Pics de stress chez les vétérinaires - La Semaine Vétérinaire n° 2050 du 04/10/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2050 du 04/10/2024

Santé mentale

ENTREPRISE

Auteur(s) : Par Anne-Claire Gagnon

La Fédération vétérinaire européenne vient de publier1 les résultats d’une étude sur le niveau de bien-être mental des praticens en Europe2, entre 2018 et 2023. Décryptage.

Le niveau de stress est resté haut entre les deux études, passant de 6,9/10 à 2,7/4, alors que l’effet post-Covid sur la population générale a été bénéfique notamment en 2021 en termes de bienveillance et de solidarité avec un sens retrouvé de l’intérêt commun.

Si pour quelques rares pays, les hommes totalisent les niveaux de stress les plus importants, ce sont majoritairement les femmes, les jeunes diplômés, les vétérinaires travaillant à plein temps et les managers qui sont les plus impactés. Le niveau de stress diminue lorsque l’âge augmente, semblant indiquer la mise en place par les individus de stratégies efficaces.

Savoir prendre un congé médical à temps

Au cours des trois dernières années, 22 et 23 % des répondants ont dit avoir eu besoin de s’arrêter plus de deux semaines pour épuisement, burn out, fatigue empathique ou dépression. Les écarts allaient de 12 à 63 % et 9 à 58 %. Les auteurs soulignent que ce chiffre est certainement sous-estimé dans la mesure où le déni est important à reconnaître que l’on a été vulnérable, par crainte de la stigmatisation et de problèmes de confidentialité. Là encore, ce sont les femmes qui ont principalement pris ce congé médical (25 et 26 % resp. contre 17,3 et 18 % pour les hommes respectivement pour les années étudiées).  Les pourcentages les plus importants ont été déclarés par des vétérinaires travaillant en ONG (66 %) et dans l’hygiène alimentaire (33 %). Travailler dans une structure indépendante ou un groupe n’a pas modifié les taux de congés médicaux. Ces taux sont les plus bas dans les domaines de l’éducation et de la recherche (12 et 18 %). L’Allemagne affiche un taux de congés médicaux très faible (12 %) avec pourtant un taux de dépression trois fois plus élevé et un taux d’idées suicidaires deux fois plus élevé que la population générale. Savoir demander de l’aide, reconnaître que l’on a besoin de s’arrêter n’est pas encore facile dans une profession qui valorise le culte de faire des heures sans compter…

Sous tension permanente

Le troisième questionnaire permettait en sept questions de prendre le pouls émotionnel des quinze derniers jours, en termes d’expérience, de pensées et de ressenti, d’émotions. Seuls 20 % des répondants se sentent souvent ou tout le temps détendus et 40 % ne le sont jamais ou rarement.

Dans leur analyses, les auteurs soulignent le décalage entre la réalité professionnelle et celle rêvée, rendant encore plus difficile l’adaptation des jeunes diplômés à la charge de travail, aux dilemmes éthiques provoqués par le contexte économique. En cause : des attentes de la clientèle parfois contradictoires, l’utilisation des nouvelles technologies et les changements de mode d’exercice. Pour les femmes, la pression est encore plus grande « pour faire leurs preuves dans des domaines dominés par les hommes, tels que les postes de direction en médecine vétérinaire ». D’ailleurs, elles y accèdent beaucoup moins facilement en raison du difficile équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. « On observe toujours un écart de rémunération entre les hommes et les femmes dans la pratique vétérinaire, ainsi qu'un sexisme de la part des clients, un manque de respect pour les praticiennes après un accouchement et/ou un travail à temps partiel, et des problèmes de mauvaise gestion et de visibilité du leadership, les femmes accédant rarement à l'échelon supérieur de la hiérarchie vétérinaire ».

Aucun lien avec le sexisme et les violences sexuelles et sexistes au sein des équipes n’est évoqué, une piste qui mériterait d’être étudiée. D’autant que l’étude européenne souligne le manque d’inclusion, d’équité et de diversité, confirmant les résultats américains (93,8 % de Blancs non hispaniques aux États-Unis).

Moins et mieux travailler

Les résultats indiquent que le travail à temps partiel semble bénéfique pour le bien-être des vétérinaires, ce qui correspond à des modes d’exercice souvent mis en place par et pour les femmes. Reste qu’il faut que la rémunération (non évoquée dans l’étude) soit à la hauteur des besoins pour bien vivre. Le changement de culture au sein de la profession vétérinaire (comme pour les autres professions de santé) sera nécessaire afin d'abandonner un modèle de rémunération qui valorise d’en faire trop en termes d’horaires. L’enjeu sera de créer des environnements de travail favorables au bien-être de toutes et tous, inclusifs, adaptés aux besoins des différentes étapes de la vie avec un bon équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée. 

1. Avec le Royal College of Veterinary Surgeons (à l’initiative en 2016 de MindMatters).

2. JANSEN W. et al., « Veterinarian-Chasing A Dream Job? A Comparative Survey on Wellbeing and Stress Levels among European Veterinarians between 2018 and 2023 », Vet Sci. 2024, 11(1):48, DOI : 10.3390/vetsci11010048. https://urlz.fr/smiA

L'enquête

Au total, 14559 vétérinaires en 2018/2019 et 12393 en 2022/2023 de 37 pays différents ont répondu au questionnaire en ligne, comprenant une auto-évaluation du bien-être mental (noté de 0 à 10 en 2018 et de 1 à 4 en 2022), des informations sur un arrêt éventuel pour problème de santé mentale : dépression, burnout, épuisement, fatigue empathique et une mesure du taux de bien-être mental en réponse à 7 questions (Warwick–Edinburgh Mental Wellbeing Scale (WEMWBS). En France, le taux de réponse a été de 6 % avec respectivement 1323 et 1231 vétérinaires ayant répondu en 2018/2019 et 2022/2023. En Europe, le taux de réponse a été de 5 % (de 2 % au Royaume-Uni à 22 % au Portugal) avec un nombre de vétérinaires pour 1000 habitants en Europe qui s’établit à 0,41 (0,32 pour la France, 0,40 en Allemagne, 0,41 au Royaume-Uni, 0,5 en Italie, 0,56 en Espagne). La majorité des répondants étaient des femmes (58 et 65 % respectivement), de moins de 44 ans (59 et 56 %).