Module télémédecine
ANALYSE CANINE
Auteur(s) : Par Mylène Panizo
Sans cadre légal depuis fin 2021, cette pratique reste en suspens en France, malgré des avancées attendues avec la réforme du suivi sanitaire permanent. Alors que d’autres pays l'encadrent déjà, Marie-Flore Awad, vétérinaire et experte en management, explore les enjeux et les perspectives d’une révolution encore entravée.
Entre le flou juridique actuel et les craintes de certains praticiens, quel avenir se dessine pour la téléconsultation vétérinaire dans notre pays ? Notre consœur Marie-Flore Awad (L 07), titulaire d’un master en management d’unité opérationnelle et certifiée en webmarketing, nous apporte son éclairage sur le sujet.
Une pratique non réglementée sur notre territoire
L’Académie vétérinaire de France a défini en 2017 les cinq actes de la télémédecine vétérinaire : la téléexpertise, la téléassistance, la télésurveillance, la télérégulation et la téléconsultation. Les quatre premiers disposent déjà d’un cadre réglementaire, et sont donc autorisés dans notre pays. Aujourd'hui, seule la téléconsultation n’est pas encadrée.
Durant la période du Covid-19, la téléconsultation a été autorisée le 5 mai 2020 par décret (2020-526) pour une phase d’expérimentation de 18 mois. Les vétérinaires la pratiquant étaient alors tenus de suivre un protocole et des règles précises : l’animal devait par exemple avoir été vu par l’un des praticiens de l’établissement de soins au moins une fois dans l’année pour en bénéficier.
Depuis la fin de la phase d’expérimentation, le 7 novembre 2021, la téléconsultation vétérinaire ne dispose pas de cadre réglementaire. À ce jour, elle est donc officiellement illégale. Concrètement, l’Ordre a déjà fait savoir qu’il ne poursuivrait pas un praticien qui en aurait assuré (à condition de respecter le cadre défini lors de la phase expérimentale), mais en cas de plainte concernant un acte de téléconsultation de la part d’un propriétaire, le jugement se fera à droit constant et le praticien pourra donc être sanctionné.
Depuis cette phase expérimentale, le décret initial a été enrichi et modifié, en concertation avec les acteurs concernés. Les modifications devraient1 inclure :
- l’autorisation à réaliser une primo-téléconsultation, dans le cadre du suivi sanitaire permanent ;
- l’autorisation pour un vétérinaire praticien de se référer à distance (par une téléconsultation) à l'avis d'un confrère ne connaissant pas l’animal, dans un délai maximum d’un mois après l’examen clinique réalisé par le vétérinaire traitant.
- une diminution du délai, passant de 12 à 6 mois, pendant lequel un animal peut bénéficier d'une téléconsultation après une visite en présentiel ;
- l’autorisation du développement d’un sixième acte de télémédecine, l’expertise judiciaire et assurantielle à distance.
Cadre de la téléconsultation en médecine humaine
En médecine humaine, plus de 11 millions de téléconsultations ont été effectuées en 2023 (cela représente 2 % des consultations). Leur usage est encadré depuis 2010, et régulièrement mis à jour. Par exemple, un médecin ne peut pas réaliser plus de 20 % de ses consultations en distanciel, le remboursement de la téléconsultation est conditionné par le respect du parcours de soins, par la proximité géographique entre le télémédecin et son patient, et par l’alternance avec des consultations en présentiel. Depuis cette année, les plateformes de téléconsultation doivent avoir un agrément, qui permet de veiller au respect d’un cahier des charges. Un référentiel d'interopérabilité, de sécurité et d'éthique des systèmes d'information de téléconsultation a été défini par l'arrêté du 9 février 2024.
La télémédecine vétérinaire dans le monde
À l’étranger, la téléconsultation est autorisée dans certains États des États-Unis et au Canada. Dans ces deux pays, le praticien doit connaître suffisamment l'animal et son propriétaire avant d'établir une relation médicale à distance. La Veterinary Virtual Care Association (VVCA) et l’American Veterinary Medical Association (AVMA) ont émis des recommandations et un guide de bonnes pratiques sur le sujet1.
Au Québec, les vétérinaires Florence Deschênes et Luis-Manuel Vacaflor ont créé cette année Neovet, « la première clinique vétérinaire virtuelle ». Leur objectif est de pallier la pénurie de praticiens dans certaines régions. Ils ont l’ambition de « simplifier l’accès aux soins vétérinaires de qualité » et d’apporter aux propriétaires « un service personnalisé, un suivi complet, des réponses rapides et des horaires flexibles ». Certains actes sont délégués à des techniciens qui se rendent à domicile pour récolter des prélèvements biologiques (ce qui, à la différence de notre pays, est autorisé par délégation de certains actes aux « nurses »). L’Ordre canadien s'est réjoui de cette initiative : il y voit notamment une solution pour des personnes isolées ou qui rencontrent des difficultés à se déplacer par temps froid.
En Europe, la téléconsultation est moins pratiquée qu’outre-Atlantique. Certains pays comme la Suisse l'autorisent depuis 2021 dans un cadre protecteur pour les praticiens. La Federation of Veterinarians of Europe (FVE) a émis des recommandations sur le sujet2. Peu d’études ont évalué l’impact de la télémédecine vétérinaire. Les résultats4 sur les chats sont positifs, celle-ci permettant de réduire le stress de l’animal.
Omniprésence de la santé numérique
Outre la téléconsultation, dont le développement est actuellement freiné en France pour des raisons réglementaires, les autres services de la santé numérique se développent à grande vitesse. On constate un essor important des objets connectés, des applications, des solutions qui font appel à l’intelligence artificielle (générative ou prédictive) ou à la réalité virtuelle. Outils de formation, d’information, de prise en charge des patients… la santé numérique contribue à améliorer la précision, l’accessibilité et l’efficacité des soins. La télémédecine est clairement identifiée comme l’une des réponses à la désertification médicale, en médecine tant humaine que vétérinaire. L’évolution des attentes de la clientèle, qui tendent vers une « hyper » personnalisation, est également à prendre en compte.
La santé numérique dans son ensemble nécessite cependant d’être encadrée, et les professionnels, médecins comme vétérinaires, doivent être formés à ces dispositifs afin de mieux les utiliser. Le praticien devra garder une vision pragmatique, centrant sa démarche clinique sur le patient, tout en conservant un regard critique sur ces nouvelles solutions digitales.
Retrouvez notre interview de Marie-Flore Awad enregistrée pendant le congrès de l’Afvac.