De l'entêtement lors d'un litige de vente - La Semaine Vétérinaire n° 2048 du 20/09/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2048 du 20/09/2024

Jurispridudence

ENTREPRISE

Auteur(s) : Par Céline Peccavy

Une chienne vendue pour une destination de compagnie aurait présenté des signes de boiterie peu de temps après. Un rapport d'expertise conclut pourtant que l'animal est conforme à son usage. Les propriétaires pourront-ils remettre en cause cette décision ? Rien n'est moins sûr… 

Les faits selon la version des acheteurs : au cœur du litige se trouve la chienne P, de race dogue de Bordeaux, née en novembre 2019. P est cédée par Madame V, éleveuse, à M. et Mme A le 10 avril 2020 pour le prix de 1 200 €. L’acte de vente fait mention d’une destination de compagnie. Quelques semaines seulement après, P aurait présenté des signes de boiterie, de façon occasionnelle, qui ont commencé à inquiéter ses propriétaires. Le 2 juin 2020, P est donc emmenée chez le vétérinaire. Des anti-inflammatoires sont prescrits ainsi que des compléments alimentaires. Néanmoins, P aurait continué à présenter des épisodes de boiterie. Les époux A auraient alors pris des renseignements et il leur aurait été conseillé de faire réaliser un dépistage de dysplasie lorsque la chienne serait âgée de 15 mois. En application de ces conseils, les époux A auraient fait effectuer les divers examens le 30 avril 2021 et demandé ensuite leur interprétation par le lecteur officiel du club. Verdict le 10 mai 2021 : dysplasie coxo-fémorale moyenne à droite et à gauche (D) et dysplasie du coude sévère à droite et à gauche (3). Un scénario qui s’annonce a priori très mal pour l’éleveuse.

Les non-dits

Derrière cet achat qui aurait été fait par des particuliers d’une chienne en souffrance de ses maladies, se cachent des vérités bien différentes. Ainsi, Madame A a officiellement fondé son élevage canin en avril 2021. Elle n’est donc pas un consommateur lambda. La chienne P ensuite a été présentée avec succès à l’examen de confirmation et c’est dans le même temps que les radios ont été faites en 2021 dans le cadre des recommandations du club de la race pour les chiennes reproductrices. Enfin, le dossier médical de la chienne ne fait apparaître que la prescription des anti-inflammatoires en juin 2020. Pas d’autre consultation. Aucune intervention chirurgicale.

De l’amiable au référé

Les parties s’opposent radicalement ici et toutes les tentatives d’accord en passant par la conciliation vont donc échouer. Les époux A décidés à obtenir indemnisation saisissent en conséquence la justice le 11 avril 2022 aux fins d’obtenir une expertise judiciaire.

Procédure de référé

Le juge des référés de Carcassonne va faire droit à la demande des époux A et désigne comme expert le docteur vétérinaire E. Les époux A sont confiants. Au fil des réunions, ils vont cependant vite déchanter. Le fait que Mme A soit professionnelle, le fait que la chienne ne semble pas souffrir dans son quotidien de ses dysplasies et qu’aucune intervention chirurgicale ne soit donc préconisée vont convaincre l’expert de conclure que la chienne est conforme à ce qu’il est raisonnable d’attendre d’un chien d’agrément et de compagnie. Pour les époux A c’est la douche froide.

Procédure au fond en indemnisation

Un rapport d’expertise défavorable décourage la plupart du temps et très logiquement de poursuivre la procédure judiciaire. Les époux A, eux, n’ont pas renoncé. Ils considèrent et concluent devant le juge à compter de juillet 2023 que l’expert judiciaire n’a strictement rien compris à l’affaire. Ils sollicitent en conséquence la condamnation de Mme V à restituer la somme de 600 € au titre d’une partie du prix de vente, à verser la somme de 2 500 € à titre de réparation de leur préjudice moral et financier lié à la nécessité d’assurer un suivi régulier de leur chienne auprès du vétérinaire durant le reste de la vie de P en raison de sa dysplasie, à verser enfin la somme de 2 000 € à titre de réparation de leur préjudice de jouissance.

Décision finale du tribunal

Les époux A ont joué et ils ont perdu. Le tribunal sans véritable surprise a considéré que l’existence d’un défaut de conformité de la chienne n’était pas établi et a débouté les requérants de toutes leurs demandes.

En conclusion : s’il n’est pas impossible de remettre valablement en cause un rapport d’expertise judiciaire, cela reste tout de même assez rare.

  • Source : Commentaire du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Carcassonne le 9 juillet 2024.