ANALYSE MIXTE
Auteur(s) : Par Farah Kesri
Face à l’absence d’avancées pour une meilleure rémunération du mandat sanitaire, les praticiens qui réalisent des missions réglementées de santé publique sont invités par le syndicat national de la profession à appliquer leurs tarifs libéraux pour faire pression sur l'État.
« Trop c’est trop, la profession grogne », affirme Laurent Perrin, président du syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral (SNVEL). Malgré nos alertes, depuis plus de deux ans, rien n'a bougé. Notre demande est enterrée sous la pile des dossiers de crise, toutes nos propositions pour une meilleure rémunération du mandat sanitaire sont rejetées. Cela décourage les vétérinaires de poursuivre leurs activités rurales. »
Des négociations au point mort
Les tarifs de rémunération des vétérinaires sanitaires chargés des opérations de prophylaxie sont fixés par voie conventionnelle avant chaque campagne. Conformément aux dispositions de la loi, cette tarification doit être le fruit d’une négociation entre les vétérinaires désignés par l'Ordre et le syndicat et les représentants des chambres d'agriculture et des groupements de défense sanitaire (GDS)1. Un arrêté ministériel 2 fixe le cadre et précise la nomenclature des actes mais les services déconcentrés de l'État ne prennent pas part aux négociations sur les tarifs. Ils assurent le bon fonctionnement des échanges pour qu’un accord aboutisse. Suite aux alertes répétées du syndicat, l'État s'était engagé à ajouter sur l'arrêté ministériel de la nomenclature une ligne à négocier lors des réunions bipartites pour payer une forme d’astreinte sanitaire, selon Laurent Perrin. Face au refus catégorique des organisations agricoles, l'État a fait marche arrière, ce qui a mis le feu aux poudres et lancé l’appel du SNVEL.
L’impact indirect de la Loi de santé animale
Depuis l’application de la Loi de santé animale (LSA)3 et l’amélioration du statut sanitaire de la France pour certaines maladies, le volume d'activité a fortement baissé et le chiffre d'affaires lié aux mandats sanitaires a chuté. Ainsi, comme l’explique Laurent Perrin : « Dans la région où j’exerce, il y a des troupeaux de chèvres. Avant les prélèvements étaient réalisés sur 100 % des animaux de plus de 6 mois tous les ans. Nous sommes passées à 20 à 25 % des animaux tous les cinq ans. Il y a quarante ans, un tiers de mon chiffre d'affaires était réalisé par la prophylaxie : il fallait lutter contre plusieurs maladies, la fièvre aphteuse, faire des prises de sang, réaliser les tuberculinations sur tous les animaux. Aujourd'hui, face à la baisse du nombre d’élevages et à l'allégement, certes légitime, des actes de prophylaxie, la rurale ne représente plus que 25 % de mon chiffre d'affaires et la prophylaxie moins de 2 % du chiffre d'affaires global de ma clinique. Ce constat est partagé par tout le secteur et ce n’est plus assez rentable. »
Moins d’actes… sans gain de temps
Ce que conteste le syndicat, ce n’est pas la légitimité de l’allègement de la prophylaxie mais l’argument « gain de temps » avancé par les autres parties, selon Laurent Perrin : « Contrairement aux campagnes de prophylaxie réalisées chez les petits ruminants, en bovine, le vétérinaire sanitaire ne choisit pas les animaux à prélever. Il doit suivre une liste d’animaux préétablis. Quand l’éleveur est bien organisé et qu’il a rassemblé ses animaux, oui, nous gagnons du temps. Mais très souvent ce n’est pas le cas, les animaux ne sont pas rassemblés et nous passons un temps fou chez l'éleveur à rechercher les animaux sélectionnés par un algorithme. » Également dénoncé : l’absence de prise en compte des différentes tâches administratives liées aux mandats sanitaires telles que la rédaction des certificats avant export vers un pays tiers, la préparation des tournées, etc. « On nous demande d’être disponibles en cas de crise, de maintenir nos connaissances à jour mais tout ce temps-là n'est plus compensé comme avant par les actes de prophylaxie puisque leur nombre a baissé. Il est devenu gratuit pour l'État et pour les organisations agricoles, mais pour la profession, cela a un coût », précise le président de SNVEL.
Trouver un modèle viable pour tous
La prophylaxie est d’une importance cruciale pour la qualification des cheptels et les échanges commerciaux entre les nations. Si le rôle crucial des vétérinaires sanitaires n’est pas contesté, personne ne veut payer la facture, relève Laurent Perrin. Selon lui, « les organisations agricoles refusent de porter seule le coût du maillage sanitaire, l’État doit prendre sa part. Peu importe qui paie. La demande que nous faisons, ce n’est pas d’augmenter le prix de chaque acte puisque leur nombre va baisser de plus en plus. Nous demandons que l’ensemble des tâches liées au mandat sanitaire soit mieux rémunéré. Il doit être découplé du nombre d'actes et plutôt couplé au nombre d'animaux présents. Cela peut prendre la forme d’une cotisation annuelle à payer comme cela se passe pour les GDS. »
Un appel suivi
À cet égard, le SNVEL souhaiterait que le montant de la rémunération des vétérinaires sanitaires tienne compte de l’engagement de ces derniers à faire face aux crises à répétition. « Actuellement, on doit gérer la fièvre catarrhale ovine et la maladie hémorragique épizootique. Face aux maladies vectorielles, nous devons être toujours formés et prêts mais pas bénévolement. Les pompiers ne sont pas payés uniquement lorsqu’il y a le feu, nous si. Il faut trouver une forme de paiement à cette assurance sanitaire. Sinon il n’y aura plus de vétérinaires ruraux. Rien que pour l’année dernière, plus de deux cents structures vétérinaires ont arrêté leurs activités en rurale face aux contraintes et à la baisse du chiffre d'affaires. » Sur le terrain, selon le syndicat, l’appel4 est largement suivi. Plusieurs régions et départements ont promis de suivre la consigne : Occitanie, Centre, Bretagne, Auvergne-Rhône-Alpes (cependant bipartite signée en juin), Pays de la Loire, Bourgogne Franche-Comté, Creuse, Bouches-du-Rhone, Corrèze, Charente, Charente-Maritime, Dordogne, Ardennes, Aveyron, Bas-Rhin, Deux-Sèvres, Meuse, Haute-Vienne, Haute-Marne, Nièvre, Orne, Vienne, Cantal, Gironde, Calvados.