Le syndrome cardio-hépatique chez le chien et le chat - La Semaine Vétérinaire n° 2049 du 27/09/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2049 du 27/09/2024

Cardiologie

FORMATION CANINE

Auteur(s) : Marianne Jacques

Les cardiopathies concernent un nombre important de chiens et les chats : 30 % des chiens de plus de 13 ans sont atteints de maladie valvulaire dégénérative mitrale (MVDM) et 15 % des chats sont concernés par la myocardiopathie hypertrophique, par exemple. Ces atteintes cardiaques peuvent provoquer secondairement des altérations du fonctionnement d’autres organes, comme le rein, pour lequel le syndrome cardio-rénal est désormais bien décrit en médecine humaine et médecine vétérinaire. Ce n’est cependant pas la seule victime des dysfonctionnements cardiovasculaires. Le foie est un autre organe sur lequel il est pertinent de se pencher lors du suivi des patients dits cardiaques. Si le syndrome cardio-hépatique est connu en médecine humaine, le monde vétérinaire commence à peine à s’y intéresser.

Les marqueurs d’une atteinte hépatique

Le dosage et le suivi de paramètres biochimiques permettent d’accéder à des informations pertinentes sur l’intégrité de différents organes. Il est intéressant de les cumuler afin d’augmenter en sensibilité et spécificité, certains étant plus spécifiques d’organes, ou ayant une demi-vie inférieure, par exemple. Dans le cadre du suivi de la fonction hépatique, les principaux paramètres biochimiques sont les suivants.

– L’activité enzymatique de la phosphatase alcaline (PAL) et de la gamma-glutamyl transférase (GGT), reflet de la fonction d’excrétion biliaire, augmentée en cas de cholestase principalement.

– L’activité enzymatique de l’alanine aminotransférase (ALAT) ou aspartate aminotransférase (ASAT), dont l’augmentation est un marqueur de cytolyse hépatique et donc de défaut d’intégrité du parenchyme.

– La bilirubinémie totale, dont l’augmentation est à corréler à une diminution de la capacité de captation par les hépatocytes, une cholestase ou une hémolyse.

– L’albuminémie, dont une diminution peut refléter une anomalie de la fonction hépatique lorsque les autres causes sont exclues.

Chez l’humain

En médecine humaine, différentes entités pathologiques sont décrites en cas d’atteinte cardiaque, regroupées sous le nom de syndrome cardio-hépatique : altération du fonctionnement du foie, hépatite cardiogénique ischémique, fibrose congestive du foie ou encore cirrhose cardiaque.

Chez l’être humain, le foie reçoit jusqu’à 25 % du débit sanguin et est responsable de 20 % de la consommation d’oxygène de l’organisme à cause de son importante activité métabolique ; il est par ailleurs capable d’extraire jusqu’à 95 % de l’oxygène circulant, ce qui le rend en théorie peu sensible aux seuls changements de perfusion sanguine. Une altération hémodynamique associée à une congestion systémique et une élévation des pressions dans le cœur droit semblent nécessaires à l’apparition d’une dysfonction hépatique réelle.

Lors de décompensation cardiaque aiguë, les paramètres biochimiques mentionnés ci-dessus peuvent être des marqueurs pronostiques intéressants : une augmentation de l’activité enzymatique PAL est associée à une augmentation de la mortalité à 180 jours et à la présence de signes de congestion systémique ainsi qu’à une pression ventriculaire droite élevée, par exemple. Une augmentation de la pression hydrostatique cave serait transmise ensuite aux capillaires sinusoïdes et espaces centrolobulaires ; les sinusoïdes, augmentant en diamètre sous la pression, comprimeraient alors les structures collapsables comme les canalicules biliaires, conduisant à la cholestase traduite par une augmentation de l’activité PAL. On comprend ainsi comment une insuffisance cardiaque droite peut se répercuter sur la fonction d’excrétion biliaire.

La présence d’une hyperbilirubinémie, présente chez 13 % des insuffisants cardiaques, est, quant à elle, fortement associée à l’augmentation de la morbi-mortalité. Enfin, une augmentation de l’activité ALAT est associée à des signes d’hypoperfusion et hypo-oxygénation hépatique, notamment centrolobulaire, provoquant une cytolyse hépatique, et est associée à une mortalité augmentée à 31 et 180 jours.

Lors d’insuffisance cardiaque aiguë, l'hypoperfusion artérielle peut mener à une hépatite hypoxique et des dommages hépatocellulaires directs, traduits par une élévation de l'activité ALAT et ASAT. Il est intéressant de noter qu’après une thérapie inotrope intensive, on constate une amélioration marquée de l’activité ALAT.

Une atteinte cardiaque chronique stable semble fréquemment associée à une augmentation de l’activité GGT et PAL, ainsi qu’une bilirubinémie augmentée. Le profil enzymatique des patients concernés évoque le plus souvent une cholestase. L’albuminémie est également souvent diminuée, et cette diminution semblerait être corrélée à la survie à un an. Chez ces patients, l’insuffisance cardiaque rétrograde provoque une augmentation des pressions veineuses et une hépatopathie congestive, avec cette fois une élévation de l’activité PAL ainsi que de la bilirubine totale.

D’un point de vue physiopathologique, en plus de ce qui a été décrit précédemment, une fibrose centrolobulaire et périportale est décrite.

Chez le chien

Il a été montré que les chiens atteints de MVDM présentent déjà une activité PAL plus élevée que les chiens sains, avant même qu’il soit nécessaire de mettre en place un traitement. Cela suggérerait un impact sur la sphère hépatique de la cardiopathie précoce.

Une autre étude montre que les patients dont la MVDM était échographiquement classée dans le stade ACVIM* B2 présentent une augmentation de l’activité ALAT supérieure à celle des chiens sains. On aurait donc bien une corrélation entre activité ALAT et importance de l’atteinte cardiaque. Lors de l’apparition d’une insuffisance cardiaque congestive, plus de la moitié des chiens présenteraient une augmentation de l’activité ALAT. Il a aussi été constaté une diminution de la protidémie totale et de l’albuminémie lors d’insuffisance cardiaque congestive, qui pourraient aussi être en faveur d’une atteinte hépatique fonctionnelle. Enfin, une étude supplémentaire rapporte une augmentation de l’activité PAL chez un tiers des chiens en insuffisance cardiaque congestive, de l’activité ALAT chez 22 % d’entre eux et de l’activité ASAT chez 20 %.

Ces paramètres biochimiques présentent un intérêt particulier lors du suivi des patients cardiaques notamment parce qu’ils peuvent orienter sur le pronostic vital : lors de MVDM et de myocardiopathie dite de phénotype dilaté (MCD), plusieurs paramètres hépatiques sont augmentés chez les cardiopathes (activité ASAT et ALAT, bilirubinémie), ce qui est un facteur de prédiction du décès de l’animal. Attention cependant, les valeurs sont parfois comprises dans l’intervalle de référence, il s’agit donc d’étudier la cinétique de ces paramètres individuellement.

Chez le chat

Une augmentation discrète de l’activité ASAT et/ou ALAT chez le chat est rapportée dans plus des deux tiers des cas lors de myocardiopathie hypertrophique (MCH). Par ailleurs, lors de présence d’épanchement pleural d’origine cardiogénique, une augmentation des activités PAL et ALAT est constatée alors que ce n’est pas le cas lors d’autres causes d’épanchement pleural. Une diminution de la protidémie totale est également présente.

Lors d’insuffisance cardiaque congestive, plus du tiers des chats présenterait une augmentation de l’activité ASAT, tandis que celle de l’activité ALAT est présente chez 15 % d’entre eux et celle de l’activité PAL chez 7 %.

La littérature scientifique vétérinaire actuelle ne permet malheureusement pas de savoir quel est l’impact pronostic de ces variations biochimiques.

Les données vétérinaires disponibles apparaissent ainsi assez frustes, en particulier chez le chat. Des études complémentaires, centrées sur ce syndrome cardio-hépatique et alliant une évaluation biochimique complète ainsi que d’éventuelles analyses histopathologiques, permettraient de mieux l’appréhender.

  • * American College of Veterinary Internal Medicine. 
  • bibliographie : bit.ly/4er xxwJ