Repenser l’avenir de la filière française volailles de chair - La Semaine Vétérinaire n° 2048 du 20/09/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2048 du 20/09/2024

Rapport Cour des comptes

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Par Tanit Halfon

Deuxième viande la plus consommée après le porc, la viande de volaille est pourtant de plus en plus importée, a présenté la Cour des comptes dans un récent rapport sur cette filière d’élevage. Un contexte qui appelle à définir des nouvelles orientations d’avenir, incluant le rôle, en particulier financier, qui sera joué par l’Etat.

La filière française volailles de chair (poulet, dinde, canards à rôtir, pintade, caille, pigeon) est un secteur d’activité en souffrance, a pointé du doigt la Cour des comptes dans un récent rapport1 rendu public le 3 septembre dernier. L’objectif était de dresser un état des lieux de ce secteur d’élevage, afin de mieux appréhender l’accompagnement de l’État. Et le constat est, sans surprise, rude. Alors que le marché de la viande de volailles est en croissance, avec une consommation qui a augmenté de 54 % entre 1999 et 2022 (soit 1,9 million de tonnes équivalent carcasse [tec] consommés), les importations, elles, sont en… forte hausse ! Elles représentent désormais 50 % de la consommation !

Une viande plébiscitée

Côté consommation, au global, la consommation par habitant de viande de volailles est passée de 21,4 kg en 2000 à 28,3 kg en 2021 (+ 32 %), aboutissant à ce que la volaille soit la deuxième viande la plus consommée après le porc (près d’un tiers des achats des ménages). Cette hausse est portée par la viande de poulet, dont la consommation a plus que doublé, quand celle de la dinde et du canard a baissé, respectivement de 34 % et 7 %. La restauration hors domicile (RHD) participe à cette dynamique, puisqu’elle représente désormais 25 % de la consommation de volailles contre 7 % en 2005. De son côté, la consommation à domicile, bien que majoritaire, a peu évolué depuis le début des années 2000. Par ailleurs, les Français préfèrent désormais les morceaux découpés (filets, cuisses) au détriment des volailles entières : les premiers représentent aujourd’hui plus de 50 % des volumes achetés par les ménages, contre moins de 20 % pour les seconds (le reste concernant les produits élaborés et charcuteries).

Dans le monde, la viande de volailles est la première consommée devant le porc et le bœuf.

Des importations de poulet standard

Côté importations, on est passé de 200 000 tec importés par an à la fin des années 1990, à plus de 850 000 tec aujourd’hui, correspondant en grande majorité à du poulet, et en grande partie à des morceaux et découpes de poulet frais, réfrigérés ou congelés. Au global, la part des importations de viande de poulet représente en volume 39 % du marché français de la viande de poulet, et 51 % pour le seul marché standard. Dans le détail, ce sont la RHD, l’industrie et la rôtisserie qui portent la dynamique des importations, puisque la viande de poulet y représente de 59 % à 72 % de part du marché. Le poulet standard y est roi puisqu’il représente environ 75 % des parts du marché dans ces segments. Côté vente au détail, le poulet importé ne représente que 15 % de part du marché (et 23 % en poulet standard).

Près de 90 % des importations proviennent de pays de l’Union européenne, avec dans le trio de tête, la Pologne (25 %), la Belgique (24 %) et les Pays Bas (18 %). Avec l’Allemagne en 4e position (11 %), ces pays fournissent plus des deux tiers des volumes des importations de viande et préparations de poulet. Hors Royaume-Uni, les importations des pays tiers (Thaïlande, Brésil, Ukraine) sont faibles à moins de 2 %. Mais une incertitude persiste sur la viande transformée. En effet, l’étiquetage mentionne le pays de transformation et pas d’origine, rendant impossible de caractériser les flux réels depuis les pays tiers pour un produit arrivant en France et issu d’un État membre (flux indirects).

Une filière peu compétitive

Plusieurs éléments expliquent cette situation paradoxale. La production française a été en baisse au début des années 2000 avant de se stabiliser depuis 2009, à environ 1,5 Mtec par an, ne permettant plus de répondre aux besoins. De plus, elle s’est orientée vers les poulets entiers et labellisés. Or, c’est en décalage avec la dynamique actuelle du marché portée la RDH et l’industrie qui demandent surtout des découpes de poulets lourds et standards. De plus, le prix plus élevé des viandes Label Rouge et Bio limite leur développement dans le secteur des découpes. Ce qui s’est d’ailleurs fait ressentir sur l’ensemble du marché, puisqu’entre 2020 et 2022, on a observé une réduction des mises en place des poulets : 9 % pour Label Rouge et 25 % pour les Bio.

Par ailleurs, les pays européens concurrents producteurs ont, d’une part, modernisé leurs outils de production (abattage, découpe, transformation) bien plus vite qu’en France, et d’autre part, produisent à des coûts moins élevés (élevage et abattage). On a aussi constaté un phénomène de concentration d’entreprises, avec l’avènement de grands groupes européens, notamment avec des rachats de structures de transformation en Pologne. Des grands groupes français ont ainsi misé sur l’externalisation de la production.

À noter toutefois que les initiatives lancées pour améliorer l’autonomie protéique (renforcement des aides de la politique agricole commune [PAC] aux légumineuses, plan protéines), pourraient à terme aider la filière, puisque l’alimentation représente plus de la moitié des coûts de production, donc un facteur majeur de compétitivité d’un élevage de volailles. À ce stade, on manque encore de recul pour évaluer l’effet de ces initiatives.

Définir une stratégie concertée

En outre, les dispositifs de la PAC ne sont pas adaptés aux besoins du terrain. Ansi, il en découle que la filière française ne perçoit que très peu d’aides : en 2022, elle n’a perçu que 1,2 % de ces aides à la production, alors qu’elle représente 4 % du nombre total d’exploitations en France. De même, elle a peu bénéficié de l’aide pour l’adaptation des bâtiments d’élevage2, avec seulement 5,4 % du montant total prévu par ce dispositif. Au niveau national, elle ne reçoit que peu d’aides de l’État qui n’a pas défini de politique publique dédiée à ce secteur. Un soutien pour la modernisation des abattoirs a toutefois été fait, mais orienté vers les plus petites unités pour favoriser l’approvisionnement local. Les crises successives d’influenza aviaire ont néanmoins amené l’État à débloquer des aides, en association avec l’Union européenne… tout en fragilisant structurellement la filière.

Dans ce contexte, plusieurs initiatives ont été lancées pour réfléchir à l’avenir du secteur, et plus largement des filières avicoles, dont « Horizon Agro 2040 » porté par les ministères de l’Agriculture et de l’Économie, avec l’objectif de revoir les stratégies industrielles au regard des besoins alimentaires et des potentiels de production des territoires. Pour la Cour des comptes, toutes les réflexions lancées devront bien clarifier le positionnement des parties prenantes, dont l’État, et donc in fine les moyens assumés par chacun, afin que le plan d’avenir soit le plus cohérent possible. Mais à ce stade, l’enjeu est déjà de bien définir les orientations stratégiques choisies pour le pays : que produira la filière française volailles de chair ? Pour qui ? Quel niveau souhaité pour la souveraineté alimentaire du pays ? Quelles réponses aux attentes sociétales ?

Deux recommandations de la Cour des comptes

Pour appuyer le développement de la filière volailles de chair, la Cour des comptes préconise :

– D'élaborer un outil statistique pour suivre l’évolution de la production et des performances économiques et environnementales.

– De défendre auprès des autorités européennes l’extension de l’obligation d’étiquetage de l’origine des viandes pour les produits transformés, et pérenniser celui de la restauration hors domicile. Sur ce point, « la provenance locale ou française de la viande » était le premier critère d’achat en 2021, il est descendu à la 3e place en 2023, après le prix et le goût.

  • 2. Plan de compétitivité et d’adaptation des exploitations agricoles (PCAE), dispositif du second pilier de la PAC, cofinancé par l'Union européenne, l’État et les régions