur les cinq dernières années, la population masculine a diminué de 1,7 % (- 146), et la population féminine a augmenté de 25,7% (+ 2 632).

Le secteur des animaux de compagnie en forte hausse

Cette dynamique positive continue de profiter à l’exercice des petits animaux de compagnie : avec + 6,4 % de hausse, les vétérinaires du secteur augmentent de manière significative. L’an dernier, la hausse n’était que de 2,8 %. Au total, ils sont désormais 18 066 à déclarer une compétence animaux de compagnie, soit 84 % des inscrits. 66,4 % d’entre eux exercent de manière exclusive auprès de ces animaux, soit 11 996 personnes, et 20,9 % de manière prédominante, soit 3 774 diplômes. Cette tendance se retrouve chez les entrants qui déclarent à plus de 70 % une activité animaux de compagnie, dont 60 % de femmes et 40 % d’hommes.

Le secteur des équidés s’offre aussi une hausse de 3,3 % de vétérinaires déclarant une activité équine soit + 111 personnes. Au total, ils sont 3 426 à déclarer une compétence en équine soit 15,4 % des inscrits au tableau de l’Ordre. Mais parmi eux, seulement 36,1 % l’exercent de manière exclusive ou prédominante ; et 63,8 % l’exercent de manière occasionnelle.

À l’inverse, le secteur des animaux de rente subit une baisse d’effectifs : au 31 décembre 2015, ils étaient 6 976 à déclarer une compétence pour les animaux de rente contre 6 428 en 2023, soit une perte de 548 personnes. Au global, en 2023, ils représentent 15,2 % des vétérinaires inscrits. La baisse du nombre de vétérinaires à exercice exclusif animaux de rente ou à exercice mixte à prédominance rurale, est compensée par la hausse du nombre de vétérinaire déclarant une activité rurale à prédominance autre.

Le statut salariat continue de grimper

Les moins de 40 ans représentent 37,4 % des vétérinaires animaux de rente (2 407 vétérinaires) ; parmi eux, les femmes pèsent le plus, représentant 64,5 % des moins de 40 ans. En 2015, les vétérinaires animaux de rente représentaient 41,5 % de l’effectif des moins de 40 ans, dont 53 % de femmes.

Le statut salariat continue sa progression : les effectifs salariés du secteur libéral constituent 39 % des inscrits en 2023, actant une hausse de 5,8 % (+ 461). En face, 57,7 % des inscrits exercent en libéral ; cette population reste stable. 73,3 % des vétérinaires de moins de 35 ans exercent avec un statut de salarié du secteur libéral. Au global, les vétérinaires salariés sont majoritairement des femmes (>70 %), et les vétérinaires libéraux sont pour moitié des hommes (un peu plus de 50 %).

L’Europe, vivier des vétérinaires de France

Le dynamisme de la profession est rendu possible grâce à l’Europe, et dans une moindre mesure aux pays tiers. Sur les 21 494 inscrits, 34 % sont diplômés d’un autre pays que le France, dont 95 % d’un pays européen : autrement dit, sans Europe, la population vétérinaire serait divisée d’un tiers !

En zoomant sur les primo-inscrits de 2023, 53,8 % d’entre eux ont été diplômés d’une école autre qu’une école nationale vétérinaire (ENV)… contre 39,5 % en 2015 ! Cette hausse significative n’est plus portée uniquement par la Belgique. En 2015, la Belgique fournissait 23,5 % des primo-inscrits ; en 2023, elle n’en fournit plus que 14,3 % (167 diplômés). Depuis 2022, c’est l’Espagne qui mène la danse, et pour 2023, le pays fournit 16,5 % des primo-inscrits (193 diplômés). Mais un autre pays pourrait bien le devancer : la Roumanie pèse désormais en effet pour 10,5 % des primo-inscrits... contre 1,3 % en 2015 !

Ces primo-inscrits diplômés hors de France sont en grande partie des Français, 419 au total, en forte hausse, + 16 %, par rapport à 2022 ! Au vu de cette dynamique, il n’est pas certain que la hausse attendue des promotions des ENV (720 nouveaux vétérinaires diplômés chaque année), et la promotion d’UniLaSalle (120 étudiants), inversent la tendance.

Questions à… Éric Sannier (A 91)

« De tout temps, la profession a démontré sa capacité à s'adapter »

Des nouvelles attentes des diplômés aux enjeux des politiques publiques, ce praticien, élu du Conseil national de l'Ordre des vétérinaires en charge de l'Atlas démographique de la profession*, fait le point sur les constantes évolutions de la profession.

Peut-on espérer que la dynamique positive de la population vétérinaire, associée à la hausse des promotions des écoles nationales vétérinaires (ENV) et la promotion supplémentaire d’UniLaSalle, permettra enfin aux praticiens de recruter avec moins de problèmes ?

Le nombre de vétérinaires formés a indéniablement été un facteur de difficulté de recrutement des confrères. Il est difficile aujourd’hui de dire si cette augmentation suffira à résoudre le problème, car il est multifactoriel. Toutes les analyses de la démographie de notre profession démontrent que le modèle d’exercice, tant en volume de travail qu’en choix entre activité libérale et salariat des années 2000, est révolu. Les vétérinaires aspirent à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, ce qui influence fortement les besoins en nombre de diplômés. Il est aujourd’hui impossible d’estimer le point d’équilibre tant que les difficultés de recrutement dues à un manque de diplômés, observées actuellement, ne seront pas résolues. Au-delà du contexte général du marché des postes vétérinaires disponibles, la prise en compte de l’attractivité de chaque offre d’emploi revêt une importance particulière.

Le secteur des animaux de rente continue sa baisse. Quelles sont les perspectives attendues en matière de politiques publiques, par rapport à tout ce qui a été fait jusqu’à présent ?

Les travaux désormais quasi finalisés relatifs au contrat de suivi sanitaire permanent, en précisant le principe du vétérinaire traitant unique comme seul responsable du suivi sanitaire permanent d’un élevage, sont un signal fort de la volonté du ministère en charge de l’Agriculture et de la Souverainneté alimentaire de consolider la relation vétérinaire-éleveur et l’importance accordée au réseau des vétérinaires de proximité. Les réflexions actuelles sur les missions et la rémunération du vétérinaire sanitaire sont à considérer comme l’autre signal fort attendu par la profession vétérinaire même s’il convient de constater que l’issue de ce dossier traîne à se décanter. Si les mesures prises en faveur du maintien de l’offre de service par les vétérinaires sont importantes, elles ne se substituent pas sur le long terme à la baisse du nombre des élevages et du cheptel français observés ces dix dernières années. L’enjeu pour les politiques publiques est aussi de maintenir dans les territoires une densité d’élevages compatible avec l’ambition affichée de souveraineté alimentaire. La viabilité économique du secteur de l’élevage l’emportera immanquablement à terme sur toute autre considération. De tout temps, la profession vétérinaire a démontré sa capacité à s’adapter aux différentes évolutions sociétales et aux demandes des propriétaires d’animaux qu’ils soient de rente, de sport, ou de compagnie. Elle devra une nouvelle fois savoir faire les choix qui s’imposent.

La hausse du salariat est-elle un signal négatif pour le secteur des vétérinaires praticiens ?

La hausse du nombre de vétérinaires inscrits qui choisissent le salariat apparaît aujourd’hui comme un choix de carrière assumé. Il est indéniable que ce choix a un impact sur le secteur vétérinaire, les praticiens optant pour ce mode d’exercice sur une longue période n’ayant pas les mêmes objectifs professionnels que ceux qui privilégient une activité libérale. On peut raisonnablement penser, au regard des évolutions sociétales et des nombreux jeunes vétérinaires diplômés dans les années à venir, que la part des vétérinaires inscrits choisissant l’activité salariée continuera à croître jusqu’à un point d’équilibre, actuellement difficile à déterminer. Néanmoins, le maintien d’une activité libérale suffisante, quel que soit son modèle et en l’état des textes réglementaires actuels, restera une condition nécessaire et limitante à l’existence et au développement de l’activité salariée des vétérinaires praticiens.

Le nombre de primo-inscrits diplômés d’une école autre qu’une ENV continue sa hausse. Peut-on vraiment espérer enrayer cette tendance de fond ?

Saluons tout d’abord les décisions prises par le ministre en charge de l’Agriculture pour préserver la formation vétérinaire française et augmenter sa capacité à diplômer ses cadres vétérinaires sur lesquels repose le modèle sanitaire français. Pour autant, il convient aussi de constater l’engouement pour les métiers de vétérinaire dont la médecine et la chirurgie des animaux, plus largement pour tous les métiers autour de l’animal. Les vocations sont souvent fortement ancrées et depuis le très jeune âge. Aussi rien ne permet aujourd’hui d’affirmer que l’augmentation de la capacité de diplomation des écoles vétérinaires françaises se traduira par moins de diplômes en provenance des pays membres de l’Union européenne. Le suivi du nombre d’étudiants français en cours de formation dans les écoles ou universités vétérinaires européennes tend à démontrer que les deux voies pour accéder à l’exercice de la profession vétérinaire en France sont décorrélées, d’autant plus dans un contexte de financiarisation du secteur économique de la formation vétérinaire.

* Également conseiller en charge de la commission observatoire national démographique de la profession vétérinaire.