Urologie
ANALYSE CANINE
Auteur(s) : Par Tanit Halfon
Dans une étude prospective menée par des vétérinaires de l’École nationale vétérinaire d’Alfort chez des chats présentant une atteinte du tractus urinaire, une augmentation de la concentration sérique en amyloïde A était associée à une pyélonéphrite.
Le diagnostic d’une pyélonéphrite chez le chat est souvent difficile (voir encadré). Les signes cliniques associés ne sont pas spécifiques. De plus, la confirmation diagnostique repose sur la culture bactérienne des urines pyéliques : ceci impose la réalisation d’une pyélocentèse échoguidée. Ce geste est risqué, et ne peut pas être réalisé en cas de dilatation pyélique insuffisante. Dans ce contexte, des vétérinaires de l’École nationale d’Alfort (ENVA) ont évalué l’intérêt du dosage de la protéine sérique amyloïde A (serum amyloid A [SAA]), comme possible indicateur biologique, non invasif, d’une pyélonéphrite active. Ce travail a été publié dans le Journal of Veterinary Internal Medicine*. La SAA est une protéine de la phase aiguë de l’inflammation, décrite dans des publications antérieures comme marqueur d’un processus inflammatoire, mais ses capacités diagnostiques dans l’exploration des pyélonéphrites n’avaient pas été évaluées.
Une centaine de cas
Cent vingt-cinq chats présentant une atteinte du haut ou du bas appareil urinaire ont été inclus et répartis en deux groupes : le premier pour lequel une pyélonéphrite avait été confirmée (groupe 1a, n=8) ou fortement suspectée (groupe 1b, n=9) ; et le second pour lequel la maladie avait été exclue avec certitude (groupe 2a, n=108) ou de manière très probable (2b, n=24). La confirmation ou l’exclusion d’une pyélonéphrite était établie sur les résultats de l’uroculture d’urines prélevées par pyélocentèse ; et la forte suspicion était basée sur une évolution clinique compatible, et la validation d’au moins trois des critères suivants : azotémie, uroculture positive par cystocentèse (ou par prélèvement d’urines via un système de dérivation urétérale si présent), hyperthermie, dilation échographique pyélique.
Caractérisation d’un seuil optimal de diagnostic
L’analyse des résultats identifie que la concentration médiane en SAA était significativement plus élevée dans le groupe 1a, par rapport aux groupes 2a et 2b ; de même pour le groupe 1b par rapport aux groupes 2a et 2b. Par ailleurs, la proportion de chats présentant une concentration en SAA dépassant la borne haute de l’intervalle de référence était significativement plus importante dans le groupe 1a que dans les groupes 2a et 2b. Même chose pour le groupe 1b. Le seuil diagnostique idéal a été calculé à 51 mg/l : une concentration en SAA dépassant cette valeur différenciait une pyélonéphrite d’une autre atteinte du haut ou bas appareil urinaire avec une sensibilité de 88 % et une spécificité de 94 %. À noter que certains chats du groupe 2b avaient reçu des antibiotiques : une fois exclus des analyses statistiques, le seuil de diagnostic optimal était de 25 mg/l, et associé à une sensibilité de 100 % et une spécificité de 94 %.
Ces capacités diagnostiques étaient supérieures à celles des marqueurs inflammatoires classiques : l’hyperthermie n’était pas systématique parmi les chats présentant une pyélonéphrite, et la proportion de chats présentant une neutrophilie ou une monocytose n’était pas significativement différente entre les groupes.
Certains chats de l’étude étaient porteurs d’un dispositif de dérivation pyélovésical, mais aucune association n’a été montrée entre la présence de ce dispositif et une augmentation de concentration de la SAA.
Un marqueur d’exclusion
Pour les auteurs, ces résultats suggèrent qu’ « une pyélonéphrite est très peu probable chez un chat adulte présentant une concentration en SAA dans l’intervalle des valeurs de référence. » À l’inverse, dans un contexte clinique évocateur d’une pyélonéphrite, « une concentration élevée en SAA pourra évoquer une pyélonéphrite bactérienne sous réserve de l’absence d’une autre maladie responsable d’une réponse inflammatoire ». D’autres études méritent d’être conduites pour corroborer ces résultats. De plus, pour les auteurs, il serait aussi utile d’évaluer si le dosage de la SAA peut être un meilleur marqueur de pyélonéphrite que la culture urinaire chez les chats ayant déjà reçu des antibiotiques avant la présentation.
« Ce biomarqueur est plus sensible et spécifique que les marqueurs inflammatoires historiques »
Actuellement, quels sont les critères diagnostiques de la pyélonéphrite chez le chat ?
Le tableau clinique est parfois fruste. Le clinicien devra suspecter une pyélonéphrite chez un chat présentant une azotémie (principalement aiguë), une fièvre, une bactériurie, et des anomalies échographiques évocatrices. Toutefois, l’infection bactérienne peut être ségréguée au rein et le clinicien peut être confronté à une absence de bactériurie vésicale notamment lors d’obstruction urétérale concomitante. Par ailleurs, l’hyperthermie est loin d’être systématique : suivant les auteurs, elle ne concernerait que 30 % des cas. Une douleur rénale est parfois identifiée mais elle reste difficilement évaluable chez le chat. Il n’a pas été identifié de profil épidémiologique à risque.
Dans quelles situations cliniques utilise-t-on l’amyloïde A sérique ?
Principalement deux. La première est la recherche de signes d’un processus inflammatoire par exemple dans une situation où le chat est abattu, sans signes spécifiques, et pour lequel on s’interroge sur la présence potentielle d’un foyer inflammatoire infectieux, immunitaire ou néoplasique. Ce biomarqueur identifie précocement les processus inflammatoires, à condition que ces derniers soient associés à une composante systémique. Il est plus sensible et spécifique que les marqueurs inflammatoires historiques (numération neutrophilique, monocytaire notamment), ces derniers pouvant être modifiés pour d’autres raisons (par exemple, le stress ou un traitement corticoïde). Le second usage est le suivi de la maladie identifiée, la diminution de la concentration de SAA suggérant une bonne réponse thérapeutique.
Au vu de votre étude, peut-on intégrer l’amyloïde sérique A dans sa démarche diagnostique face à une suspicion de pyélonéphrite ?
On peut ! Le dosage de la SAA apparaît utile dans trois situations cliniques. La première est celle du chat azotémique pour lequel on souhaite disposer rapidement d’éléments tangibles afin d’évaluer la pertinence de l’initiation d’une antibiothérapie. Ce dosage fournit des renseignements plus rapidement que la culture bactérienne urinaire (en 24 heures généralement). Face à un chat présentant une insuffisance rénale aiguë et une concentration en SAA dans l’intervalle des valeurs de référence, débuter une antibiothérapie n’est probablement pas pertinent.
La deuxième situation d’intérêt est celle de la distinction entre l’animal azotémique présentant une bactériurie dont l’origine rénale ou vésicale peut être difficile à déterminer : une augmentation de la concentration SAA est attendue dans le premier cas de figure, mais pas dans le second.
Enfin, certains animaux peuvent présenter une pyélonéphrite bactérienne en l’absence d’une bactériurie vésicale, en particulier lors d’obstruction urétérale. Lorsque la pyélocentèse échoguidée n’est pas possible, l’évaluation de la concentration en SAA pourra laisser suspecter une pyélonéphrite et justifier une antibiothérapie.
Attention, la SAA n’est pas spécifique d’une pyélonéphrite. Elle augmente lors de processus inflammatoire (d’origine infectieuse, immune ou tumorale). D’autres études seraient nécessaires afin d’évaluer la fiabilité de cet indicateur et d’identifier un seuil diagnostique pertinent même en présence d’un processus inflammatoire autre.
Par ailleurs, le dosage de la SAA ne peut pas se substituer à une analyse bactériologique car il ne permet pas d’identifier la bactérie en cause, ni d’obtenir un antibiogramme et le profil de sensibilité antibiotique.