Une seule violence
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Par Anne-Claire Gagnon
Deux associations ont réuni les équipes vétérinaires lilloises pour une soirée dédiée à la maltraitance animale et humaine. Parmi les sujets abordés : les signes cliniques de maltraitance animale, l'importance d'une évaluation émotionnelle des animaux, les obligations légales des vétérinaires pour signaler ces cas.
Le 4 juillet dernier, dans la mairie de quartier des Bois-Blancs à Lille, l’Association contre la maltraitance animale et humaine (Amah) et le Groupe d’étude du comportement des animaux familiers (Gecaf) de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac) ont présenté aux équipes vétérinaires lilloises les éléments cliniques et juridiques sur la maltraitance animale et humaine, avec des avant-premières en matière de communication et de signalement.
Une affiche pour sensibiliser
Pour la quatrième édition de cette soirée, instaurée depuis mai 2023, et pour la première fois organisée ailleurs que dans une école vétérinaire1, les intervenants ont présenté les formes de maltraitance animale. La négligence, par manque de connaissance suffisante ou par intention, en est la principale. Le partenariat que l’Amah a pu mettre en place avec la ville de Lille a permis l’impression d’une des affiches conçues par notre consœur Jessica Dépigny (L 23)2 pour les salles d’attente des structures vétérinaires. Cette affiche a été remise, avec le guide3 développé par l’Amah, aux trente-cinq participants présents et envoyée par la poste à celles et ceux de l’agglomération lilloise. L’impact de cette affiche sera mesuré à l’automne.
Maltraitance animale : à inclure dans le diagnostic différentiel
Notre consœur Dominique Autier-Dérian (L 87), vétérinaire comportementaliste et fondatrice d’Animal Welfare Consulting, a rappelé les éléments permettant d’identifier et de suspecter la maltraitance animale dont certains de nos patients sont victimes. La négligence passive ou active en est la première cause. Les maltraitances peuvent être physiques et/ou émotionnelles. Certaines lésions comme les fractures costales, les hématomes sous-cutanés, les hémorragies sous-conjonctivales, les chutes répétées pour de très jeunes chats (pourtant en âge de se retourner) avec pour toute explication « Il est tombé », et des incohérences du récit avec les faits, sont autant d’éléments qui doivent alerter. « Plusieurs indices peuvent nous mettre sur la voie, a indiqué Dominique Autier-Dérian. Notamment, un client qui montre trop ou trop peu d’intérêt pour les lésions de l’animal, un retard dans la prise en charge, une incohérence entre les lésions et l’histoire racontée par le détenteur, cela en rapport avec un animal anxieux ou agressif. Il est alors important de tout noter, et, si possible, de prendre des photos ou des vidéos, de faire des prélèvements ». La démarche pour intégrer la maltraitance aux hypothèses diagnostiques est expliquée dans le guide de l’Amah, dont la troisième édition est en accès libre.
Maladie comportementale ou maltraitance ?
Notre consœur Fabienne Bedet, à Braine-l’Alleud (Belgique), titulaire du diplôme universitaire de psychiatrie vétérinaire, membre effectif du conseil bruxellois du bien-être animal, a présenté l’intérêt de l’évaluation émotionnelle du patient, qui pourrait être le sixième critère vital en médecine vétérinaire. Au-delà de cette évaluation émotionnelle, c’est l’appréciation globale de l’équilibre comportemental qui est nécessaire à réaliser (avec des grilles comme celles de Claude Béata, la plus utilisée actuellement4), en sachant faire la part des auto-contrôles, des agressions (en déterminant si elles sont spontanées ou réactionnelles, quand l’animal est victime ou covictime lui-même de violences psychologiques et/ou physiques).
L’hyperactivité de l’animal conduit souvent le propriétaire à chercher d’abord des solutions auprès d’amis, d’Internet, à faire usage de la force (qui n’est jamais bonne conseillère) avant de venir consulter. C’est important que toute l’équipe vétérinaire sache orienter et motiver rapidement le propriétaire pour consulter sur ce type de trouble.
A contrario, certains propriétaires de chiens mal sociabilisés, très peureux, sont montrés du doigt par leurs voisins – « Ils croient que nous le battons » –, alors que ce chien souffre d’un syndrome de privation, à prendre en charge médicalement et comportementalement.
Il s’agit donc pour le praticien de faire un diagnostic différentiel et de savoir référer à un vétérinaire comportementaliste diplômé, si les troubles présentés par l’animal dépassent ses compétences.
Responsabilité du vétérinaire
Notre confrère Christian Diaz (T 81), représentant l’Association française des vétérinaires experts (AFVE), a détaillé les obligations ou possibilités de déclarer des actes de maltraitance animale tout en respectant le secret professionnel. Le vétérinaire sanitaire a déjà l’obligation de déclarer à la direction départementale de la protection des populations les manquements graves à la réglementation susceptibles de nuire à la santé publique vétérinaire, celle-ci incluant la protection animale (article L 203-6 du Code rural et de la pêche maritime). Dès cet automne, ce signalement pourra être fait via la plateforme Calypsovet5. La profession sera formée et informée sur cette procédure.
Le vétérinaire peut également signaler des faits de maltraitance animale, constatés dans le cadre de son exercice professionnel, au procureur de la République, conformément à la loi du 30 novembre 2021.
À signaler que le 3677, numéro national dédié aux signalements de maltraitance animale, n’est pas utilisable par les vétérinaires dans le cadre de leur exercice professionnel, cette possibilité de levée du secret n’étant pas prévue par les textes.
Morsure et dangerosité du chien
Autour du cas clinique présenté par l'autrice de cet article, avec la morsure d’un chien sur un enfant lui ayant infligé un acte zoocriminel, la discussion sur la conduite à tenir, avec Fabienne Bedet et Émilie Couquerque (inspectrice santé et protection animale6), a permis de souligner plusieurs aspects. La morsure doit faire l’objet de trois visites sanitaires7, obligatoires en France (ce qui n’est pas le cas en Belgique). Celles-ci doivent être complétées, pour les chiens mais pas pour les chats, d’une évaluation concomitante de la dangerosité du chien (réglementairement effectuée dans le même délai de quinze jours suivant la morsure), laquelle est renvoyée à la mairie soit par courrier, soit via I-Cad (ce qui permet aux interlocuteurs ayant un accès complet d’en prendre connaissance et d’agir en conséquence en cas de récidive notamment ). Émilie Couquerque a regretté l’absence de détails dans les évaluations qu’elle reçoi, ne lui permettant pas alors de « prendre les dispositions appropriées pour permettre d’assurer la sécurité publique de manière pérenne. Certaines fois, les comptes rendus comportent deux lignes sans aucune précision sur le contexte de la morsure, le protocole de visite mis en place ni sans qu’aucune préconisation ne soit mise en exergue ». Un déroulé pour ce type de consultation est pourtant disponible8.
Le questionnement systématique, avec cette simple phrase ouverte (« Comment ça va à la maison ? »), que tous les professionnels de santé sont invités à pratiquer, peut souvent permettre d’ouvrir la conversation sur les méthodes éducatives et les situations de pouvoir et de contrôle subies, sans distinction d’espèces. Le simple fait d’en parler peut permettre une prise de conscience lors de la consultation, ultérieurement ou rester lettre morte.