La FCO, entre épizooties passées et nouvelles émergences - La Semaine Vétérinaire n° 2060 du 13/12/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2060 du 13/12/2024

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Par Pierre Bessière, vétérinaire, virologue (ENVT)

La fièvre catarrhale ovine est une maladie virale causée par le bluetongue virus (BTV) et vectorisée par des insectes volants et piqueurs de type culicoïdes. Du fait de son génome à ARN segmenté, le BTV est génétiquement très variable et il existe sous de nombreux sérotypes. La détection récente d’un sérotype encore jamais identifié en Europe, le BTV-12, est l’occasion de faire le point sur l'histoire de ce virus.

L’épidémiologie de la fièvre catarrhale ovine (FCO) a drastiquement changé en France et en Europe au cours des décennies passées. Au siècle dernier, la zone de répartition de la maladie était géographiquement très restreinte, les épizooties européennes étaient rares et, quand elles avaient lieu, affectaient principalement les moutons autour du bassin méditerranéen1. À partir de 1998 et au début des années 2000, une forte recrudescence a été observée autour de ce bassin, avec les arrivées successives de nombreux sérotypes : par exemple, le BTV-9 en 1998, les BTV-2, 4 et 16 en 1999, le BTV-1 en 2001 et un nouveau BTV-4 en 20042. La propagation du virus s'est alors faite soit d’est en ouest depuis la Turquie, soit le long d'un axe sud-nord depuis l’Afrique du Nord. Ces épizooties ont souvent duré plusieurs années avant de disparaître, notamment après la mise en place de campagnes de vaccination. 

De 2006 à aujourd’hui : une troisième grande période épidémiologique

L'année 2006 a marqué un tournant dans l’histoire de la FCO. En parallèle des introductions virales via les couloirs Est-Ouest et Sud-Nord décrites à partir de 1998, les pays du nord de l’Europe ont commencé à subir des épizooties d’origine inconnue. Au cours de l'année 2006, le BTV-8, un sérotype virulent pour les moutons et les bovins, a émergé aux Pays-Bas avant de se diffuser dans les pays alentour, donnant lieu à des épizooties à l’impact économique record3. Les analyses génétiques ont montré qu’il s’agissait d’une souche similaire à celles présentes en Afrique subsaharienne. Comment était-elle arrivée en Europe ? Nul n'a pu répondre à cette question avec exactitude. Après plusieurs années de campagne vaccinale, la souche a fini par être éradiquée en France, avant d'émerger à nouveau en 2015, puis de devenir endémique, le pays finissant par renoncer à une vaccination de masse. L’histoire s'est répétée en 2023 avec l’émergence du sérotype 3 (BTV-3) aux Pays-Bas, rapidement suivie par une propagation en tache d’huile dans toute l'Europe. À nouveau, l’origine précise de la souche n'a pas été identifiée. Malgré la mise en place d'une campagne de vaccination (basée sur le volontariat) et de mesures de biosécurité obligatoires, notamment des restrictions sur les mouvements d’animaux, le BTV-3 circule toujours en France, avec le BTV-8 et le BTV-4 (introduit en France continentale en 2017, possiblement depuis la Corse)4. Enfin, depuis le début du mois d'octobre 2024, les autorités vétérinaires sont en état d'alerte, suite à la détection d’un sérotype encore jamais identifié en Europe, le BTV-12. Début novembre, le virus n’avait été détecté qu’aux Pays-Bas et sur une poignée d’animaux seulement (bien que des analyses rétrospectives soient en cours pour évaluer la diffusion du virus). Actuellement, la littérature scientifique ne fait que très rarement mention de ce sérotype, dont la virulence n’a encore jamais été caractérisée. Seul l’avenir dira s’il est aussi pathogène que le BTV-8 ou le BTV-3, ou s’il parviendra à provoquer plus que quelques cas isolés.

Diverses origines possibles

Comment expliquer l’émergence de sérotypes en Europe du Nord ? La diversité génétique du BTV est considérable : il semblerait qu'il existe jusqu’à 36 sérotypes différents, bien que tous ne soient pas pathogènes. Or, l’hypothèse la plus vraisemblable pour expliquer l'apparition des BTV-8, 3 puis 12 aux Pays-Bas serait le rôle joué par le transport de marchandises et/ou d’animaux. Ainsi, des animaux déjà infectés ou des insectes vecteurs du genre culicoïdes pourraient avoir été importés dans le pays. Par exemple, le transport de fleurs coupées depuis le continent africain pourrait être une voie d’entrée pour les insectes contaminés. Les insectes habitués au climat subsaharien ne s'adaptant pas aux températures locales, des insectes indigènes appartenant au même genre (communément appelés midges) auraient pris le relais pour la vectorisation du virus. Ajoutons à la mondialisation et à une forte densité d’élevage les effets du changement climatique, qui augmentent l’aire de répartition de certains vecteurs, et toutes les conditions sont réunies pour provoquer des émergences virales5. Comme les anticorps ne reconnaissent qu'un seul sérotype (viral, bactérien ou fongique), les vaccins contre la FCO sont spécifiques d'un unique sérotype. Il n'y a pas de réactivité croisée, ou du moins pas suffisamment pour assurer une protection.Chaque nouvelle émergence représente par conséquent un défi pour les autorités, parce qu'il faut repartir de zéro, si tant est qu’un vaccin soit disponible, ce qui n’est actuellement pas le cas pour le BTV-12.

  • 1. Gibbs EPJ, Greiner EC. “The epidemiology of bluetongue. Comp Immunol Microbiol Infect Dis”. 1994 ;17: 207–220. doi :10.1016/0147-9571(94)90044-2
  • 2. Saegerman C, Berkvens D, Mellor PS. “Bluetongue Epidemiology in the European Union”, volume 14, number 4, April 2008, Emerging Infectious Diseases journal, CDC. [cited 5 Nov 2024]. doi:10.3201/eid1404.071441
  • 3. Tago D, Hammitt JK, Thomas A, Raboisson D. “Cost assessment of the movement restriction policy in France during the 2006 bluetongue virus episode (BTV-8)”. Prev Vet Med. 2014;117: 577–589. doi:10.1016/j.prevetmed.2014.10.010
  • 4. Gondard M, Postic L, Garin E, Turpaud M, Vorimore F, Ngwa-Mbot D, et al. “Exceptional Bluetongue virus (BTV) and Epizootic hemorrhagic disease virus (EHDV) circulation in France in 2023”. Virus Res. 2024;350: 199489. doi:10.1016/j.virusres.2024.199489
  • 5. Kundlacz C, Caignard G, Sailleau C, Viarouge C, Postic L, Vitour D, et al. “Bluetongue Virus in France : An Illustration of the European and Mediterranean Context since the 2000s”. Viruses. 2019;11: 672. doi:10.3390/v11070672