Revenir à la pratique : un vrai pari - La Semaine Vétérinaire n° 2050 du 04/10/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2050 du 04/10/2024

DOSSIER

Auteur(s) : Par Irène Lopez

Chaque année, quelques dizaines de vétérinaires font le choix de retourner ou d’aller vers la pratique après des années de vie professionnelle hors de tout exercice clinique. Crise de la quarantaine, besoin d’indépendance, recherche de sens… ils entament alors une reconversion pour revenir à leurs premières amours. Quel est leur parcours ? La réussite est-elle au bout de cette démarche ? Témoignages et conseils de ceux qui ont franchi le pas.

« C’est difficile de se retrouver comme un stagiaire de première année après avoir bénéficié d’une voiture de fonction », ironise Laurent Jessenne (A 88), président du Club Vétérinaires et Entreprises (CVE). La phrase pose à elle seule la problématique que rencontrent les vétérinaires qui (re) découvrent la pratique après des années passées loin des consultations et des chirurgies : tout est à refaire. Ces reverse reconversions sont principalement le fait de salariés du privé qui ont fait carrière dans les industries pharmaceutique ou agro-alimentaire, le matériel médical, chez des fournisseurs et prestataires divers… Très peu de salariés du public font ce choix, selon le CVE.

En 2016, le Club avait organisé une soirée destinée aux professionnels du privé sur le thème « Et si on repartait en clientèle ? ». Au mois de novembre 2023, il s’emparait de nouveau du sujet en organisant un webinaire « Véto de labo : et si je redevenais prato ? ». Si Laurent Jessenne maîtrise bien le sujet, c’est parce qu’il connaît bon nombre de ceux qui se posent la question d’exercer de nouveau. Au cœur d’un écosystème de ressources vétérinaires (recruteurs, coachs et spécialistes en outplacement, parcours d’installation et gestion de clientèle, etc.), il est leur point de passage, débroussaille avec eux leurs états d’âme, les renvoie vers d’autres professionnels lorsque le projet n’est pas mûr. C’est une première aide dans ce qui ressemble à un parcours du combattant. Il confirme : « Il n’y a pas de parcours fléché ni de réel “statut” pour redevenir praticien. Chacun est obligé de s’en sortir seul, de trouver son chemin. »

Un facteur déclencheur

Ils sont quelques petites dizaines chaque année à vouloir effectuer cette reverse reconversion. Pourquoi ? Une étude qualitative réalisée par le CVE auprès d’une vingtaine de vétérinaires entre 35 et 55 ans au moment de ce retour, après avoir eu déjà ou pas une première expérience en clientèle, livre des réponses. Les raisons de cette volonté de changement sont multiples. Crise de la quarantaine, perte de sens, absence de liberté, divorce… Certains sont usés par la machinerie des grands laboratoires, où au gré des fusions, certains font les frais des réductions de personnel. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a un déclencheur : un coup de tête, un désaccord avec son supérieur… Mais ce déclencheur ne suffit pas. « Il faut bien creuser le pourquoi… et le pour quoi. Quelle est la cause et quel est le but ? », conseille l’étude du CVE.

Guerric Radière (T 09) est passé par là. Il exerce aujourd’hui en libéral en région parisienne et est maître de conférences en écoles vétérinaires. Il s’est redirigé vers la pratique il y a cinq ans après avoir travaillé dix ans dans l’industrie pharmaceutique (stratégie et marketing) en France et en Allemagne. Il conseille aux étudiants de bien définir leurs motivations. « J’incite les étudiants à se poser les bonnes questions et à définir ce qui les rendra épanouis dans le travail, en tant que praticien ou pas. Pourquoi revient-on ou va-t-on vers la pratique ? Cela peut être parce qu’on aime les animaux bien sûr mais pas que, ou la médecine, ou la liberté et l’indépendance, ou la flexibilité », explique Guerric Radière. Pendant une période de remise en question, il a lu beaucoup d’ouvrages de développement personnel qui l’ont vraiment aidé. Commencer par Pourquoi  – Comment les grands leaders nous inspirent à passer à l'action  de Simon Sinek (Performance Édition, 2015) est l’une de ses références. Son « pourquoi ? » est « le bien-être des animaux en tout genre ». Ils sont le fil conducteur de sa vie professionnelle. Il a compris que le passage par l’industrie était une étape parmi d’autres. La prochaine sera sûrement dans le secteur caritatif, toujours en lien avec les animaux.

Quelles sont les pistes pour confirmer son envie de reverse reconversion ? Les deux principales sont : le bilan de compétences, cadré et systématisé et le coaching, qui permet de se questionner et de répondre plus en profondeur sur ses voies. Il s’agit entre autres d’explorer ses futurs choix d’activité (espèces, spécialités, modes d’exercice, etc.) mais surtout ses motivations et ses ressorts. Pour faire ces choix de façon la plus pertinente, rien ne vaut le terrain. Isabelle Villard (L 96), praticienne chez Vetoadom (voir témoignage), en région parisienne, conseille de « ne pas hésiter à côtoyer, s’informer et tester les différents types de pratique : les urgences à domicile n’ont rien à voir avec l’exercice dans une clinique qui met l’accent sur la prévention ».

Le temps nécessaire de la reformation

Tout le monde n’est pas égal face à une volonté de « reverse reconversion ». « Si vous avez déjà exercé quelques années, cela va aider, mais après vingt ans dans l’industrie, il faut s’y remettre », commente le président du CVE. Il précise : « Ce sera probablement plus facile pour ceux qui sont restés proches (pet food, médicaments, matériel… ) car ils auront évolué avec l’actualité socioprofessionnelle, baignés dans le réglementaire, suivi les avancées scientifiques, côtoyé des praticiens sur le terrain ou lors des congrès. Parmi ceux de l’agroalimentaire, de l’aliment du bétail ou des filières d’élevage, quelques-uns reviennent en rurale. »

D’après les entretiens menés par le CVE, le délai pour être opérationnel oscille entre six et dix-huit mois. Le temps de reformation sera fonction du temps de vacance de l'exercice clinique : de façon générale, dix ans de vacance correspondent à un départ de zéro. Quant au choix de la reformation, les cas diffèrent. Le seul point commun est qu’il n’y a presque aucun accompagnement. Laurent Jessenne le regrette : « C’est encore trop balbutiant en France. S’il y avait un programme un tant soit peu formalisé, fléché et promu, plusieurs centaines de vétérinaires retourneraient en clientèle. Ce serait une maigre contribution au gouffre démographique actuel, certes. Mais il y aurait un apport d’expériences variées ». Certains optent pour la formation pointue du Certificat d'études approfondies vétérinaires (CEAV de médecine interne), d’autres se forment sur le tas en s’appuyant sur l'entraide de confrères, « en mode amical, compagnonnage et système D », voire dans de rares cas, en mode « internat like », comme dans certaines cliniques habituées à accueillir des jeunes diplômés.

Outre le temps dédié à actualiser ses connaissances, l’aspect financier est à considérer. Isabelle Villard a, par exemple, suivi deux formations en ligne sur l’anesthésie et sur la médecine des animaux de compagnie, qu’elle a financées à ses frais. Certains mobilisent leur compte formation. Les vétérinaires ex-salariés du privé en voie de reconversion peuvent quitter une situation et un salaire confortables, parfois avec des indemnités, l’assurance-chômage et des aides à la formation (outplacement, etc.). « Pendant un an en moyenne, il faut avoir une garantie financière pour passer cette période de formation et de retour à l’exercice » : telle est l’une des conclusions de l’étude du CVE. « Il convient certes d’élaborer le business model de sa propre reconversion, mais surtout tout un parcours psychologique à anticiper », ajoute Laurent Jessenne.

Olivier Guillaume (L 98), praticien au sein de la clinique Agoravet à Strasbourg, spécialisé en médecine interne et imagerie (voir témoignage), a fait de son retour en clientèle un projet mûrement réfléchi : « Je savais quelle perte de salaire je pouvais accepter. Je m’étais assuré que mon profil intéresserait… Je n’avais pas d’inquiétude car j’avais anticipé pour que tout se passe bien. »

Les reverse reconversions réussies ne doivent pas cacher le fait que certains ne vont pas jusqu’au bout et rebifurquent vers d’autres opportunités. C’est le cas de Marion Mellin (T 93) qui, après vingt ans dans le monde des chevaux dont deux ans d’exercice clinique, a accepté, à 48 ans, de remplacer des confrères en canine pendant leurs congés, en exerçant un ou deux jours par semaine. Elle commente : « C’est trop peu pour pouvoir assurer le suivi de l’animal et acquérir des compétences techniques. Il faut beaucoup de travail et d’investissement. Une reconversion, on ne peut pas la faire à moitié ». Aujourd’hui, elle a gardé un pied dans le monde vétérinaire et accompagne ses confrères en développement personnel. Heureuse dans sa nouvelle activité, elle conclut : « Peut-être que je n’étais pas faite pour l’exercice clinique. »

Deux questions à Chantal Legrand (A 88)

Maître de conférences associée, en charge de l’enseignement management, marketing et gestion à l'École nationale vétérinaire d'Alfort (ENvA)

« Pour ceux (re)découvrent du sens à devenir praticien, il faut réaborder les choses différemment »

Quel est votre parcours ?

J’ai été praticienne durant deux ans. J’ai ensuite poursuivi une carrière dans l’industrie pharmaceutique pendant vingt-cinq ans. Je me suis même posé la question de revenir vers la pratique à la faveur des plans sociaux. Mais j’y ai renoncé pour d’autres opportunités. Notamment, lorsque j’ai vu passer une annonce de professeur de management à l’ENva, je n’ai pas hésité. Les vétérinaires ont un tel besoin de connaissances dans ce domaine que j’ai décidé de « rendre quelque chose » à cette formation qui m’avait tant donné. C’est le sens de mon engagement. Je suis également responsable pédagogique de la formation ASV APFORM à l’ENvA et je prépare un PhD sur l’intérêt de la télémédecine dans l’optimisation du parcours client en médecine vétérinaire

Dans un monde idéal, quelle formation pourrait-on imaginer pour redevenir praticien (ou le devenir après une longue période sans pratique) ?

On pourrait imaginer des parcours de formation continue. Elle ne serait pas uniquement dispensée au sein de l’école mais pourrait être intégrée au sein de cliniques existantes. Pour ceux qui découvrent ou redécouvrent du sens à devenir praticien, il faut réaborder les choses différemment. Il y aurait une partie théorique qui reprendrait les bases. Elle peut être acquise lors d’une formation continue via l’école. Elle devra être couplée à des stages pratiques. Cette formation pourrait être financée par les budgets alloués à la reconversion des salariés. Une autre solution serait d’accompagner les structures vétérinaires prêtes à investir du temps et de l’argent (pénurie de praticiens oblige) pour former ces vétérinaires en reverse reconversion. Elles achèteraient un accompagnement à la carte.

Isabelle Villard (L 96)

Praticienne chez Vetoadom, en région parisienne

« Les réflexes étaient là »

J’ai repris une activité de praticienne depuis deux ans. J’ai coutume de dire que je suis encore en rodage car je ne cesse de me former. J’ai travaillé dans l’industrie pharmaceutique pendant vingt ans. J’occupais le poste de directrice de la R&D et de la qualité. Et puis, un jour, j’ai appelé Vetoadom pour une urgence concernant l’un de mes chats. J’ai discuté avec le vétérinaire urgentiste. Et c’est ainsi que je suis entrée en contact avec eux. J’ai été accueillie à bras ouverts. Ils sont toujours à la recherche de nouvelles personnes et enclins à travailler avec des profils atypiques. Pour eux, avoir vécu une autre vie professionnelle, notamment dans l’industrie, n’est pas perçu comme un obstacle. L’intégration est facilitée via des supports de formation, des protocoles de soins, etc. Nous accompagnons des associés en vacation. Bref, l’entreprise fait ce qu’il faut pour que ce soit réalisable. En outre, les réflexes étaient là. Nous avons une formation initiale tellement gravée dans le marbre que tout est revenu. Certes, par rapport aux postes que j’occupais dans l’industrie, mon salaire a diminué. J’ai également complètement changé de mode de vie : je pars, par exemple, à 6 heures du matin, je travaille le soir, voire des week-ends.

Olivier Guillaume (L 98)

Praticien en référé exclusif en médecine interne et imagerie à la clinique Agoravet, à Strasbourg

« À partir du moment où l'on a de la motivation, c’est possible »

À la sortie de l’école, j’ai exercé mon activité en équine exclusive au sein d’une clinique (deux vétérinaires) en Alsace. C’était passionnant mais je travaillais 75 heures par semaine, j’étais d’astreinte toutes les nuits de la semaine et un week-end sur deux. La passion s’est alors révélée insuffisante. J’ai répondu à deux annonces parues dans La Semaine Vétérinaire. L’une de mes candidatures a fait mouche. Je pensais rester six mois dans une société spécialisée dans le diagnostic vétérinaire (analyse sanguine, imagerie et échographie). J’y suis resté quinze ans. Au fil des transformations de l’entreprise, j’ai évolué d’un poste de directeur scientifique France jusqu’à responsable de business unit Europe. La partie scientifique me manquait. À la faveur d’un bilan de compétences, j’ai monté un projet pour revenir en clientèle. Mais pas en tant que généraliste. Profitant des compétences acquises dans l’entreprise, j’ai fait le choix d’une activité exclusive en imagerie et médecine interne. Du temps, de l’investissement, un certificat d'études approfondies vétérinaires en médecine interne et plusieurs stages m’ont conduit chez Agoravet. J’y exerce une activité très pointue et variée depuis cinq ans. À partir du moment où on a de la motivation, c’est possible. Mon métier actuel est en phase avec ma nature profonde (HPI et TDAH)1.

Marie Jacolot (A 13)

Praticienne à la clinique Advetam, à la Flèche (Sarthe)

« Je me suis beaucoup formée »

Les stages à l’école ne m’avaient pas donné envie de me lancer dans la pratique. L’exercice clinique en dernière année l’a confirmé. Je savais qu’au bout des quatre ans, j’allais suivre les cours à l’École nationale des services vétérinaires. Je suis devenue inspectrice de santé publique, avec, très vite, des responsabilités managériales. Je me suis investie dans la fonction publique. Et puis, le Covid est passé par là. Mes envies d’indépendance et d’autonomie, « validées » par un bilan de compétences m’ont fait envisager la pratique. J’avoue : cela a été très difficile. Je me suis énormément formée. Chaque jour, je passais 1 h 30 sur mon ordinateur à suivre des séminaires des laboratoires. D’autre part, j’ai actualisé mes connaissances. En outre, j’allais passer des demi-journées en observation chez des confrères. Il y a vingt-cinq mille carrières possibles dans une vie professionnelle. Il faut avoir une capacité de résilience et d’adaptation importantes. Aujourd’hui, je bénéficie d’une disponibilité de la fonction publique. J’exerce depuis trois ans. J’ai fait le choix d’être salariée. La pratique est très engageante physiquement et psychologiquement. Il faut bien réfléchir à l’investissement horaire. Un temps plein n’est peut-être pas le plus judicieux au début.