La filière vétérinaire en manque de diversité - La Semaine Vétérinaire n° 2050 du 04/10/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2050 du 04/10/2024

Études

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Par Tanit Halfon

Selon un rapport commandé par le ministère de l’Agriculture, cette filière s’avère « la moins diverse socialement » par rapport à d’autres grandes écoles et cursus universitaires scientifiques et médicaux. L'accès est « socialement discriminant » quelle que soit la voie de concours. Analyse et chiffres dans le détail. 

La diversification des voies de concours pour l'accès aux écoles vétérinaires va-t-elle de pair avec une diversité sociale, géographique et de genre dans les profils des étudiants ? La réponse est plutôt non, a révélé un rapport1 de février 2024, commandé par la direction générale de l'enseignement et la recherche (DGER) du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire (Masa), et récemment rendu public. Son objectif était de dresser un état des lieux de la diversité sociale, géographique et de genre des dix écoles sous tutelle du ministère. Sur la base des données2 des années 2021 et 2022, une première grande conclusion révèle que la filière vétérinaire s’avère « la moins diverse socialement » par rapport à d’autres grandes écoles et cursus universitaires3 : 71 % des inscrits de 4e année4 ont au moins un des deux parents cadre, bien plus que dans les universités (52 à 63 %), et également plus que dans les écoles agro du Masa (65 %). Même configuration pour la part des étudiants avec deux parents cadres, qui est de 35 % pour la filière véto contre 29 % pour les agro, et de 21 à 27 % pour l’université.

Une filière féminine et favorisée

Malgré tout, les écoles nationales vétérinaires sont loin d’être les pires : l’école Polytechnique, qui est incluse dans les comparaisons, compte 89 % des élèves de 4e année ayant au moins un parent cadre, 57 % ayant deux parents cadres.

L’autre grande conclusion concerne, sans surprise, la diversité de genre : et là encore, la filière vétérinaire est celle où « la part des femmes est la plus importante », avec 74 % d’étudiantes en 4e année… Les écoles agro du Masa comptent 66 % de femmes. Ce constat est toutefois loin d’être une exception dans l’enseignement supérieur médical français puisqu'il rejoint ce qui est observé dans les universités de médecine (70 %), dentaire (61 %) et pharmacie (67 %). Dans les universités « autres sciences » et les écoles d’ingénieurs hors Masa, le rapport s'inverse avec respectivement 70 % et 72 % d’hommes, la palme revenant encore à Polytechnique avec 78 % d’étudiants !

La situation est un peu meilleure en ce qui concerne la diversité géographique, puisque 37% des 4e année en véto (et en agro) proviennent d'un territoire rural contre 12 à 27% dans les autres cursus. 63% proviennent d'une zone urbaine, contre 73 à 88% pour les autres.

Un manque de diversité dès le recrutement

Ces constats s’inscrivent dans une tendance de fond, observée dès le lycée en France, bien résumée par les auteurs du rapport : « L’origine sociale et le genre conduiraient à former des choix d’orientation différenciés, ainsi que des aspirations à la poursuite d’études différenciées. » Et qu’on retrouve donc finalement logiquement au niveau du profil des inscrits dans les différentes voies de recrutement des écoles vétérinaires. Les élèves inscrits en 2022 en classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE) biologie, chimie, physique et sciences de la Terre (BCPST) (voie CPGE-BCPST, ex-voie A BCPST5), qui a représenté 37 % des places offertes pour la session 2024 du concours, sont à 70 % des femmes. De même, ils sont globalement davantage issus de milieux sociaux plus favorisés, avec 66 % d’entre eux ayant au moins un des deux parents cadres, et 28 % deux parents cadres. Cette composition sociale n’est toutefois pas une exception dans le paysage des CPGE puisque les études montrent que « près de 60 % des élèves de ces classes, toutes filières confondues, font partie des catégories sociales favorisées (2018-2019) ». À noter que les CPGE-BCPST sont malgré tout « bien plus ouvertes que ce soit socialement ou géographiquement que les autres CPGE scientifiques ».

L’autre principale voie de recrutement, la voie post-bac, qui a pesé pour 30 % des places offertes pour la session 2023, et censée apporter plus de diversité, n’inverse pas la tendance. Sur les plus de cinq mille candidats, 75 % sont des femmes, 61 % ont au moins un des deux parents cadres, et 26 % deux parents cadres. Ceci dit, la part de candidats post-bac avec deux parents cadres est inférieure à ceux issus de la voie A BCPST qui se présente in fine au concours, et qui est de 32 %. Cette voie post-bac, par contre, apporte nettement une diversification géographique, par rapport aux autres.

La voie C, en cours de réforme5, est celle qui offre le plus de diversité sociale, incluant plus de boursiers, par rapport aux voies A et B.

Un accès  « socialement discriminant »

Plus que le choix d’orientation, l’origine sociale va également peser fortement sur la réussite au concours… y compris pour la voie post-bac. Pour cette voie, selon le rapport, « les candidats d’origine modeste (parents ouvriers, employés ou inactifs) ont environ deux fois moins de chances d’être admissibles qu’un candidat dont les deux parents sont cadres dont l’un profession libérale ou chef d’entreprise ». Autre constat : « Avoir des parents cadres mais sans que l’un des deux soit ingénieur ou professeur réduit même les chances d’admissibilité ». Passé l’admissibilité, il n’y a plus de lien avec l’origine sociale. Au final, « les candidats qui ont le plus de chances d’être intégrés sont des garçons, issus de lycées privés, à caractéristiques égales par ailleurs (même origine sociale) ». Dans cette voie, les candidats des grandes communes n'ont pas plus de chances que les autres… mais quelle que soit sa commune de résidence, le candidat de milieu favorisé aura toujours plus de chances d'être admissible.

Cette tendance est également observée pour les voies B et C. Pour la première, qui a offert 7 % des places à la session 2024, « le fait d’avoir deux parents cadres augmente de 50 % les chances d’être admissible, et double les chances d’être classé. L’origine géographique, quant à elle, n’a pas d’influence », constatent les auteurs du rapport, qui parlent d’un accès aux écoles vétérinaires « socialement discriminant ». « La recherche de diversité par des voies d’admission parallèle dans ces écoles ne semble pas rencontrer les objectifs identifiés. Toutefois, cela permet d’avoir une voie pour les vocations plus tardives et, peut-être, pour des projets plus maturés », soulignent-ils. Pour la voie C, si la diversité sociale est plus élevée, « les candidats dont aucun parent n’est cadre ont deux fois moins de chance d’être admissibles » ; l’effet de l’origine sociale ne joue plus après l’admissibilité.

Accompagner en amont du concours

Pour les auteurs du rapport, l’ouverture des voies alternatives mérite toutefois d’être poursuivie « en augmentant leur contingent respectif et en favorisant les dispositifs d’accompagnement méthodologique des candidats en amont du concours ». Par exemple, élaborer des préparations académiques et méthodologiques pour les futurs candidats et autres dispositifs pour limiter l’autocensure (sessions d’informations, mentorat…). Dans ce sens, des bourses pourraient être mises en place pour couvrir les frais associés aux concours d’entrée. Parmi ces voies alternatives, la mission recommande de valoriser la voie C en cours de réforme, étant donné que cette voie « offre des profils d’apprenants plus diversifiés ». La voie A-BCPST est aussi visée avec la préconisation de réviser les épreuves, notamment en ajoutant un oral pour évaluer la motivation et les soft skills (compétences comportementales comme l’intelligence relationnelle, les capacités de communication, les aptitudes interpersonnelles etc.)

Entre autres recommandations, il est préconisé de nommer un référent diversité dans chaque école, et d’élaborer un indicateur pour suivre la diversité des écoles. In fine, si dix-huit recommandations sont faites, il s’agit de « faisceaux d’action fondés sur quelques principes », étant donné que « la diversité au sein des écoles du Masa ne saurait être atteinte rapidement tant les contraintes – souvent externes au ministère – sont nombreuses : l’héritage des inégalités issues de l’éducation nationale, la nécessité de maintenir une exigence scientifique, le principe d’égalité républicaine qui s’impose à un concours public, etc. »

  • 2. Les auteurs ont pointé du doigt une difficulté d’accès ou d’analyse de données, rendant impossibles des analyses de séries temporelles longues.
  • 3. Comparaison avec les grandes écoles d’ingénieurs, l’école d’ingénieur Polytechnique, les secteurs universitaires des sciences de la vie, biologie, santé, médecine et autres sciences.
  • 4. Tous les pourcentages du rapport correspondent aux inscrits de 4e année en 2021-2022.
  • 5. Le nom des voies a changé avec l’arrêté du 9 novembre 2023, qui a aussi acté la réforme de la voie C, voir https://urlz.fr/shGk