Toxicologie
PHARMACIE
Auteur(s) : Par Sarah André
L’impact environnemental des médicaments est une question de plus en plus tangible au sein de l’écosystème vétérinaire. Qu’en est-il de leur toxicité pour la faune sauvage se nourrissant de cadavres d’animaux non pris en charge ? L’Agence nationale du médicament vétérinaire s’est récemment saisie de cette problématique1. Explications.
Les rapaces et les charognards peuvent être exposés aux médicaments vétérinaires dès lors qu’ils consomment des cadavres d’animaux laissés dans l’environnement, le plus souvent des équidés et ruminants, et ayant reçu certains traitements de leur vivant. Les substances les plus à risque sont les barbituriques, en particulier le pentobarbital, et certains anti-inflammatoires, notamment la flunixine, le carprofène et le kétoprofène2. Deux circonstances d’intoxications secondaires de ces oiseaux apparaissent alors. D’une part, ces derniers peuvent se nourrir de cadavres lorsqu’ils sont morts sur place depuis longtemps ou bien lorsque l’équarrisseur ne peut pas enlever le cadavre faute d’accès à certaines zones, notamment en montagne. D’autre part, une exposition est possible quand les animaux morts naturellement ou euthanasiés sont déposés sur les aires de nourrissage des oiseaux nécrophages, ce qui fut le cas récemment en Espagne3. L’Agence nationale du médicament vétérinaire (Anses-ANMV) a effectivement précisé qu’une étude espagnole a récemment mis en lumière « une augmentation de la prévalence des intoxications aux barbituriques chez les oiseaux charognards, passant de 0,5 % à 3,4 % des cas d’intoxications chez ces oiseaux entre 2012 et 2020.4 »
Vigilance avec certaines substances
Suite au constat de toxicité de certains principes actifs pour des oiseaux nécrophages par des publications scientifiques et l’observation de mortalités, l’Agence européenne des médicaments recommande l’ajout de mentions de précaution dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP) des médicaments vétérinaires contenant notamment certains anti-inflammatoires comme la flunixine5. Par exemple, la prescription d’une spécialité à base de flunixine, de carprofène ou de kétoprofène est déconseillée chez un animal qui « présente un fort risque de mortalité avant la fin du délai d’élimination du médicament, et que le ramassage du cadavre par l’équarrissage n’est pas envisageable. » Les praticiens sont également encouragés à privilégier d’autres anti-inflammatoires dont la toxicité est moindre pour les oiseaux nécrophages, notamment à base de méloxicam. Quant aux barbituriques, au vu de la longue persistance du pentobarbital au sein des tissus des animaux euthanasiés (plusieurs mois), une communication apparaît indispensable auprès des éleveurs et des propriétaires d’animaux au sujet des bonnes pratiques de gestion des cadavres.
Quid des animaux de compagnie ?
Ce type d’intoxications secondaires ne concerne pas seulement les rapaces et les charognards. En effet, les animaux de compagnie, en particulier les chiens de ferme, peuvent également être exposés de la même manière, du fait de l’accès plus aisé aux cadavres d’animaux de rente. Plusieurs cas d’intoxications de chiens au pentobarbital ont effectivement été rapportés dans les centres antipoison en France. Ces derniers avaient ingéré des parties de cadavres d’animaux ayant été euthanasiés. Les signes cliniques rapportés ont été principalement des troubles neurologiques (ataxie, somnolence) voire, dans certains cas, des cas de coma pouvant aller jusqu’à la mort de l’animal.
« Il est important de limiter l'usage des molécules à risque »
Recevez-vous des appels au CAPAE-Ouest quant à ce type d'intoxication ?
Bien que les intoxications secondaires de la faune sauvage rentrent dans notre domaine de compétences, nous avons peu de remontées du terrain. Les informations nous sont essentiellement transmises via des collaborations. C’est notamment le cas de nos homologues lyonnais du Centre national d’informations toxicologiques vétérinaires (CNITV) qui collabore sur le projet Life Gyp’Act, un programme au sein duquel ils réalisent une veille écotoxicologique en partenariat des acteurs de terrain comme la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). Néanmoins, nous avons régulièrement des appels concernant des animaux domestiques, surtout des chiens, ayant été exposés à des carcasses d’animaux euthanasiés.
Quand un vétérinaire (qui travaille avec la faune sauvage) doit-il suspecter une intoxication secondaire des rapaces et oiseaux nécrophages ?
Concernant les anti-inflammatoires non stéroïdiens, le plus souvent les premiers signes sont frustes, il y a principalement une atteinte rénale avec de la mortalité associée. On peut envisager de faire des analyses toxicologiques pour confirmer une suspicion. Quant aux euthanasiants, c’est bien plus spectaculaire. Les signes sont assez visibles : ataxie, altération du niveau de conscience voire mortalité en cas de consommation massive.
Quelles recommandations sont à donner par le vétérinaire pour éviter ces intoxications (chez les oiseaux et les animaux de compagnie) ?
En premier lieu, il est important de regarder les recommandations dans les résumés des caractéristiques du produit des spécialités. Il y a désormais des indications quant au risque pour la faune sauvage. Ensuite, il est important de limiter l’usage de molécules à risque, comme le diclofénac par exemple (qui ne dispose pas d'autorisation de mise sur le marché en France). Une bonne gestion des carcasses ayant reçu des traitements est aussi primordiale pour éviter l’exposition de la faune sauvage et domestique.