Innovation
ANALYSE CANINE
Auteur(s) : Par Tanit Halfon
Orthopédie, cancérologie, cardiologie, gastro-entérologie… les domaines d’application de la chirurgie mini-invasive chez les carnivores domestiques sont de plus en plus variés, en lien avec les progrès de l’imagerie médicale. Plusieurs études permettent de confirmer le bénéfice de cette approche par rapport aux techniques classiques. Le point avec Mathieu Manassero (N05), professeur à l’École nationale vétérinaire d'Alfort et chef de service de chirurgie.
Qu’est-ce que la chirurgie mini-invasive ?
Il s’agit d’approches qui visent à limiter le traumatisme chirurgical, via des incisions de taille réduite de l’ordre de un centimètre, ou en utilisant les voies naturelles de l’organisme. Elles s’appuient sur des instruments spécifiques couplés à un système d’imagerie vidéo. Pendant très longtemps, la chirurgie ne se concevait que par de grandes incisions, et on préconisait même de les agrandir pour mieux voir. Le dogme a changé avec, il y a une trentaine d’années, le développement de la cœlioscopie en médecine humaine, qui a ouvert la voie à une véritable révolution chirurgicale que sont les procédures mini-invasives. En médecine vétérinaire, un vrai tournant a été pris ces dernières années. Pour exemple, la cœlioscopie a donné lieu ces dix dernières années à deux cent cinquante articles sur le sujet référencés sur PubMed contre soixante-dix la décennie précédente.
Toutes les disciplines chirurgicales peuvent-elles bénéficier aujourd’hui d’une approche mini-invasive ?
Oui, des procédures sont décrites pour de nombreux tissus, que ce soit en traumatologie, neurologie, cardiologie, chirurgie préventive gynécologique ou oncologie et, bien sûr, en chirurgie viscérale et en chirurgie articulaire. Ce qui peut limiter leurs usages – outre les avancées en matière d’instrumentation – ce ne sont pas les domaines ni même les tissus, mais les indications dont certaines restent du ressort de la chirurgie ouverte. Par exemple, la mucocèle biliaire est une excellente indication de cholécystectomie par une approche mini-invasive en cœlioscopie sauf lorsqu’elle est associée à une obstruction du canal cholédoque. C’est la même chose pour la surrénalectomie, qui peut être réalisée par cœlioscopie sauf en cas d’invasion vasculaire.
Les approches mini-invasives ont révolutionné ma pratique pour certaines procédures. Par exemple, le traitement endoluminal des ectopies urétérales au laser, ou les approches combinées thoraco-abdominales pour le chylothorax idiopathique chez le chien, même s’il n’y a pas de données de la littérature étayant formellement que cette approche est associée à un meilleur pronostic que celui associé aux chirurgies ouvertes. Ces approches ont aussi permis de simplifier le geste pour certaines affections et leurs traitements associé, par exemple en cardiologie interventionnelle et plus spécifiquement pour le traitement des sténoses pulmonaires, où auparavant la chirurgie était très lourde avec une circulation extracorporelle.
Quels bénéfices peut-on attendre d’une approche mini-invasive ?
En premier lieu, la diminution du traumatisme pariétal, qui va de pair avec une diminution de la douleur postopératoire tout comme une réduction du risque infectieux, et une récupération plus rapide. Chez l’humain, on peut ajouter une diminution du préjudice esthétique. Le confort est également accru dans de nombreux cas pour le chirurgien, qui va pouvoir aussi avoir accès plus facilement à certains organes comme pour la vésicule biliaire lors cholécystectomie chez les animaux à thorax étroit et profond. Des études1 ont aussi démontré que le taux d’infection du site opératoire est deux à trois fois moins important lors de cœlioscopie que de chirurgie ouverte.
Quels sont les domaines où cette approche s’est révélée fortement avantageuse pour l’animal ?
Actuellement, très peu d’études ont comparé les approches ouvertes et mini-invasives dans un contexte clinique, ce qui rend difficile l'accès à un niveau de preuves élevé et d’étayer de manière formelle les bénéfices de ces nouvelles approches. Malgré tout, la démonstration a été faite pour certaines procédures : l’approche mini-invasive pour l’ovario-hystérectomie chez la chienne est associée à une réduction2 du stress et de la douleur postopératoire. De même, on a démontré que les ovariectomies et les gastropexies par approche mini-invasive sont associées à une récupération3 plus rapide. La péricardectomie sous thoracoscopie est aussi associée à une réduction4 du stress et de la douleur postopératoire comparativement aux approches ouvertes. Récemment, une étude5 a été menée à l’École nationale vétérinaire d'Alfort (EnvA) sur le traitement endoluminal au laser de l’ectopie urétérale : elle a prouvé que cette procédure engendrait moins de complications et un meilleur résultat en termes de continence postopératoire qu’une approche ouverte. Pour les autres procédures, il manque encore des données factuelles pour formuler des recommandations précises, mais je ne sais pas si on y arrivera un jour en médecine vétérinaire du fait notamment des effectifs limités des études. Cela est illustré par une méta-analyse6 récente se basant sur quarante études, et qui n’a pas réussi, faute de puissance statistique, a étayé la supériorité des ostéosynthèses réalisées par approche mini-invasive, en termes de cicatrisation osseuse, récupération et complication par rapport aux approches ouvertes.
Dans ce contexte, peut-on recommander l’approche mini-invasive en première intention dans certains cas ?
Tant qu’il n’y a pas davantage d’études comparatives, difficile de l’affirmer avec certitude. Mais pour les exemples cités, je pense que l’on peut dire que la réalisation de ces procédures semble être très clairement bénéfique pour le patient. À mettre toutefois en balance avec les compétences et le matériel à acquérir, le surcoût que cela représente pour le propriétaire, etc. Donc, selon moi, les approches ouvertes ont toujours leur place aujourd’hui.
Quelles sont les contraintes de ces nouvelles approches ?
Elles nécessitent un matériel spécifique, avec le coût qui va avec, d’autant plus que les instruments sont souvent à usage unique. Si les instruments ont été développés pour les humains, cela ne les rend pas inadaptés pour nos animaux ; nous pouvons utiliser notamment les instruments conçus pour la pédiatrie. En revanche, je pense que le surcoût ne doit pas être considéré comme le facteur le plus limitant. Pour preuve, une étude7 de 2018 menée aux États-Unis auprès de mille deux cents propriétaires de chiens a montré que 90 % d’entre eux étaient prêts à envisager une ovariectomie sous cœlioscopie. Et 50 % étaient prêts à payer un surcoût de 100 à 200 $. Nous avons conduit une étude similaire à l’EnvA, dans le cadre de la thèse d’exercice8 du Dr Faul, et encadré par le Dr Legrand, il y a deux ans auprès d’un peu plus de trois cents propriétaires : de la même manière, ils sont majoritairement prêts à payer un surcoût de 300 € pour une ovariectomie chez le chien, et de 400 € pour des procédures plus complexes. Même s’il est difficile de transposer les résultats à la pratique vétérinaire française, notons qu’une étude9 nord-américaine met en évidence que l’implémentation de la cœlioscopie et de l’endoscopie en pratique généraliste était économiquement viable. La contrainte principale reste en fait l’apprentissage et l’acquisition des compétences nécessaires pour réaliser ces procédures.
Comment se former à l’approche mini-invasive ? Quelles applications sont les plus accessibles aux établissements de soins généralistes ?
Il y a une vraie courbe d’apprentissage liée à une technicité spécifique. En médecine humaine par exemple, il a été montré que ce n’est au bout d’une cinquantaine de cas de cholécystectomie ou de procédures thoracoscopiques qu’on arrivait à une réduction notable du temps opératoire, tout comme de la prévalence des complications. Cet apprentissage peut se faire via le mentorat ou le compagnonnage, comme pour la chirurgie ouverte, mais cela peut s’avérer souvent insuffisant pour les approches mini-invasives compte tenu du matériel spécifique, et de compétences nécessaires différentes de celles en chirurgie conventionnelle, comme le fait de pouvoir être ambidextre, de pouvoir anticiper la profondeur de champs sur un écran, de coordonner sa vision et ses mains, réapprendre les sensations avec un retour tactile différent, la nécessité d’un exercice et d'un entraînement délibérés, etc. Les compétences sont aussi techniques que cognitives. N’importe quel praticien, s’il s’en donne les moyens, pourrait se former à ces approches, en associant le mentorat aux formations postuniversitaires, à condition de pouvoir avoir accès au matériel.
Peut-on encore aller plus loin ?
Je pense qu’il sera toujours techniquement possible d’aller plus loin. Par exemple, on commence à décrire les procédures d’embolisation tumorale sous fluoroscopie en cancérologie, permettant d’envisager de traiter des patients en impasse thérapeutique lors de tumeurs hépatiques ou prostatiques. Les robots chirurgicaux sont également en pleine expansion en médecine humaine. Dans le secteur vétérinaire, en Belgique, un cas10 de prostatectomie avec un robot a récemment été décrit. Mais à mon sens, le coût de ce type de machine – achat et fonctionnement –, la technicité particulière à développer et la rareté des indications font que son usage va potentiellement demeurer au stade du fantasme encore de nombreuses années pour la chirurgie vétérinaire.
Les étudiants sont-ils formés à ces nouvelles approches ?
Cela reste compliqué car cela demande un temps d’apprentissage long et qu'en outre la formation initiale doit pouvoir en premier lieu former les étudiants à la chirurgie ouverte. Mais ils y sont de plus en plus sensibilisés au cours de leurs rotations cliniques.