IAHP : une nouvelle campagne vaccinale sur les rails - La Semaine Vétérinaire n° 2050 du 04/10/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2050 du 04/10/2024

Maladie réglementée

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Par Tanit Halfon

Les autorités sanitaires reconduisent la vaccination obligatoire des canards après le succès de la première campagne. Forts de cette expérience, les vétérinaires praticiens se préparent, avec l’objectif d’être encore plus efficaces.

La France va continuer à vacciner ses canards contre l’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP). Le premier jour officiel de cette deuxième campagne1 vaccinale a été fixé au 1er octobre 2024, avant la saison hivernale, période la plus à risque pour les élevages. L’occasion de tirer le bilan de la première campagne, pour les vétérinaires du réseau Cristal, lors d'un webinaire2 organisé le 18 septembre 2024. Premier constat : « Tout notre travail a été couronné de succès, avec 10 foyers seulement rapportés, contre 398 l’an dernier. La France ressort du classement des cinq pays les plus touchés, comme c’était généralement le cas. Et c'est le pays qui a le plus nettement réduit son nombre de foyers, a indiqué Jocelyn Marguerie (N 02), du cabinet Fili@vet dans les Deux-Sèvres. Selon une étude en cours, la vaccination aura permis une baisse de 96 % du nombre de foyers. Autrement dit, sans vaccin, compte tenu du niveau de pression dans l’environnement, nous aurions pu faire face à près de 500 foyers. C’est une très belle victoire. »

La reconduite de la vaccination se fera presque à l’identique. Elle reste obligatoire pour tous les canards des élevages de plus de 250 animaux dont les produits (viande et foie gras) sont destinés à la commercialisation, et volontaire pour les élevages reproducteurs lorsque la production est destinée exclusivement au marché français. Pour le reste, la vaccination est interdite, sauf exceptions autorisées.

Ajuster pour économiser

Pour cette reconduction, le comité de pilotage sur la vaccination contre l’influenza aviaire envisage un certain nombre d’ajustements réglementaires. Notamment un arrêt des sérologies de surveillance sur chaque lot en fin de production, jugées peu informatives. « On va se reposer sur l’enquête européenne3 de surveillance de l’influenza aviaire qui est faite chaque année », a précisé Jocelyn Marguerie. Il restera toujours la surveillance virologique mensuelle4 des élevages vaccinés. Sans oublier la surveillance clinique faite au quotidien par les éleveurs (surveillance passive), lesquels doivent aussi obligatoirement envisager des analyses supplémentaires hebdomadaires sur les oiseaux morts (surveillance passive renforcée).

Autres perspectives : une réduction des visites post-vaccinales par lot (passage de 3 à 2 visites par lot de canards), arrêt de la 3e injection de primovaccination et fin du forfait d’administration. Ce dernier était alloué aux équipes spécialisées de vaccination sous supervision des vétérinaires sanitaires : « L’ensemble du coût de l’administration du vaccin, qu’elle soit réalisée par l’éleveur ou par une équipe, est désormais à la charge des éleveurs et des filières. »

Ces évolutions s’inscrivent dans une recherche globale d’économie. L'Etat a d’ailleurs annoncé qu’il contribuerait à hauteur de 70 % des coûts générés les trois premiers mois (la suite sera communiquée par le nouveau gouvernement), contre 85 % l’an dernier. « Mais l’État continuera de payer à 100 % les vaccins, leur acheminement vers les cabinets vétérinaires, la supervision de la vaccination par les vétérinaires et la surveillance active, associée aux analyses. Les filières prendront en charge 100 % de l’administration des vaccins, ainsi que la surveillance passive renforcée. »

Des pratiques à améliorer

Côté vétérinaires, l’enjeu de la nouvelle campagne vaccinale sera d’améliorer les pratiques des vaccinateurs, après avoir constaté des manquements lors de la première, comme en a témoigné Charley Babin (N 17), un praticien de Labovet conseil dans les Pays de la Loire. Les visites obligatoires d’audits5 des chantiers de vaccination ont révélé des manquements de biosécurité de la part des éleveurs, avec par exemple des sas pas adaptés, ou des équipes de vaccination qui se garent juste à côté du bâtiment d’élevage. Des non-conformités ont aussi été notées pour la préparation des vaccins, et leur administration : mauvaise remise à température du vaccin pouvant engendrer des lots choqués voire de la mortalité, injections manquées non reprises, mauvais entretien du matériel, etc. « Parmi les problèmes persistants aujourd’hui, il y a des problèmes de bien-être animal, avec une mortalité par étouffement ou des pattes cassées dans des lots. Cela avait aussi trait à des problèmes d’organisation de chantier, des méthodes d’injection, des lâchers d’animaux, etc. », a détaillé le vétérinaire. Il a également évoqué des cadences de vaccination pouvant être trop élevées : « Lorsque les cadences sont de 4 à 6 secondes par animal, il y a très peu d'animaux choqués. » Tout comme certains chantiers qui manquent de personnel, générant des dérives dans les pratiques.

La sérologie pour contrôler les pratiques

Enfin, selon Charley Babin, se pose la question de l’efficacité vaccinale sur des lots en mauvaise santé ou en cours de traitement. « Ces lots sont-ils aussi réceptifs à la vaccination ? » Cette réflexion est à mettre en regard avec la détection d’IAHP sur des lots vaccinés en Vendée, pour lesquels les experts de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail avaient indiqué que « le stress occasionné par l’opération de double vaccination (IAHP + parvovirose) aurait pu entraîner une baisse immunitaire favorable au démarrage sur le lot de l’infection bactérienne, des pathogènes probablement déjà présents ou possiblement introduits. Cela peut avoir empêché une bonne prise vaccinale ».

Les mauvaises pratiques peuvent être contrôlées indirectement par des analyses sérologiques, a indiqué le troisième intervenant du webinaire, Vincent Blondel (T 17), vétérinaire à Socsa élevage, dans le Gers. Au cours de la première campagne, de nombreuses données ont pu être accumulées en ce sens, pour les populations de canards mulards et de Barbarie, à l’aide d’un test H5 validé (kit IDvet). Ce qui a permis de définir des seuils d'anticorps post-vaccination pour le vaccin Volvac de Boehringer Ingelheim. À ce stade, il n’y a pas encore assez de données pour le vaccin Respons, de Ceva Santé Animale. Si ces seuils ne sont pas atteints, une enquête et un audit sont nécessaires pour évaluer les pratiques des vaccinateurs. Par exemple, pour un canard mulard prélevé entre 15 et 35 jours après la V2, et vacciné double corps avec un vaccin huileux, le pourcentage de tubes positifs (lot de 20 canards testé) attendu est supérieur à 90 %. Si l’expérience de la première campagne a permis d’identifier les points d’attention à surveiller, de nouveaux s’ajoutent avec la campagne suivante qui inclut deux vaccins, et non plus un seul, ce qui demande aux équipes de s’adapter aux préparations spécifiques de chaque solution vaccinale.

Questions à Jocelyn Marguerie (N 02), vétérinaire en filières avicoles, dans les Deux-Sèvres

Les économies visées par l’État, qui s’est engagé à hauteur de 70 % pour la campagne 2024, contre 85 % l’an dernier, ne risquent-elles pas de poser problème pour les filières ?

Les économies sont voulues aussi bien par les filières que par l’État. Si ce dernier réduit effectivement sa contribution, on espère que les ajustements envisagés lors de la deuxième campagne permettront de limiter l’impact sur les coûts supportés par les professionnels.

Dans cette optique, l’arrêt de la 3e dose n’est-il pas discutable ?

Cette demande, soutenue par les filières, représente un compromis. Elle s’appuie sur l’idée qu’une primo-vaccination en deux injections pourrait suffire à protéger les populations d’oiseaux domestiques d’une zone donnée. Une publication scientifique conforte largement notre impression de réussite, en démontrant que la vaccination en France a réduit de 97 % le risque d’épisode d'IAHP. Par ailleurs, cette nouvelle campagne vise à optimiser les protocoles vaccinaux, en ajustant l’intervalle entre les injections et en renforçant la qualité des chantiers de vaccination. 

Comment comptez-vous améliorer les pratiques observées lors de la première campagne vaccinale ?

Les vétérinaires sanitaires sont chargés du suivi des campagnes de vaccination, chacun s’organisant pour garantir leur bon déroulement. Nous souhaitons un renforcement de l’accompagnement vétérinaire des entreprises spécialisées et continuerons de nous appuyer sur les audits obligatoires pour assurer la qualité des pratiques. Cela dit, il est important de souligner que, dans l’ensemble, la première campagne s’est bien déroulée.

Les sérologies de contrôle des bonnes pratiques vaccinales seront-elles reconduites ?

Nous le souhaitons, d’autant qu’un consensus sur les procédures existe aujourd’hui. Nous bénéficierons bientôt des résultats d’études en cours sur l’interprétation de ces sérologies. 

Les vétérinaires pourront-ils assumer plusieurs années de vaccination contre l’IAHP ?

Je pense que nous avons trouvé une organisation efficace pour gérer cette charge de travail, tant pour le back-office que pour les interventions sur le terrain. Les améliorations prévues de Calypso faciliteront notre tâche, et les services décentralisés devront utiliser cet outil pour récupérer les informations nécessaires, sans avoir à nous solliciter. Sur le terrain, il y aura une réduction des visites de surveillance post-vaccinales. Ces visites peuvent également être confiées à des étudiants de dernière année, à l’instar de la "pique" qu’ont pu connaître les précédentes générations de vétérinaires. C'est une opportunité pour nos cabinets de promouvoir la médecine avicole et, à terme, d'attirer de nouveaux talents.

  • 3. La Commission européenne demande depuis plusieurs années, que soit mis en place un programme de surveillance de l’influenza aviaire au sein des élevages de volailles. L'enquête concerne les élevages de volailles tirés au sort selon une analyse de risque d'influenza aviaire. Voir https://lc.cx/zvXc-X
  • 5. Audits de 10 % des chantiers, avec un audit systématique du premier chantier de vaccination fait par un éleveur.