Quelles solutions pour diminuer les émissions de méthane de l'élevage ? - La Semaine Vétérinaire n° 2046 du 06/09/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2046 du 06/09/2024

Environnement

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Par Ségolène Minster

Le conseil général de l’alimentation, l’agriculture et des espaces ruraux a étudié les moyens techniques mis en œuvre par huit pays pour diminuer les émissions de méthane de l’élevage. La mission conclut qu’il n’y a pas une unique solution mais plutôt « un ensemble de leviers à mobiliser et à adapter selon le système d’élevage, le territoire et les acteurs ».

À la demande du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, le conseil général de l’alimentation, l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) vient de réaliser un parangonnage, c’est-à-dire une analyse comparative, des leviers techniques pour diminuer le méthane en élevage mis en œuvre par des grands pays d’élevage. Ce gaz à effet de serre (GES) à un fort pouvoir réchauffant, mais des stratégies existent pour réduire ses émissions de manière substantielle. La mission s’est intéressée en particulier à huit pays, où le méthane agricole occupe une part importante des gaz à effets de serre : Pays Bas, Danemark, Allemagne, Irlande, États-Unis, Nouvelle-Zélande, Australie et Brésil.

Des stratégies variées

L’objectif de diminution des émissions de méthane repose sur des motivations généralement doubles pour les acteurs : atteindre des objectifs nationaux, tels que la stratégie nationale bas carbone pour la France (qui est la feuille de route pour lutter contre le réchauffement climatique) et afficher des performances environnementales à l’export. C’est le cas pour les pays caractérisés par un système herbager extensif, tels que l’Australie et la Nouvelle-Zélande et qui communiquent sur la faible empreinte carbone de leurs productions.

Certains pays ont au contraire choisi l’intensification et la maximisation de la production : c’est le cas de l’Irlande et des Pays Bas. Ce dernier est confronté au problème d’eutrophisation des cours d’eau, en raison des rejets dans le sol des effluents d’élevage, riches en nitrates. Les dépôts azotés aériens altèrent les écosystèmes protégés. Avec un territoire contraint, « la réduction du nombre d’animaux représente la seule solution à ces problèmes environnementaux », indique le rapport du CGAAER. Depuis 2023, le gouvernement des Pays Bas a engagé un politique de cessation d’activité des élevages, et rachète les actifs d’exploitation, notamment celles à proximité des zones Natura 2000.

Des freins et une faible acceptabilité

Les stratégies de réduction du cheptel demeurent des sujets sensibles, coûteux et lents à déployer. La France connaît une baisse conjoncturelle de son cheptel bovins depuis une dizaine d’années, néanmoins le plan gouvernemental de reconquête de notre souveraineté sur l’élevage présenté le 25 janvier dernier, avait souligné que « la réduction de la taille de notre cheptel d’élevage en France n’a jamais constitué et ne saurait constituer un objectif de politique publique ».

Les auteurs du rapport notent également que « pour des raisons d’acceptabilité et de fragilité du modèle économique de notre élevage, il ne paraît pas envisageable de mettre en place des dispositifs réglementaires ou financiers pour contraindre les éleveurs à réduire les émissions de méthane de leur cheptel. Le déploiement des techniques ne se fera qu’à la condition que le marché rémunère les productions (lait et viande) certifiées “bas carbone” ».

Les leviers techniques étudiés

L’optimisation de la conduite du troupeau, en limitant les périodes improductives : baisse de l’âge du premier vêlage, allongement des carrières pour les laitières, amélioration de la santé et limitation du format des animaux. Selon une hypothèse de l’Institut national de la recherche agronomique (INRAE), un objectif de baisse du poids des vaches laitières est atteignable en dix ans, et induirait une baisse de 5 % du méthane émis.

La génétique orientée méthane est une voie qui intéresse les pays objets de l’étude ; elle est efficace à moyen terme. Aux Pays Bas, le critère « émissions de méthane » a été phénotypé sur une partie de la population bovine, afin de développer un index disponible à l’horizon 2025.

Des régimes alimentaires moins méthanogènes. Ils contiennent moins de cellulose ou celle-ci est remplacée par des lipides. Cette dernière voie a été choisie au Danemark, où « le gouvernement vise une augmentation des teneurs en lipides dans l’alimentation des ruminants ». Une solution néanmoins coûteuse : l’apport de lin dans la ration est estimé à 267 € par tonne de CO2 évité. Le Brésil et l’Australie ont fait le choix de l’engraissement intensif dans des feed-lots, avec l’utilisation de concentrés. Une solution qui pose des questions environnementales, éthiques et de bien-être, et plus volatile face aux variations des marchés internationaux (coût des intrants et des prix de vente des produits).

Les additifs alimentaires. Ils attirent aussi l’attention, à en juger les nombreuses publications scientifiques et techniques à leur sujet : nitrates, 3-nitrooxypropanol (3-NOP), algues, antibiotiques (monensin), huiles essentielles, tannins et saponines limiteraient la méthanogenèse. Le 3-NOP réduirait en moyenne les émissions des vaches laitières de 30 %, mais nécessite des apports réguliers sur la journée (toutes les 3-4 heures). Le Danemark a choisi de verser une aide aux éleveurs pour l’achat de cet additif. Bien que son coût soit estimé à environ 80 €/an/vache laitière, cette solution demeure plus économique que l’incorporation de lipides dans la ration. Le centre de recherche agronomique irlandais (Teagasc) étudie l’utilisation d’algues qui se trouvent en abondance sur la côte irlandaise. En Nouvelle-Zélande, le programme gouvernemental « CALM » (Cut Agricultural Livestock Methane) développe un bolus relarguant du tribromométhane dans l’estomac des ruminants.

La maturité, la qualité de l’herbe et la composition des prairies influencent également la méthanogenèse des ruminants. Selon des chercheurs irlandais et hollandais, « la saison et la hauteur de l’herbe ingérée par les ruminants influencent les émissions de méthane. L’herbe de printemps, moins riche en cellulose, est moins méthanogène que l’herbe d’été ou d’automne ». Il est aussi judicieux d’introduire des plantes riches en tannins dans les prairies (plantain, chicorée, sainfoin…). Les prairies présentent de toute manière des vertus liées à leur capacité de stockage du carbone, de réduction de l’utilisation de fertilisants ou à l’absence de compétition entre alimentation animale et humaine. 

Parmi ses recommandations, la mission du CGAAER préconise de porter les efforts de communication et de conseil des coopératives et chambres d’agricultures sur la diminution des périodes improductives des animaux et l’évolution de l’alimentation. Ces leviers sont identifiés comme les plus efficaces et opérationnels pour réduire les émissions de méthane des ruminants. Cependant « l’amélioration du bilan carbone des élevages de ruminants ne passe pas que par la réduction du méthane entérique et une meilleure gestion des effluents » concluent les auteurs. Une grande partie de l’impact carbone de l’élevage provient de l’alimentation des animaux et notamment de la fertilisation des cultures fourragères, fortement émettrices de protoxyde d’azote. Un meilleur couplage entre cultures et élevage est nécessaire. Des incertitudes demeurent sur le modèle économique à adopter : pour être initiés par les éleveurs, les efforts de réduction des GES devraient être valorisés par le marché. Comme certains pays étudiés, cela pourrait passer par la rémunération des services environnementaux ou la prise en compte des émissions des élevages dans les bilans carbone des entreprises agroalimentaires.