L'animal compagnon reconnu dans son individualité et ses choix - La Semaine Vétérinaire n° 2055 du 08/11/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2055 du 08/11/2024

Réflexion

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Par Lorenza Richard

Le dernier congrès Pet Revolution a mis au centre des échanges la place de l’animal compagnon dans nos vies. Et a souligné combien il est important de respecter l'individualité de l'animal et de lui laisser plus de choix dans son quotidien. Un consentement qui favorise son bien-être et renforce sa relation avec l'humain.

Pour sa 5e édition, le congrès Pet Revolution a renouvelé son mot d’ordre : l’interdisciplinarité. Le 5 octobre dernier, à l’université Paris Nanterre, universitaires, professionnels de terrain et acteurs du monde animal ont apporté leur éclairage sur la place du vivant, en particulier celle de l’animal compagnon. « “Le chien” et “le chat” n’existent pas, en raison des nombreuses variabilités interindividuelles, mais aussi intra-individuelles, le comportement d’un même individu pouvant varier durant la journée ou selon l’environnement », a pointé Gérard Leboucher, professeur émérite d’éthologie à l’université Paris Nanterre. Cela interroge sur la place de l’individualité chez l'animal. Il a rappelé que chaque espèce vivante, et même chaque individu, a son univers propre – ou Umwelt* – et que les animaux, sont, comme les humains, modelés par leur milieu et leur époque. Ainsi, nous devons « tenir compte du fait que les animaux sont intelligents et sensibles dans nos relations avec eux », a-t-il ajouté, en précisant que « nous ne pouvons pas nous mettre à leur place, mais nous pouvons réfléchir à ce qui est important pour eux ».

Cela est d’autant plus vrai avec les animaux compagnons, de plus en plus nombreux. Pour Laurence Paoli, consultante en communication en sciences de la vie et de la Terre, l'urbanisation croissante et la place grandissante tenue par le monde virtuel et les nouvelles technologies nous poussent à créer du lien avec un être vivant qui rassure. L’animal de compagnie possède toutes les qualités affectives souhaitées : il est loyal, ne juge pas, etc. Certains le considèrent même quasiment comme un être humain, au point d’oublier qu’il a ses propres besoins. Un manque de compréhension à l’origine d'abandons.

Considérer l’animal comme un individu

Des personnes doivent renoncer au « chien idéal », notamment à son comportement en fonction de sa race. Antoine Bouvresse (A 05), vétérinaire comportementaliste à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), a cité plusieurs études qui mettent en évidence des différences de comportements entre les races, mais pour certains seulement, et dans les conditions de test. Ces travaux montrent aussi beaucoup de différences individuelles entre les chiens d’une même race. En pratique, les vétérinaires constatent des comportements propres à certains types de chiens au quotidien. Les biais cognitifs peuvent aussi influencer le ressenti des propriétéaires comme l'expertise des vétérinaires. Cependant, le plus souvent, le problème constaté provient d’un environnement et/ou d’une activité inadéquats, ou d’une communication inter- et intraspécifique déficiente. Notre confrère a expliqué que le comportement d’un chien, à chaque moment de sa vie, est une combinaison entre la génétique (potentiel de base commun), le développement comportemental et l'apprentissage dans la famille (potentiel génétique qui s’exprime dans un environnement donné) ainsi que des états émotionnels. Toutes ces composantes sont indissociables, et il est difficile de séparer la génétique de tout le reste. Il nous conseille donc de « ne pas aborder les tendances comportementales comme la recherche des problématiques liées aux sélections, mais comme la recherche de la compréhension d’un potentiel ».

Romy Sauvageot, comportementaliste et éducatrice canine, va dans ce sens, en invitant à changer de regard et à donner du poids à l’individualité du chien. Pour elle, il est important d’arrêter de vouloir contrôler le chien, de favoriser la coopération, et d’agir davantage sur l’humain et sur l’environnement que sur l’animal lui-même : « C’est bien que les gens nous écoutent, mais c’est bien d’écouter le chien aussi, lui dont on attend beaucoup de choses et à qui on en impose beaucoup, indique-t-elle. On parle de comportement gênant ou de trouble du comportement, parce qu'il gêne les humains, mais ce sont ici les conséquences et non les causes qui sont regardées. » Il convient de s’interroger sur les besoins et les états émotionnels du chien, en tentant de se mettre à sa place. Se demander pourquoi il agit ainsi permet de comprendre son individualité et de respecter ses besoins et ses limites. Valoriser sa spontanéité et son autonomie (longe, choix du parcours de balade, etc.), tout en fixant un cadre qui lui offre des repères, peut l’aider à se sentir plus écouté et renforce la relation nouée avec lui.

L’importance du consentement

Sarah Jeannin, éthologue et psychologue, conseille aux détenteurs de redonner du choix à leur animal, pour qu'il soit davantage acteur de sa vie. Par exemple en le laissant être à l’initiative du parcours pendant une balade, de son espace de repos dans le lieu de vie, du jouet avec lequel il s'amuse, etc. Les animaux sont dépendants, la satisfaction de leurs besoins fondamentaux relève totalement de leurs propriétaires, qui contrôlent leur environnement, leur alimentation, leurs sorties, leurs interactions sociales, leur reproduction, etc. Le consentement est au cœur de cette réflexion : il invite à repenser les dynamiques de pouvoir et les contraintes imposées aux individus. Pour Sarah Jeannin, la liberté de choix précède le consentement, et la réelle différence entre l’animal de compagnie et l’animal compagnon repose sur cette notion de choix. Ainsi, il convient d’éviter les idées reçues et de ne pas imposer à un chien/un chat certaines activités parce qu'il est dit qu’un chien/un chat en a besoin. Il faut tenir compte de ses besoins individuels et subjectifs, en fonction de son tempérament et de ses préférences. Par exemple, au cours de sa socialisation, un chien ou un chat doit apprendre à tolérer la caresse et à l’apprécier. Il peut ne pas aimer les contacts physiques, et il est important de lui demander son consentement avant de le toucher, ce qui installe un climat de confiance favorisant les interactions positives.

Cela est valable pour une personne inconnue de l’animal : elle doit lui demander son autorisation, à lui et non à son propriétaire. Pour cela, Sarah Jeannin suggère de laisser l’animal être à l’initiative de l’interaction, et d'être attentif aux stratégies d’évitement, en rappelant que ce n’est pas parce que le chien flaire la personne ou que le chat se frotte à elle qu’il est d’accord. Il est également important de renouveler la demande de consentement en fonction des variations émotionnelles de l’animal, et de le laisser libre de mettre fin à l’interaction. Nous sommes confrontés à la responsabilité morale de respecter, dans la mesure du possible, les choix et les limites des animaux, c’est une question éthique. La question du respect de ces limites dans le cadre des soins se pose aussi aux vétérinaires.

  • *Von Uexküll