Comportement et éducation : quatre organismes vétérinaires se positionnent - La Semaine Vétérinaire n° 2049 du 27/09/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2049 du 27/09/2024

Bien-être animal

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Par Karin de Lange

En signant récemment un document de position sur le bien-être animal, les professionnels veulent inciter à des pratiques plus éthiques, tout en soulignant l'importance croissante du bien-être comportemental dans la profession. Sean Wensley, qui a participé à son élaboration, en détaille ses objectifs.

Établir une large base à partir de laquelle élaborer d'autres recommandations en matière de bien-être animal. Voilà l'objectif du nouveau document qui prend position sur « Les implications pour le bien-être animal d'une modification comportementale, des méthodes d'entraînement et de la possibilité d'exprimer des comportements spécifiques à l'espèce »1, adopté par la Fédération des vétérinaires européens (FVE) en juin dernier (voir ci-contre). En septembre, il a également été adopté par trois autres organisations vétérinaires, représentant les praticiens canins : la Fédération des associations vétérinaires pour animaux de compagnie (Fecava), l'Association mondiale des vétérinaires pour petits animaux (WSAVA pour World Small Animal Veterinary Association) et la Fédération des associations vétérinaires équines européennes (Feeva). Notre confrère britannique Sean Wensley, qui présidait le groupe de travail sur le bien-être animal de la FVE quand ces travaux ont commencé, répond à nos questions.

Quel est l'objectif de ce document ? Qu'en attendez-vous ?

Le document servira de base à d'autres documents de position spécifiques aux espèces sur les questions liées au comportement. Notre objectif principal est de « démarrer une conversation » et de motiver les actions, par le biais de leur diffusion dans les congrès, dans la presse, etc. Un exemple récent a été la suspension de Charlotte Dujardin (cavalière de dressage britannique), l'une des champions olympiques les plus décorées, suite à la publication de vidéos d'infiltration montrant des méthodes d'entraînement impliquant la coercition, un stress évident et un comportement défensif du cheval en question2. Cela montre la pertinence de ce document, soulignant que les méthodes d’entraînement doivent être éthiques et humaines. Il y a une sensibilisation accrue, et nous espérons que ce document y contribuera davantage.

Quelle est l'importance du bien-être comportemental ?

Le comportement animal est non seulement un indicateur du bien-être animal (comportement stéréotypé, se cacher, vocaliser…), mais aussi un déterminant (contrecarrer le comportement réduira le bien-être animal). Actuellement, on reconnaît davantage l'importance du bien-être psychologique et mental des animaux. La médecine comportementale a longtemps été la « cousine pauvre » de la santé physique. Nous espérons que ce document historique fera saisir l'importance de la santé mentale des animaux. Certaines de ses recommandations croisent même celles émises par la FVE, comme l'élimination progressive des cages pour les poules pondeuses et les cages de mise bas pour les truies.

Comment ce travail a-t-il débuté ?

Cela a commencé avec l'adoption de la stratégie de bien-être animal de la FVE, en novembre 20213. Dans le cadre de cette stratégie, l’Animal Welfare Working Group (AWWG, groupe de travail sur le bien-être animal,) a listé les principaux problèmes actuels de bien-être animal en Europe, classés ensuite par ordre de priorité pour formuler des documents de position. Cette liste comptait trente et un sujets, allant des cages pour les poules pondeuses aux dispositifs d'entraînement électroniques pour les chats et les chiens, en passant par les mutilations douloureuses chez les animaux d'élevage. Nous avons pu constater que de nombreux problèmes de bien-être animal étaient liés au comportement animal. Nous avons donc décidé de produire un document de position global sur ces questions, en mettant l'accent sur les chats, les chiens et les chevaux. Ce document a été réalisé conjointement avec la Fecava, la Feeva et la WSAVA.

Quel rôle devrions-nous jouer en tant que vétérinaires ?

La FVE, en collaboration avec l'American Veterinary Medical Association et l'Association canadienne des médecins vétérinaires, a souligné le rôle des vétérinaires comme principaux défenseurs du bien-être animal4. En tant que profession, nous devons faire preuve de leadership en matière d'utilisation humaine et éthique des animaux. En tant que vétérinaires, nous devons éduquer le public sur le comportement normal et les besoins de bien-être spécifiques à chaque espèce. Un principe éthique important est que « les animaux doivent avoir une bonne vie ». Bien que cette vision puisse sembler simpliste, elle concerne tous les domaines de l'utilisation animale : des truies en cage à l'élevage de chiens hypertypés. Dans ce contexte, je suis heureux de voir plusieurs associations vétérinaires, y compris celles avec lesquelles nous avons collaboré, adopter un programme proactif de bien-être animal et publier des déclarations sur des sujets telles que la mutilation des chats et des chiens à des fins esthétiques et l'élevage d'animaux à physionomie extrême. En tant que profession, nous avons le devoir de promouvoir des recommandations claires pour le bien-être des animaux dont nous nous occupons, ainsi que de remettre en question le statu quo de la façon dont nous utilisons et traitons les animaux, de manière plus générale.

6 pistes pour plus de bien-être

Le document dresse des recommandations qui visent à améliorer les pratiques liées à la modification comportementale animale et à l'entraînement dans six domaines principaux.

1. Responsabilités vétérinaires en matière de comportement et d'entraînement des animaux

– Médecine comportementale préventive (comportement normal, besoins spécifiques à l'espèce, socialisation, consultations pré-achat)

– Premiers soins comportementaux (recherche des causes sous-jacentes, référer vers un spécialiste si nécessaire)

– Expertise clinique

2. Médecine comportementale préventive

– Appel à une orientation universelle pour le bien-être des animaux dans les établissements d'élevage canin, félin et équin

– Appel à une interdiction harmonisée des procédures douloureuses et médicalement inutiles (caudectomie, dégriffage…)

– La socialisation et l'habituation des jeunes animaux sont essentielles dans la prévention des problèmes comportementaux. Les jeunes animaux doivent être progressivement exposés à des images, des sons, des odeurs et des expériences.

3. Méthodes d'entraînement

– L'enseignement vétérinaire devrait inclure une formation aux techniques de manipulation respectueuses du bien-être.

– Les méthodes d'entraînement doivent être humaines et fondées sur des preuves, en évitant les techniques qui causent de la douleur, de la peur ou de la détresse.

– L'équipement et les techniques utilisés à des fins d'entraînement ne doivent pas causer de douleur, de stress ou de la détresse.

– Appel à une interdiction complète des outils d'entraînement électriques, y compris les colliers électriques.

– Appel à une réglementation pour préserver le bien-être des animaux et promouvoir des techniques d'entraînement sans cruauté, applicables à tous les types de sport, d’exposition ou de compétition d'animaux.

4. Possibilités d’exprimer un comportement normal

- Les animaux devraient avoir la possibilité d'exprimer des comportements spécifiques à leur espèce, qui sont cruciaux pour leur bien-être psychologique.

– Les environnements très restrictifs qui empêchent les comportements naturels devraient être interdits (l'attache de chevaux et de chiens isolés), sauf temporairement pour des raisons médicales.

5. Comportement indésirable (« problématique ») 

– Étant donné que les comportements problématiques peuvent indiquer du stress ou d'autres problèmes de bien-être, les vétérinaires doivent être formés pour identifier et traiter les causes sous-jacentes de ces comportements.

– Tous ceux qui ont une responsabilité envers les animaux devraient recevoir une formation pour comprendre leurs besoins spécifiques à l'espèce.

– Tout animal présentant du stress et de la douleur ne doit pas être utilisé pour un entraînement ultérieur.

6. Accréditation et formation des comportementalistes

– Des qualifications professionnelles et des normes éthiques pour les comportementalistes et les formateurs d'animaux devraient être établies.

  • 3. Lorsque Sean Wensley présidait l'Animal Welfare Working Group, le groupe de travail sur le bien-être animal de la FVE.