Infodémie : quand le « trop d'infos » nuit à la santé - La Semaine Vétérinaire n° 2048 du 20/09/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2048 du 20/09/2024

Enquête

DOSSIER

Auteur(s) : Catherine Bertrand-Ferrandis (T 06), spécialisée dans la communication des risques, la gestion de l'infodémie et la formation des professionnels de la santé à l'échelle internationale [société de conseil OLYLO].

Désinformation, défiance, épuisement informationnel, rumeurs galopantes sur les réseaux sociaux : la crise du Covid-19 a braqué les projecteurs sur ce phénomène peu connu de la surabondance d’informations. Si ses impacts sont largement discutés en santé humaine, qu’en est-il de la pratique vétérinaire, et comment y faire face à l'avenir ?

Même en étant le plus pragmatique des praticiens de notre beau pays, les aventures du petit coronavirus SARS-Cov-2 et la déferlante informationnelle qui les a accompagnées ont pu conduire à une remise en question des certitudes médicales… pourtant ancrées sur le savoir et l’expérience acquis au fil des années. Rien de surprenant à cela. La population tout entière a été plongée dans la nébuleuse de mésinformations et de désinformations qui a accompagné la crise sanitaire. Ce dossier invite donc à explorer le phénomène pour, à l’avenir, mieux l’anticiper et en prévenir les conséquences.

L'excès source de confusion

Notre écosystème d’informations s’est métamorphosé sur la forme et le fond au cours des dernières décennies. Vitesse de communication et quantité se sont décuplées. Si l’on ne parle que du secteur médical, alors qu’en 1980 il fallait environ sept ans pour doubler la quantité d’informations médicales, il ne fallait plus que soixante-treize jours en 20201. C’est dans ce contexte qu’a pris forme le nouveau phénomène d’infodémie, que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit comme "un excès d'informations, y compris d'informations fausses ou trompeuses, dans les environnements numériques et physiques lors d’une épidémie ou autre urgence sanitaire" 2. Ce trop-plein est formé d’un mélange complexe de questions, de recherche d’informations, d’inquiétudes, de faits, de rumeurs, de désinformations et de mésinformations, qui circulent en ligne mais aussi hors ligne, jusque dans les discussions les plus anodines. Un phénomène aujourd’hui communément reconnu comme source de confusion et de comportements à risque pouvant nuire à la santé. Il peut également entraîner une méfiance à l'égard des autorités sanitaires et diminuer l’adhésion aux mesures sanitaires d’urgence 3. Les impacts ne s’arrêtent pas à la santé humaine, comme en témoigne Maxime Birague (T 04), vétérinaire équin : « Je suis confronté quasi quotidiennement à la mésinformation, en particulier dans le domaine de la médecine préventive. Certains propriétaires refusent de suivre un protocole de vaccination réglementaire ou tout simplement de vacciner. Ce phénomène s’est amplifié à la suite de la crise Covid, avec une remise en cause de son utilité ou de son efficacité. On retrouve la même problématique concernant la vermifugation, s’appuyant sur des études non significatives, ou encore en nutrition où les demandes des propriétaires ne sont plus en adéquation avec les besoins physiologiques des chevaux. » On estime que 51 % des posts associés aux vaccins contiennent de la mésinformation4.

Pavée de bonnes intentions…

S’il existe des désinformateurs professionnels et malveillants pour des raisons politiques ou financières, le gros de l’infodémie est formé d’informations vraies, erronées et/ou mal interprétées colportées de clic en clic et de bouche à oreille sans intention de nuire, bien au contraire5. C’est ce que l’on appelle la mésinformation. Le résultat est identique à celui de la désinformation, à savoir une confusion et une hésitation comportementale, mais les solutions à y apporter diffèrent légèrement. La mésinformation se présente souvent de façon attractive et simple à comprendre. Elle prend certes des formes choquantes, inquiétantes mais aussi ludiques ou humoristiques. On la partage donc facilement sur les réseaux ou dans les dîners, pour prévenir son entourage, alerter, amuser, ou même s’occuper dans une file d’attente. La mésinformation circule donc vite et revient de nombreuse fois dans les conversations. Sa prévalence est écrasante en ligne : jusqu'à 40 % des posts sur les réseaux sociaux contiennent des mésinformations sur la santé liées aux vaccinations, troubles alimentaires, traitements ou aux maladies chroniques, y compris le cancer6. Or, en santé humaine, près de trois quarts (72 %) des personnes utilisent d'abord Internet lorsqu'elles ont besoin d'informations relatives à la santé7. Si l’on part de l’hypothèse qu’il en va de même pour les propriétaires d’animaux, et que l’on y ajoute une pincée d’anthropomorphisme, la clientèle vétérinaire arrive souvent en consultation avec une idée préconçue et donc mésinformée de la problématique de leur compagnon à poil ou à plume. « Pour moi, s’il y a un effet Covid, je ne l’identifie pas vraiment sur la quantité de mésinformation, mais sur le fait que les propriétaires tiennent plus facilement qu’avant des discours anti-science et anti-médecine conventionnelle », témoigne Hélène Istas (T 08), vétérinaire mixte reconvertie dans la formation. Le tout sans mauvaise intention, mais avec l’assurance forgée par la familiarité de la mésinformation lue et entendue maintes fois. Il est donc compréhensible que l'avis contradictoire du vétérinaire puisse être perçu comme choquant s’il est asséné de façon brutale ou sans avoir pris en considération la croyance formée sur la base de mauvaises informations. Pour preuve : une fausse information diffusée sur Twitter peut atteindre cent fois plus d’utilisateurs qu’une information véridique8.

S'exprimer sur les réseaux sociaux ?

Donner son avis sur les réseaux sociaux, est-ce une bonne idée ? Oui, les réseaux manquent de voix scientifiques pour contrebalancer la mésinformation. Mais attention à ne pas se lancer sans préparation ! La règle d’or n° 1 est de savoir que chercher à faire changer d’avis une personne sur les réseaux est souvent peine perdue Entrer en conflit frontal (« Ce que vous dites est faux ») avec elle est même contreproductif. La règle n° 2 est de se concentrer sur les faits, rien que les faits, et de bien vérifier les sources avant de s'exprimer. Nous pouvons nous aussi, professionnels de santé, mésinformer notre entourage sans le vouloir. La règle n° 3 est de créer et d'entretenir une communauté qui accueillera conseils et informations avec confiance. Pour cela, il faut rester attentif aux inquiétudes des clients et y répondre le plus clairement possible.

Les vétérinaires eux aussi touchés ?

La réponse est oui, malheureusement. L'exposition constante à des informations erronées peut entraîner une double perte de repères, professionnels et personnels. D’une part, les propriétaires, exposés à des informations contradictoires, deviennent méfiants et demandent plus de justifications pour les actes médicaux. Cette situation dégrade non seulement les conditions de travail des équipes vétérinaires, mais augmente aussi leur stress. Les études des vétérinaires et leur savoir scientifique ne les protègent pas complètement de l’infodémie et de la désinformation. Une simple raison à cela : ils sont humains. Leur cerveau fait face au même environnement sursaturé d’informations, et est soumis aux mêmes biais cognitifs que leurs clients ou leur entourage. Biais de familiarité, biais de disponibilité, biais de confirmation, chacun pouvant perturber leur jugement et leurs interprétations des faits, études ou symptômes9. Cela aura non seulement des conséquences personnelles sur leur santé, mais aussi professionnelles, car elles peuvent les empêcher de réaliser leur métier de soignants correctement. Certains acteurs de santé ont beaucoup pris la parole pendant la pandémie, et ont largement répandu des informations fausses ou erronées. Sans intentions malveillantes peut-être, mais le mal était fait.

Les pros force de contre-proposition

La situation n’est pourtant pas désespérée, et des solutions existent. Mais pour cela, l’ensemble des professionnels de santé, en bon esprit One Health (Une seule santé), doivent plus que jamais prendre en compte leur rôle dans l’éducation et l’information des clients ou patients face à une science en constante évolution. En leur transmettant des informations bien sûr, mais aussi en les orientant pour qu’ils se constituent un environnement d’information sain. Voici un plan en trois étapes : se former soi-même sur l’infodémie, sur la vérification des faits et sur les techniques d’identification des mésinformations. Pour cela il existe des cours en ligne gratuits sur la plateforme de formation de l’OMS, OpenWHO. org. Étape 2 : il est recommandé de faire le ménage dans son propre environnement d’informations, d'identifier les sources fiables et les canaux qui polluent. Enfin, il est possible d'introduire dans sa conversation avec les clients deux questions très simples : « Avez-vous une idée de la raison de ces symptômes ? », pour les encourager à exprimer leur avis et pouvoir ainsi savoir quelles mésinformations il va falloir déconstruire ; et « Où trouvez-vous vos informations lorsque vous avez des questions sur la santé de votre animal ? » pour permettre d’ouvrir une discussion sur les dangers de la mésinformation, et de partager avec le propriétaire ce qui aura été appris à la première et à la seconde étape. Il ne faut pas non plus hésiter à parler de sa propre expérience avec l’infodémie, c’est aussi ce partage qui permettra de créer du lien avec le propriétaire devenu méfiant.

Et l'IA, chance ou malédiction ?

Les deux mon capitaine ! D’une part, les nouvelles intelligences artificielles (IA) génératives permettent la création et la diffusion rapide de fausses informations médicales à grande échelle, rendant la distinction entre faits et fiction encore plus ardue pour le grand public. D'autre part, l'IA permet d’analyser de vastes quantités de données en temps réel pour détecter et signaler la propagation de fausses informations, aider à vérifier les faits automatiquement, et même personnaliser la diffusion d'informations sanitaires fiables en fonction des besoins spécifiques des utilisateurs. Beaucoup de travail reste à faire pour que la balance penche du bon côté !

Épidémies et pandémies vont continuer à apparaître. De nouvelles infodémies les accompagneront. Il est donc essentiel de construire les bases de la résilience à la mésinformation dès maintenant en prenant conscience du phénomène d’infodémie, en se formant à prévenir ses conséquences et en s'assurant de construire un environnement d’informations sain pour nous-même, comme pour les patients, clients et communautés. La bonne nouvelle dans tout cela est que les compétences relationnelles des vétérinaires jouent un rôle essentiel. Il faut plus que jamais (ré)apprendre à être et rester humains pour préserver la santé, celle des patients à poil et à plumes, celle de leurs propriétaires et celles des équipes vétérinaires.

Les bons mots

Infodémie : excès d'informations, y compris d'informations fausses ou trompeuses, dans les environnements numériques et physiques lors d’une épidémie ou autre urgence sanitaire.

Mésinformation : information fausse ou erronée partagée sans intention de nuire.

Désinformation : fausse information intentionnellement créée ou transmise avec un but mercantile, politique ou autre.

Quelle est votre avis sur l’impact de la mésinformation sur votre pratique ?

Un questionnaire a été envoyé aux vétérinaires par La Semaine Vétérinaire grâce à la base de données de l'annuaire Roy. Élaboré par l’autrice de ce dossier, il comportait dix questions visant à un tour d’horizon du sentiment des vétérinaires sur l’impact de la mésinformation en santé sur leur pratique, en comparaison avec la situation pré-COVID-19.

Nombre de réponses : 227 (72 % de vétérinaires en pratique canine, 19 % en mixte, 5 % en rurale, 3,5 % en équine, 0,5 % en faune sauvage).

Limites : Il n'est pas possible de savoir qui a réellement répondu au questionnaire au sein de la clinique (avis émanent des acteurs de la pratique vétérinaire), il n'y a pas de représentation géographique de la France, cependant la répartition du type de pratique est alignée avec le pourcentage des inscrits en fonction des espèces traitées déclarées en 20221. Enfin, les termes désinformations/mésinformations/fausses informations/fake news/informations erronées n’ont pas été différentiés dans cette étude, afin de ne pas en complexifier la compréhension par les participants.

Résultats :

47 % des répondants rapportent que plus de 1 client sur 4 a exprimé une croyance erronée sur la santé animale dans les 12 derniers mois.

Pour 34 % des répondants, corriger les idées fausses représente 1 à 2 heures de travail en plus par semaine qu’avant la crise de la COVID. 13 % estiment cette charge supplémentaire à plus de 2 heures par semaine.

65 % des répondants n’observent pas d’augmentation du nombre de consultations liées aux croyances incorrectes, ou bien légère.

La mésinformation est considérée par les vétérinaires comme très répandue, atteignant même plus de 1 client sur 2 pour près de 20 % d’entre eux. Si le nombre de consultation pour croyances incorrectes ne change pas, ils passent plus de temps à corriger les idées fausses.

Thèmes principaux de mésinformation :

L'alimentation est clairement le sujet le plus fréquemment concerné par la mésinformation/désinformation, avec plus de 76 % des réponses.

La vaccination arrive en deuxième position, touchant 63 % des cas.

Les traitements naturels, les réalités de la profession vétérinaire et les traitements alternatifs complètent le top 5 des sujets les plus touchés.

Internet et les réseaux sociaux sont cités comme source principale de mésinformation.

Impacts sur la relation vétérinaire/clientèle : seulement 7,5 % des répondants ont déclaré ne pas voir d’impact sur la relation avec la clientèle. À l’inverse, 17 % considèrent comme considérable l’effet négatif de la mésinformation en santé sur la relation entre les vétérinaires et les clients, voire extrêmement négatif (1 %). En moyenne, les répondants considèrent la relation « modérément » impactée.

À noter : il ne semble pas y avoir de corrélation entre l’environnement de pratique (urbain ou rural) et la dégradation de la relation client/vétérinaire.

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  • 6. Suarez-Lledo V, Alvarez-Galvez J. Prevalence of health misinformation on social media: systematic review. J Med Internet Res. 2021 Jan 20;23(1):e17187. doi: 10.2196/17187. https://urlz.fr/s7Yh
  • C.S. Webster, S. Taylor, J.M. Weller, Cognitive biases in diagnosis and decision making during anaesthesia and intensive care, BJA Education, Volume 21, Issue 11, 2021, Pages 420-425, ISSN 2058-5349. https://urlz.fr/s7Za
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