Plateforme
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Par Anne-Claire Gagnon
La plateforme permet de déclarer en ligne les suspicions de mauvais traitements.Grâce à ces envois numériques, l'administration pourra gérer les cas plus rapidement et établir des statistiques, un exercice jusqu’alors impossible. Marche à suivre.
Le webinaire « Signalez facilement une maltraitance animale »1, animé par notre consœur Estelle Prietz (N 99), référente bien-être animal (BEA) au Conseil national de l’Ordre des vétérinaires, et Émilie Couquerque, référente nationale BEA pour les DDPP, a réuni 400 vétérinaires et autres professionnels de santé animale les 15 et 17 octobre derniers.
Des données fragmentaires et des freins encore importants
Estelle Prietz a précisé ne disposer à l’heure actuelle d’aucune statistique sur le nombre de signalements pour maltraitance faits par les vétérinaires, le plus souvent par mail. Expert en bien-être animal, tout vétérinaire praticien est apte à reconnaître la souffrance d’un animal, avec l’obligation de signaler à la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) les éléments constatés en consultation. Désormais, il a aussi la possibilité de faire cette démarche auprès du procureur.
Il existe encore de nombreux freins à ces signalements, comme le révèlent les résultats de la thèse en cours de Lucie Komorowski (VetAgroSup Lyon), puisque 52 % des 769 confrères interrogés ne connaissent pas la procédure et 46 % ont peur des représailles pour eux-mêmes, leur équipe ou l’animal. Des chiffres similaires à ceux recueillis par Jessica Dépigny dans sa thèse (2023)2 et par l’Association contre la maltraitance animale et humaine (Amah) lors d’une enquête menée avec La Semaine Vétérinaire au cours de l’été 2021.
Suspecter les maltraitances en consultation
Au travers de deux exemples, l’un de coups et blessures survenus sur un jeune chaton présenté à trois reprises (avec des fractures sur 3 membres à 3 mois et une ataxie), l'autre de négligences graves par privation de nourriture sur un doberman pesant 11,6 kg, Estelle Prietz a montré comment les signes cliniques et les incohérences de récit du détenteur doivent orienter le praticien vers une suspicion de maltraitance. L’hospitalisation et des radiographies contribuent, lors de traumatismes physiques importants, à corroborer celle-ci (fractures du crâne, des mâchoires, fractures costales ou des membres datant de différents moments). La confirmation de ces diagnostics ne se fait pas sans une charge émotionnelle souvent importante pour le praticien, dont la DDPP attend la rédaction d’un signalement le plus factuel et précis possible, accompagné de photos et de radiographies.
Obligation envers la DDPP, option avec le procureur
Lorsque la maltraitance animale est observée ou fortement soupçonnée, le vétérinaire titulaire de l’habilitation sanitaire informe sans délai la DDPP, conformément à l’article L 203-6, des manquements ou dangers graves pour les personnes ou pour les animaux. Depuis la loi du 30 novembre 2021, le code pénal a été modifié, en permettant la levée du secret professionnel auprès du procureur en cas de sévices graves, actes sexuels, abandons et mauvais traitements constatés ou suspectés sur des animaux par le praticien. En signalant de bonne foi ces faits, le vétérinaire ne court aucun risque civil, pénal ou judiciaire.
Sur Calypsovet, le formulaire en ligne s’ouvre avec le code personnel du site de l’Ordre, et la déclaration est confidentielle. L’icône du signalement à gauche est une empreinte de chien. Le texte en cours de rédaction peut être conservé 48 heures si le praticien souhaite échanger avec ses collègues, demander conseil au référent BEA ordinal (joignable par mail3). Ces envois numériques aideront la DDPP à gérer plus vite les cas et à tenir des statistiques, un exercice actuellement impossible. L’envoi au procureur4 restera à la charge du praticien, par mail ou par voie postale, à partir du téléchargement du PDF du signalement qu’il aura préalablement transmis à la DDPP via Calypsovet.
L'onglet « Statut » permet de voir l’avancement du signalement, c’est-à-dire si la DDPP en a pris connaissance. En revanche, dès la prise en compte, le secret de l’investigation s’applique et le vétérinaire ne sera pas tenu informé du suivi du dossier. Les formulaires de signalement et de certificat vétérinaire, que l'on remplit en ligne, établis par l’Amah avec le concours du CNOV en 2021, restent disponibles5.
Comprendre le travail de la DDPP et de la justice
Tous les signalements ne conduisent pas forcément au lancement d'une procédure, mais Émilie Couquerque a insisté sur le fait qu’aucun ne restait lettre morte. Au contraire, c’est parfois leur répétition pour un même détenteur qui motive l’ouverture d’une enquête. Y compris pour des faits intrigants, à l'image de cette consœur signalant recevoir régulièrement une éleveuse qui lui présentait ses chiots dans des sacs de toile de jute, sans jamais lui montrer les reproductrices. Ce simple signalement a fourni l'élément manquant pour mettre à jour un trafic qui perdurait.
À réception des signalements, la DDPP traite ceux-ci par espèce et par catégorie (particulier/professionnel). Émilie Couquerque a insisté sur la qualité de leur rédaction : factuel, documenté, en précisant le numéro de Siret si le mis en cause est un professionnel. Lors de l’ouverture de l’enquête, l’anonymat du vétérinaire est préservé. En revanche, quand l’affaire est jugée, le nom du vétérinaire est susceptible d'être révélé (dans les cas de trafic de stupéfiants ou de terrorisme, les sources sont systématiquement protégées).
Lors du cas présenté du chaton victime de traumatismes nombreux et répétés, la consœur avait précisé sur le signalement que la propriétaire n’avait pas la même attitude selon que son mari était présent ou non. L’enquête a mis en évidence, au-delà de la maltraitance du chaton (qui a été saisi et mis en sécurité), des violences domestiques motivant un suivi de cette femme. La vigilance et la qualité d’observation des praticiens sont donc vitales pour les animaux et les humains. Les vétérinaires peuvent être fiers de leur expertise et assurés de leur légitimité.
Mieux se former et se préparer
Les questions étaient nombreuses en fin de webinaire, certains comprenant être possiblement passés à côté d’un signalement : « Le chat parachutiste en pleine nuit : probablement violence intrafamiliale. On déclare ? », « La maltraitance par négligence est-elle à signaler ? Par exemple pas de soins, beaucoup de bourres de poils et des asticots... et récurrence de ce cas chez le même animal », « Le manque de soins par manque de moyens financiers (et/ou violences économiques) rentre-t-il dans ce cadre de déclarations de maltraitance animale ? ».
Émilie Couquerque et Estelle Prietz ont conclu en soulignant que le rôle des vétérinaires est de faire remonter l’information, documentée par les constatations, prélèvements, radiographies, sans se substituer à la police. Si Calypso offre désormais un outil simple, un travail de formation et d’accompagnement des praticiens est néanmoins nécessaire pour lever leurs freins.