Santé mentale
ENTREPRISE
Auteur(s) : Par Anne-Claire Gagnon
L’association Soins pour les professionnels de la santé a organisé le 29 août dernier, à Reims, son 10e colloque national sur le thème « Une seule santé », avec cette année la participation de la Fédération des étudiants en santé, dont un représentant a coanimé chacune des quatre tables rondes très riches.
Depuis la mise en place de leur plateforme d’appels en 2016, Soins pour les professionnels (SPS) a reçu plus de trente mille appels et est passé depuis 2020 de trois à environ vingt appel /jour. Depuis deux ans, l’éco-anxiété fait partie des signaux faibles qui aggravent les autres dans les appels reçus par SPS. Au-delà des consultations avec des psychologues, SPS propose des ateliers en ligne ou en présentiel, avec une centaine d’évènements par an sur toute la France.
Malgré toute cette stratégie de prévention en santé mentale, Éric Henry (président de SPS et médecin généraliste en Bretagne) a rappelé que trois professionnels de santé se suicident tous les deux jours. Il a incité le nouveau ministre de la Santé à faire de la santé de ses professionnels sa priorité, comme l’a fait Arnaud Robinet, maire de Reims, avec la mise en place localement d’un fonds de prévention de l’usure professionnelle.
Exposomes et infodémie
Henri Bastos (directeur scientifique santé travail, Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) a rappelé que les professionnels de santé (vétérinaires inclus) sont touchés en matière d’exposomes1 par les cinq facteurs de risque (chimique, biologique, physique, relationnel et organisationnel), ces deux dernières catégories n’étant pas les moindres dans des grandes structures hospitalières, ce qualificatif ne s’appliquant pas toujours aux conditions de travail.
Parmi les expositions, celle que nous subissons, comme nos patients, aux informations – vraies et fausses (intentionnellement par la désinformation, ou pas avec la mésinformation) – déferlant à la télé, à la radio et en ligne contribue à noyer nos cerveaux, inadaptés à ce flot. Cette exposition est sournoise car elle perturbe notre capacité à prendre des décisions. Plus on cherche des informations sur Internet, plus on hésite à décider. Avec ce paradoxe qu’une mésinformation court cent fois plus vite qu’une véritable information. Trop d’informations rend aussi violent et trouble notre sommeil.
Notre consœur Catherine Bertrand-Ferrandis (T 06, Olylo), dont c’est l’expertise, a cité le Canada, qui a osé chiffrer le coût occasionné par les mésinformations pendant le Covid, en perte de chance pour la santé physique, sociale. Près de deux cent mille cas n’ont pu être évités.
Les soignants partagent avec leurs clients et patients les mêmes biais cognitifs, et l’infodémie contribue à la dégradation de leur relation. Une seule solution : en être conscient et se former pour transmettre.
Il est essentiel de retisser du lien avec nos clients et patients en les écoutant véritablement et en répondant à leurs questions sincèrement. L’éco-anxiété est un mal partagé par patients et soignants, qui sont à former en priorité, notamment les étudiants.
Rendre son humanité au travail
La qualité de vie et des conditions de travail (QVCT), bien établie en entreprise depuis les années 50, est un concept récent dans le monde du soin, avec la nécessité qu’elle devienne une démarche quotidienne. La première des actions serait que les médecins aillent consulter eux-mêmes un médecin (du travail, un généraliste ou spécialiste2) car les risques psychosociaux sont une véritable plaie, notamment le harcèlement qui peut être subi au travail. Accepter sa vulnérabilité, ne pas rester debout jusqu’au bout sont des défis pour les soignants, pour qui une bonne QVTC est le gage d’une bonne santé pour les patients. L’instabilité des plannings, la charge mentale de travail, la façon de pratiquer, tout peut être amélioré. Annie de Vivie (fondatrice d'Agevillage) a présenté Humanitude, dont elle est la directrice. Fondé par deux professeurs de sport, Rosette Marescotti et Yves Gineste, en 1985, Humanitude est un organisme de formation continue qui va bien au-delà de l’ergonomie pour prendre soin des personnes âgées en Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Humanitude s’appuie sur quatre piliers : le regard, la parole, le toucher et la verticalité avec pour objectif la qualité de la relation entre soignant et soigné. En Ehpad, le taux d’accidentologie est trois plus élevé que dans le bâtiment. Dans les établissements formés par Humanitude, le taux d’accidents et d’arrêts de travail a fortement diminué. Idéalement ces formations devraient être délivrées dès l’école pour tous les soignants.
Parler pour mieux être
Autre initiative concluante, l’espace dialogue sur le travail (EDT), coanimé par un médecin et un paramédical, avec deux niveaux, à chaud (court, chaque semaine) ou à froid (une fois par mois, plus long). Ni réunions de service, ni groupes de parole, ces EDT permettent des actions correctrices rapides aux situations de travail problématiques selon Marie Audubert Queneau (directrice d’hôpital et QVTC, APHP), qui a souligné la nécessaire formation au management des médecins, une demande partagée par les étudiants.
Développer les compétences non techniques ou scientifiques, donc relationnelles avec tout ce qu’on appelle à tort les soft skills (compétences basées sur l'humain, la communication, le relationnel, l'esprit critique, etc.) est également primordial pour aider les soignants à aller mieux, en comprenant les aidants et les patients, et collaborer de façon constructive. La Caisse nationale d'assurance maladie finance d’ailleurs les ateliers eJADES de SPS.
Prévenir l’épuisement
Christine Chalut-Natal Morin est sage-femme clinicienne et acupunctrice, et développe une approche intégrative où la prévention est essentielle. Pour elle, sa pratique lui permet d’être à sa juste place, alignée avec ses valeurs, la meilleure des préventions du burn out. L’épuisement vient de la déshumanisation du soin et du manque de reconnaissance. Cette analyse est partagée par Antoine Bioy (psychologue clinicien, Institut de médecine intégrative et complémentaire, CHU de Bordeaux), avec une mise en place des activités d’hypnose, de méditation et de médecine à la faculté de médecine de Bordeaux. Il estime qu’en situation d’adversité (détresse individuelle ou collective, stigmatisation, banalisation de la souffrance mentale), le groupe et la collaboration sont thérapeutiques. La pratique de l’hypnose réduit l’incidence du burn out selon une étude conduite à Lyon.
Fabrice Berna (professeur de psychiatrie, Strasbourg) estime qu’il s’agit plus d’une souffrance morale que de burn out, avec une véritable blessure morale à ne pas pouvoir faire, à voir mal faire et à faire mal le soin. L’ensemble conduit les soignants à la honte et la culpabilisation.
Se former pour être en meilleure santé
Parmi les initiatives à promouvoir, celle des premiers secours en santé mentale3 est déjà mise au programme de la faculté de médecine de Reims. Actuellement en France, cent quarante mille secouristes ont été formés, selon une méthode développée en Australie où 10 % de la population l'a déjà suivie. Il serait utile que tous les lieux de formation de soignants reçoivent et enseignent la méthode Approcher, Écouter, Réconforter, Encourager, Renseigner (AERER)4 .
La Fondation Clariane – qui consacre ses travaux à la thématique « Aimer soigner » – aide les soignants à prendre soin de leur santé physique, à lutter contre le tabagisme ; elle soutient les associations Agir pour le cœur des femmes et la Maison des femmes tout en faisant mieux connaître les métiers du soin par des podcasts.
Santé sociale et relations interpersonnelles
La QVTC dépend beaucoup du relationnel entre les membres de l’équipe, quelle qu’en soit la taille. Avec un préalable rappelé par la philosophe Blandine Humbert (directrice de l’École de santé de l’Institut catholique de Paris) : la nécessité de savoir qui on est pour bien être avec les autres. C’est la raison pour laquelle elle a mis en place un diplôme universitaire Résilience et Situation en soin complexe5, notamment pour les soins palliatifs où chaque soignant doit trouver la juste proximité avec le patient, pour entrer dans la relation sans s’y perdre.
Dénoncer les violences sexistes et sexuelles
Abordée en toute fin de colloque, la question des violences sexuelles et sexistes (VSS) des milieux carabins est bien réelle. Dans une enquête sur 31 000 infirmières, 66 % en avaient été victimes a précisé Sylvaine Mazière-Tauran, présidente du Conseil national de l'Ordre des infirmiers. Les jeunes ne se sentent pas accompagnées, malgré les référents entraide et violences.
L’impunité de la hiérarchie, en milieu hospitalier, le harcèlement, la pression mise sur les infirmières, le glissement des tâches montrent que les améliorations sont nombreuses à réussir. Le fait que des articles 40 du Code de procédure pénale effectués auprès des autorités compétentes soient restés sans suite rajoute au malaise, mal-être et à la détresse. Cette thématique qui touche l’ensemble des professionnels de santé mériterait un colloque à elle seule.