Entretiens
ANALYSE MIXTE
Auteur(s) : Clothilde Barde
En France continentale, suite à la progression rapide depuis le 5 août 20241 d'une nouvelle souche BTV-3 de fièvre catarrhale ovine (FCO), une campagne de vaccination volontaire ciblée a été lancée le 12 août dernier pour une mise en œuvre jusqu’au 31 décembre 2024. Au 19 septembre 2024, 2 812 foyers étaient recensés dans 24 départements2. Retours d'expérience de vétérinaires praticiens.
« Tous les jours, des suspicions de FCO ! »
Quentin Blond (N 19)
Vétérinaire praticien dans le Pas-de-Calais et président du conseil régional de l'Ordre des Hauts-de-France.
Courant septembre, où en êtes-vous de l’épidémie ?
Il y a deux heures, je suis allé inséminer une vache. Une autre était en train de vêler à côté. J’ai constaté qu’elle avait 40 de fièvre, le mufle congestionné… C’était évidemment encore un nouveau cas de suspicion de FCO à envoyer au laboratoire d’analyse… Autour de moi, je vois que tous mes confrères sont impliqués, tout le monde en même temps. Cela reste impressionnant à observer !
Où en sont les exploitations de votre zone géographique ?
En comparaison avec nos confrères du Nord, on est moins touché car la FCO de sérotype 3 s’est répandue chez eux quinze jours à trois semaines avant d’impacter le territoire du Pas-de-Calais. Pour donner une idée, pour le moment, dans notre clientèle, on en est à un, deux ou trois, voire à dix animaux au maximum atteints par élevage.
Avec quel impact économique à terme ?
Il est trop tôt pour se prononcer sur l’impact global que l’épidémie aura puisqu’elle n’est pas encore terminée ! Depuis quelques jours – voire quelques semaines – certaines vaches sont moins productives : cette diminution en quantité du lait produit est donc déjà actée comme une perte irréversible.
Rencontrez-vous des éleveurs réticents à la vaccination ?
Non, même si l'on sait qu’on ne parviendra jamais à 100 % de taux de vaccination. Mais ici, peu d’éleveurs y sont réticents. Il faut dire que la situation en amont a été très bien préparée tant par la chambre d’agriculture que par le groupement de défense sanitaire du Pas-de-Calais : ses membres ont notamment envoyé des SMS aux agriculteurs les poussant à vacciner. Du coup, je pense que ceux qui ont pris en parallèle également tôt des mesures de désinsectisation (opération qui reste à leur charge financière contrairement au vaccin payé par l’État) ont déjà moins de problèmes. Plus globalement, sur notre zone, on a eu la chance de recevoir généralement le vaccin avant l’arrivée des premiers symptômes, contrairement aux élevages du Nord…
Sur Internet, on lit que des éleveurs refusent de vacciner une bête déjà atteinte par la FCO, qu’en pensez-vous ?
Dans notre clientèle justement, nous avons eu quelques cas où la vaccination de la FCO sérotype 3 a été réalisée sur des animaux déjà en cours d’incubation, sans que nous ne le sachions. Résultat concret : on a alors plutôt observé une amélioration de la santé globale du troupeau avec la vaccination. En tout cas, nous n’avons observé aucun avortement ni incident mortel dans ce cas de figure. Nos expériences de terrain aboutissent donc à la même conclusion que des études scientifiques sur la lutte contre la FCO de sérotype 3 que j’ai pu déjà lire : dans tous les cas, mieux vaut vacciner ! En continuant à désinsectiser…
" En tant que vétérinaire, nous accompagnons les éleveurs dans leur décision de vacciner "
Julien Gobert (Liège 04)
Vétérinaire praticien dans un cabinet mixte des Ardennes
Quel est, selon vous, l'impact clinique de la maladie sur les ovins et les bovins de votre clientèle ?
Les éleveurs de moutons qui ont des bergeries au milieu de champs de culture ont été moins impactés que ceux qui ont leurs moutons en pâture autour de zones humides, pour lesquels la mortalité a été violente. Pour les éleveurs de bovins, dans les élevages laitiers, nous avons observé des pics de fièvre chez un nombre important de vaches laitières, une chute violente de la production laitière et des baisses de consommation d’eau et d’aliments. Ce qui a eu des conséquences immédiates sur la production laitière. Dans les élevages allaitants, nous avons surtout eu des avortements et des naissances de veaux prématurés vivants mais dont le poids à la naissance est bien inférieur à la moyenne et dont le taux de survie à long terme est incertain. Il est difficile d’avoir une estimation objective. Ce que qui est sûr c’est que dans notre cabinet nous avons répondu à deux fois plus de déclarations d’avortement par les éleveurs que l’année dernière à la même période.
Qu'en est-il des échanges intra-européens ?
Le principal impact dont les éleveurs se plaignent, c’est sur les broutards. Aujourd’hui, pour pouvoir les faire partir, ils doivent subir une désinsectisation puis quatorze jours après ils doivent avoir une PCR négative. Mais actuellement les PCR reviennent positives donc les broutards ne peuvent pas être vendus pour l’engraissement. Ils sont obligés de rester dans la zone c’est donc problématique pour la commercialisation de leurs animaux. C’est une perte financière supplémentaire pour les éleveurs qui sont inquiets et se demandent s’ils vont pouvoir payer leur banque.
Quelle a été la réaction des éleveurs face à la proposition vaccinale ?
En tant que vétérinaires, on l’a tous constaté, le premier réflexe des éleveurs a été de se tourner vers nous pour dire : le vaccin va être disponible, qu’est-ce que je fais ? Qu’est-ce que je risque à ne pas vacciner ou à vacciner ? Nous avons passé énormément de temps à expliquer et à les aider à prendre au mieux une décision adaptée face à cette vaccination volontaire. Mais une fois qu’ils ont reçu toutes les explications, ils nous disent tous que c’est comme pour le Covid, un vaccin sorti en urgence qui ne fait pas barrage… C’est vrai, contrairement au vaccin contre les sérotypes 4 et 8 dont ils ont l’habitude, celui-ci n’a pas encore d’autorisation de mise sur le marché, ce n’est qu’une autorisation temporaire d'utilisation. Il est efficace mais pas à 100 %, il ne prévient pas la virémie, ni la propagation de la maladie. C’est donc plutôt une vaccination individuelle qui réduit la violence des symptômes et non pas une vaccination collective qui ferait barrière. Le degré d’efficacité n’étant pas le même il y a beaucoup de méfiance et d’hésitation. De plus, les éleveurs n’ont pas la même hésitation selon leur élevage. Chez les éleveurs de moutons, ils ont compris qu’il fallait vite vacciner car, même si le mouton est contaminé, au bout d’une semaine, les signes cliniques diminuent. Chez les bovins, c’est plus compliqué, il faut deux injections à un mois d’intervalle. La protection n'intervient que quinze jours à trois semaines après la seconde dose. Si l’animal contracte la maladie après la première dose, cette première injection ne diminue pas les conséquences cliniques. Certains éleveurs se sentent donc désorientés et il a fallu les convaincre de l’intérêt de vacciner, qu’ils soient ou non impactés par la maladie. Un temps indispensable pour les accompagner au mieux. Au final dans notre clientèle, la couverture vaccinale des moutons devrait être bonne car nous avons eu un emballement sur les commandes de vaccin après une période de flottement. Pour les éleveurs bovins, je resterais plus réservé car la commande des doses a été moins spectaculaire
Aujourd'hui quel est le sentiment principal qui domine auprès de la clientèle ?
Il y a une méfiance envers les vaccins mais également un sentiment de frustration et de colère des éleveurs. Dès que cela a été possible pour notre département, nous avons pu passer les premières commandes sur Calypso mais certains cabinets ont été livrés dès le 16 août tandis que d’autres ne l’ont été que la semaine suivante en raison d’une forte demande pour le distributeur les premiers jours. Ceux qui ont demandé des vaccins sont en colère car ils se disent qu’ils auraient subi moins de pertes si les vaccins avaient pu être distribués dès juillet. Une colère nourrie aussi par la fatigue physique et morale suite à la pénibilité des soins sur leurs animaux malades. Beaucoup ont été abattus puis en colère et frustrés face à des outils de lutte insuffisants. Toutefois, au bout d’un mois, la plupart se sont résignés.
« Tous les jours, des suspicions de FCO ! »
Quentin Blond (N 19)
Vétérinaire praticien dans le Pas-de-Calais et président du conseil régional de l'Ordre des Hauts-de-France.
Courant septembre, où en êtes-vous de l’épidémie ?
Il y a deux heures, je suis allé inséminer une vache. Une autre était en train de vêler à côté. J’ai constaté qu’elle avait 40 de fièvre, le mufle congestionné… C’était évidemment encore un nouveau cas de suspicion de FCO à envoyer au laboratoire d’analyse… Autour de moi, je vois que tous mes confrères sont impliqués, tout le monde en même temps. Cela reste impressionnant à observer !
Où en sont les exploitations de votre zone géographique ?
En comparaison avec nos confrères du Nord, on est moins touché car la FCO de sérotype 3 s’est répandue chez eux quinze jours à trois semaines avant d’impacter le territoire du Pas-de-Calais. Pour donner une idée, pour le moment, dans notre clientèle, on en est à un, deux ou trois, voire à dix animaux au maximum atteints par élevage.
Avec quel impact économique à terme ?
Il est trop tôt pour se prononcer sur l’impact global que l’épidémie aura puisqu’elle n’est pas encore terminée ! Depuis quelques jours – voire quelques semaines – certaines vaches sont moins productives : cette diminution en quantité du lait produit est donc déjà actée comme une perte irréversible.
Rencontrez-vous des éleveurs réticents à la vaccination ?
Non, même si l'on sait qu’on ne parviendra jamais à 100 % de taux de vaccination. Mais ici, peu d’éleveurs y sont réticents. Il faut dire que la situation en amont a été très bien préparée tant par la chambre d’agriculture que par le groupement de défense sanitaire du Pas-de-Calais : ses membres ont notamment envoyé des SMS aux agriculteurs les poussant à vacciner. Du coup, je pense que ceux qui ont pris en parallèle également tôt des mesures de désinsectisation (opération qui reste à leur charge financière contrairement au vaccin payé par l’État) ont déjà moins de problèmes. Plus globalement, sur notre zone, on a eu la chance de recevoir généralement le vaccin avant l’arrivée des premiers symptômes, contrairement aux élevages du Nord…
Sur Internet, on lit que des éleveurs refusent de vacciner une bête déjà atteinte par la FCO, qu’en pensez-vous ?
Dans notre clientèle justement, nous avons eu quelques cas où la vaccination de la FCO sérotype 3 a été réalisée sur des animaux déjà en cours d’incubation, sans que nous ne le sachions. Résultat concret : on a alors plutôt observé une amélioration de la santé globale du troupeau avec la vaccination. En tout cas, nous n’avons observé aucun avortement ni incident mortel dans ce cas de figure. Nos expériences de terrain aboutissent donc à la même conclusion que des études scientifiques sur la lutte contre la FCO de sérotype 3 que j’ai pu déjà lire : dans tous les cas, mieux vaut vacciner ! En continuant à désinsectiser…
" En tant que vétérinaire, nous accompagnons les éleveurs dans leur décision de vacciner "
Julien Gobert (Liège 04)
Vétérinaire praticien dans un cabinet mixte des Ardennes
Quel est, selon vous, l'impact clinique de la maladie sur les ovins et les bovins de votre clientèle ?
Les éleveurs de moutons qui ont des bergeries au milieu de champs de culture ont été moins impactés que ceux qui ont leurs moutons en pâture autour de zones humides, pour lesquels la mortalité a été violente. Pour les éleveurs de bovins, dans les élevages laitiers, nous avons observé des pics de fièvre chez un nombre important de vaches laitières, une chute violente de la production laitière et des baisses de consommation d’eau et d’aliments. Ce qui a eu des conséquences immédiates sur la production laitière. Dans les élevages allaitants, nous avons surtout eu des avortements et des naissances de veaux prématurés vivants mais dont le poids à la naissance est bien inférieur à la moyenne et dont le taux de survie à long terme est incertain. Il est difficile d’avoir une estimation objective. Ce que qui est sûr c’est que dans notre cabinet nous avons répondu à deux fois plus de déclarations d’avortement par les éleveurs que l’année dernière à la même période.
Qu'en est-il des échanges intra-européens ?
Le principal impact dont les éleveurs se plaignent, c’est sur les broutards. Aujourd’hui, pour pouvoir les faire partir, ils doivent subir une désinsectisation puis quatorze jours après ils doivent avoir une PCR négative. Mais actuellement les PCR reviennent positives donc les broutards ne peuvent pas être vendus pour l’engraissement. Ils sont obligés de rester dans la zone c’est donc problématique pour la commercialisation de leurs animaux. C’est une perte financière supplémentaire pour les éleveurs qui sont inquiets et se demandent s’ils vont pouvoir payer leur banque.
Quelle a été la réaction des éleveurs face à la proposition vaccinale ?
En tant que vétérinaires, on l’a tous constaté, le premier réflexe des éleveurs a été de se tourner vers nous pour dire : le vaccin va être disponible, qu’est-ce que je fais ? Qu’est-ce que je risque à ne pas vacciner ou à vacciner ? Nous avons passé énormément de temps à expliquer et à les aider à prendre au mieux une décision adaptée face à cette vaccination volontaire. Mais une fois qu’ils ont reçu toutes les explications, ils nous disent tous que c’est comme pour le Covid, un vaccin sorti en urgence qui ne fait pas barrage… C’est vrai, contrairement au vaccin contre les sérotypes 4 et 8 dont ils ont l’habitude, celui-ci n’a pas encore d’autorisation de mise sur le marché, ce n’est qu’une autorisation temporaire d'utilisation. Il est efficace mais pas à 100 %, il ne prévient pas la virémie, ni la propagation de la maladie. C’est donc plutôt une vaccination individuelle qui réduit la violence des symptômes et non pas une vaccination collective qui ferait barrière. Le degré d’efficacité n’étant pas le même il y a beaucoup de méfiance et d’hésitation. De plus, les éleveurs n’ont pas la même hésitation selon leur élevage. Chez les éleveurs de moutons, ils ont compris qu’il fallait vite vacciner car, même si le mouton est contaminé, au bout d’une semaine, les signes cliniques diminuent. Chez les bovins, c’est plus compliqué, il faut deux injections à un mois d’intervalle. La protection n'intervient que quinze jours à trois semaines après la seconde dose. Si l’animal contracte la maladie après la première dose, cette première injection ne diminue pas les conséquences cliniques. Certains éleveurs se sentent donc désorientés et il a fallu les convaincre de l’intérêt de vacciner, qu’ils soient ou non impactés par la maladie. Un temps indispensable pour les accompagner au mieux. Au final dans notre clientèle, la couverture vaccinale des moutons devrait être bonne car nous avons eu un emballement sur les commandes de vaccin après une période de flottement. Pour les éleveurs bovins, je resterais plus réservé car la commande des doses a été moins spectaculaire
Aujourd'hui quel est le sentiment principal qui domine auprès de la clientèle ?
Il y a une méfiance envers les vaccins mais également un sentiment de frustration et de colère des éleveurs. Dès que cela a été possible pour notre département, nous avons pu passer les premières commandes sur Calypso mais certains cabinets ont été livrés dès le 16 août tandis que d’autres ne l’ont été que la semaine suivante en raison d’une forte demande pour le distributeur les premiers jours. Ceux qui ont demandé des vaccins sont en colère car ils se disent qu’ils auraient subi moins de pertes si les vaccins avaient pu être distribués dès juillet. Une colère nourrie aussi par la fatigue physique et morale suite à la pénibilité des soins sur leurs animaux malades. Beaucoup ont été abattus puis en colère et frustrés face à des outils de lutte insuffisants. Toutefois, au bout d’un mois, la plupart se sont résignés.