Classement de la faune sauvage en « nuisibles », vous-y retrouvez-vous ? - La Semaine Vétérinaire n° 2055 du 08/11/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2055 du 08/11/2024

Expression 

EXPRESSION

Auteur(s) : Propos recueillis par Chantal Béraud

La liste des Espèces susceptibles d’occasionner des dégâts (ESOD), fixée tous les trois ans par arrêté ministériel1, puis appliquée selon des décisions départementales, est loin de faire l’unanimité. Comme en témoignent ces avis, certains vétérinaires contestent sa composition.

Corinne Lesaine (N 95)

Fondatrice d’Aloki Conseil, étudiante en développement durable

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Ces textes soulèvent une question éthique

Les ESOD sont classées en trois groupes2, mais certaines espèces (comme le rat ou la taupe) n’ont pas de statut en France : on les met donc où l’on veut. Ces classements me paraissent désormais « arbitraires » et soulèvent effectivement une question éthique. Ils sont anthropocentrés : l’humain prend la main sur le vivant et décide de le détruire selon sa volonté. Et ceci même en période de reproduction, en cas de prise d’un arrêté préfectoral portant autorisation de destruction administrative… Dans ces réglementations anciennes, je ne vois nulle part une intention de protection. D’ailleurs, ne nous empêchent-elles pas d’entamer un véritable changement culturel ? Un changement qui prendrait davantage en compte l’avis des associations de défense de la nature, ainsi que les connaissances scientifiques concernant le juste équilibre à trouver aujourd’hui entre agriculture et biodiversité, toutes espèces confondues.

Alain Moussu (A 84)

Praticien retraité, président de Vétérinaires pour la biodiversité (VPB)3

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Des « destructions » injustifiées

Pour avoir fait partie de commissions départementales de la chasse et de la faune sauvage (CDCFS), je témoigne que les agriculteurs, les pêcheurs et les chasseurs y sont surreprésentés, ce qui influence forcément les arrêtés des préfets ! C’est pourquoi notre association VPB demande un rééquilibrage de la composition des CDCFS. Ainsi que le retrait des neuf espèces du groupe 2 des ESOD (belette, fouine, martre, renard, corbeau freux, corneille noire, pie bavarde, étourneau sansonnet, geai des chênes). Pour le geai, par exemple, sa destruction se fonde sur une ancienne croyance des forestiers, alors que les scientifiques défendent aujourd’hui son rôle bénéfique dans la propagation des glands… Et si l’on « enlève » une espèce, cela provoque dans le vivant des réactions en chaîne que l’homme est incapable de prévoir ! Annuellement, plus de 1,5 million d’animaux sauvages de ce groupe 2 sont abattus en France. Quant à l’évaluation scientifique prouvant les bienfaits de ces opérations, elle n’a jamais eu lieu (depuis au moins 2012) malgré les demandes réitérées des scientifiques.

Stéphanie Rabre (N 95)

Praticienne en canine à Plouhinec (Finistère)

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Le renard offre des services écosystémiques !

Pour aider modestement au maintien de la biodiversité, ma clinique est aussi un relais de la Ligue de protection des oiseaux (LPO)/faune sauvage. Quand on s’intéresse à l’écologie d’un point de vue scientifique, on se rend vite compte de l’aberration anthropocentrée que représente ce classement ESOD ! Par exemple, les corvidés et les mustélidés rendent des services méconnus ou volontairement occultés par certains lobbies. Quant au renard, espèce emblématique chassable et piégeable (par des méthodes très cruelles) toute l’année, il est victime d’un incroyable acharnement ! Il est mal aimé des chasseurs, parce que parfois prédateur pour les lapins et le petit gibier à plume. C'est pourtant un charognard très utile, à l'alimentation majoritairement composée de campagnols, dont il « débarrasse » efficacement les cultures. C'est à l’homme de construire des poulaillers moins vulnérables, en enterrant suffisamment les clôtures, etc. Le collectif naturaliste Renard Grand Est4, qui compte aussi des agriculteurs, démontre tout l’intérêt de maintenir des populations de renards en bonne santé.