Changement climatique
ANALYSE MIXTE
Auteur(s) : Par Tanit Halfon
Le troisième Plan national d’adaptation au changement climatique, récemment dévoilé par le gouvernement, acte une trajectoire climatique mondiale déviée de l’objectif de l'Acord de Paris de 2015. Pour le secteur agricole, la transition vers des modèles résilients et bas carbone est mise en avant. À quoi peut-on s’attendre ? On fait le point.
Le 25 octobre dernier, le Premier ministre d'alors, Michel Barnier, a officiellement lancé le troisième Plan national d’adaptation au changement climatique1 (PNACC 3). Avec une différence de taille : l’hypothèse retenue de trajectoire de la température moyenne mondiale est de + 3,2 °C, et non plus de + 2 °C (par rapport à l’ère préindustrielle) comme énoncé dans le plan précédent2 – et qui était l’ambition actée de l'Accord de Paris de 2015. À l’échelle de la France métropolitaine, cela implique une trajectoire moyenne à + 4 °C en 2100. Qu’en est-il du secteur agricole et de l’élevage ?
Parmi les 51 mesures proposées, ce PNACC s'enrichit de nouveaux dispositifs pour accompagner l’adaptation, explique le ministère de la Transition écologique, de l'Énergie, du Climat et de la Prévention des risques, contacté par nos soins, à commencer par le diagnostic modulaire, figurant à l'origine début 2024 dans le projet de loi agricole, lequel devait repasser devant le Parlement avant la fin de l’année. Il s’agit de « permettre aux exploitants d’évaluer la résilience de leur exploitation au changement climatique ». Ce diagnostic concerne « les exploitants au moment de leur installation, et jusqu’à la transmission de l’exploitation ». Cet été, « un dispositif de préfiguration du diagnostic modulaire a été ouvert. Un appel à projet piloté par l'Ademe et le ministère de l'Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de la Forêt a été lancé entre juin et septembre 2024. Il prévoit notamment le financement de projets collectifs visant à construire et à animer une stratégie “climat et agriculture” à l’échelle d’une filière ou d’un territoire ».
Accompagner vers des systèmes résilients et durables
Autre nouveauté : dans la continuité des dispositifs financiers que sont les Mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) et l'Indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN), le PNACC met en avant les paiements pour services environnementaux (PSE) publics entre 2024 et 2026. Lesquels « pourront être mobilisés en élevage pour soutenir le maintien et le développement des prairies, des zones humides et des infrastructures agroécologiques, ou pour préserver et améliorer la santé des sols ». Avec cette valorisation financière, il s’agit d’ « encourager la prise de risque vers des pratiques plus durables ». Il est aussi prévu « d’élaborer un plan d’adaptation et de continuité de l’activité des élevages et des entreprises en faveur des activités connexes à l’élevage, pour permettre la continuité des activités et ne pas risquer la rupture ».
En toile de fond de toutes ces mesures, il y a les principes de l’agroécologie soutenus par l’État, puisque le PNACC envisage la formation accélérée aux transitions agroécologique et climatique, ce que confirme le ministère. Qui précise que « l’agroécologie est déjà soutenue par les politiques publiques agricoles dans le domaine de la formation (plan Enseigner à produire autrement), de l’atténuation (Stratégie nationale bas carbone, SNBC), du Plan stratégique national (PSN) (ICHN, aides couplées) et du Pacte en faveur de la haie. Le déploiement du PNACC s’appuie largement sur ces politiques ».
Des axes de travail à différentes échelles
Aller dans le sens d’une transition agroécologique est plus qu’un choix politique, c’est l'option à privilégier, expliquent les chercheurs Xavier Fernandez et Claire Rogel-Gaillard, de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) interrogés sur le plan. Cette orientation agricole allie à la fois les enjeux d’adaptation mais aussi d’atténuation [des émissions de gaz à effet de serre, NDLR]. « On ne peut pas déconnecter les deux, soutiennent les chercheurs. À part réduire le cheptel de manière drastique pour diminuer les émissions globales, seule l’agroécologie permet de répondre à ces deux enjeux d’avenir. » La difficulté étant le passage à l’échelle. Selon eux, toutefois, il ne faut pas renoncer à la trajectoire de l'Accord de Paris : « Il existe des solutions identifiées par la recherche pour réduire les émissions, à cheptel constant, et les compenser. » Dans ce cadre, plusieurs priorités ont été identifiées, et ce quel que soit le niveau d’élévation de la température. « Il y a un sujet majeur sur la gestion et la protection des ressources naturelles, notamment alimentaires et énergétiques, utilisées par l’élevage. On doit concevoir des territoires et des systèmes d’élevage compatibles avec les limites planétaires. Actuellement, nous sommes dans un système de surconsommation (azote, eau, biodiversité, carbone…). Il y a aussi la question de la multiperformance des systèmes d’élevage : il s’agit d’allier performance et résistance des animaux à un nouvel environnement qui n’est pas caractérisé uniquement par la seule hausse de la température, mais aussi et surtout par des fluctuations. Pour y arriver, il faut travailler non pas seulement à l’échelle d’un individu, mais à l'échelle d’un groupe, en favorisant la diversité des animaux qui le composent. Le bien-être animal et la santé sont deux éléments centraux dans cette multiperformance », assurent les chercheurs.
« La géopolitique de la production »
Mais d’autres choix seront à faire, au-delà des sujets scientifiques et techniques. La recherche de robustesse animale s’accompagne forcément de compromis fonctionnels. De plus, le paiement des services environnementaux apparaît central pour avancer… mais il est difficile à mettre en œuvre. « Il s’agit de réussir à objectiver les externalités positives des élevages, à les quantifier et à leur donner une valeur marchande, expliquent les deux chercheurs. Par exemple, l’impact de la conduite en pâturage sur la biodiversité sur un territoire donné. Il y a une dimension politique. Mais la recherche apportera aussi des réponses, des équipes travaillent sur ces sujets ». Est aussi identifié un sujet sur l’attractivité du métier. « Il ne faut pas sous-estimer le phénomène de la baisse d’attractivité liée à des conditions d’élevage plus problématiques du fait des aléas climatiques. Se posera aussi la question des territoires de production. » Cette « géopolitique de la production » amène à se questionner sur les modes de consommation. « Les consommateurs devront peut-être rééquilibrer leur régime alimentaire. Et payer plus cher pour leur alimentation. » Car finalement, le nerf de la guerre reste l’argent. « Des solutions très intéressantes peuvent exister, mais si ce n’est pas économiquement viable, ce sera un point de blocage. Cela veut dire qu’il faut aussi aller vers une révision profonde de la chaîne de valeur. »
Ces points de blocage seront-ils évoqués lors des consultations sectorielles et territoriales qui sont prévues ? En tout cas, dans ce plan, il est écrit que l'État prend l’engagement de « montrer l’exemple en agissant sur deux leviers puissants ». Le premier est celui du financement, avec « la promesse de ne plus financer des investissements non ou mal adaptés ». Le second est celui de la planification publique, avec l’annonce que, d’ici 2030, « toutes les politiques publiques seront mises en conformité » avec cette nouvelle trajectoire.
Des chantiers déjà engagés
Ce plan vient en complément à d’autres chantiers déjà engagés par l’État pour soutenir l’adaptation des élevages au changement climatique, nous a indiqué le ministère de la Transition écologique, de l'Énergie, du Climat et de la Prévention des risques. Il y a déjà la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) et le Plan stratégique national (PSN), « des politiques publiques qui peuvent orienter les activités d'élevage vers une amélioration de l'autonomie alimentaire et une extensification de l'élevage, afin de réduire la vulnérabilité en cas d'aléas climatiques qui réduisent la disponibilité en fourrage ». Il y a aussi « la Stratégie nationale en faveur du développement des protéines végétales, qui inclut notamment la réduction des fertilisants azotés et donc les émissions associées, la décarbonation des filières de production d’aliments pour animaux, l’augmentation de la consommation de légumes secs en alimentation humaine »…Le ministère cite aussi le Pacte en faveur de la haie, lancé en 2024, qui « pourra soutenir le développement d’ombrages et d’arbres fourragers utiles aux cheptels », et enfin, toutes les mesures relatives aux ressources en eau, dernières en date celles introduites avec le plan Eau de 2023.