SANTÉ PUBLIQUE
ANALYSE CANINE
Auteur(s) : Par Ségolène Minster
L’Esccap* a organisé une session interdisciplinaire sur la borréliose de Lyme le 23 novembre dernier, bénéficiant du regard d’un vétérinaire, d’une pharmacienne et d’une psychologue sociale. Ces trois intervenants ont livré des éléments de compréhension et de gestion du risque sur une maladie qui a fait l’objet d’une large couverture médiatique au cours des dernières années.
Une incidence inconnue chez les carnivores domestiques
Luc Chabanne, professeur à l’ENVL, a rappelé que l’incidence de la borréliose de Lyme n’est pas connue, parce que ce n’est pas une maladie soumise à déclaration. De plus, en cas d'infection naturelle, 95 % des chiens sont asymptomatiques. Pour les 5 % qui sont symptomatiques, les symptômes cliniques sont exprimés dans les 2 à 5 mois après exposition. Avec les critères cliniques et épidémiologiques (présence ou antécédents de tique, balade en forêt, zone d’endémie connue), le diagnostic de laboratoire est aujourd’hui plutôt indirect, s’appuyant sur la recherche d’anticorps dirigés contre des protéines bactériennes. Les tests Lyme Quant C6 et SNAP 4Dx Plus, développés par Idexx, permettent le diagnostic de laboratoire. La bactérie est sensible aux tétracyclines (la doxycycline est recommandée chez l’animal). Il n’y a aucune raison de traiter les animaux asymptomatiques.
L’humain ne développe pas d’immunité protectrice
Nathalie Boulanger, professeure de parasitologie à la faculté de pharmacie de Strasbourg, a rappelé que la maladie de Lyme est en progression depuis l’après-guerre, et pas seulement ces dernières années. En cause, une diapause hivernale du parasite de moins en moins longue, l’afforestation, l'augmentation de la population de cervidés (agrainage pour la chasse ; culture de chênes et de hêtres, d’où une forte densité de faines et de glands, qui constituent leur nourriture), l'accroissement des activités humaines en forêt (récréatives ou non). Cependant, la conférencière a indiqué que de l’ADN de Borrelia burgdorferi avait été identifié sur la momie Ötzi, âgée de plusieurs milliers d’années, découverte dans les Alpes ! Le risque de transmission de la borréliose de Lyme suite à une piqûre de tique est estimé de 1 à 4 %. Les taux d’infection des tiques varient selon les régions, de 2 à 20 %. L’érythème migrant n’est pas systématique. Pour poser un diagnostic, il est nécessaire d’avoir des signes cliniques ET une sérologie positive. La sérologie positive seule n’est pas très informative, car la prévalence peut être importante dans certaines populations et régions, par exemple chez les forestiers dans le Grand Est. En France, environ 50 000 cas sont dénombrés chaque année. La meilleure protection repose sur l’évitement des piqûres grâce au port de vêtements couvrants, et à l’inspection corporelle (le jour d’une possible exposition, puis 24 heures après). En Europe, il convient de retirer les tiques au plus tard entre 12 et 24 heures après la piqûre. Suite à la forte médiatisation de la maladie, cinq centres de référence sur les maladies vectorielles à tiques ont été créés en 2016, dont le rôle comprend l’analyse des dossiers problématiques de patients suspects.
Les médecins face à l’incertitude
La borréliose de Lyme a connu un fort niveau de médiatisation et de controverses, notamment sur l’interprétation des symptômes et des tests sérologiques. Les médecins ont été confrontés à l’incertitude inhérente à leur méconnaissance de la maladie et aux « autodiagnostics » des patients, lorsqu’ils étaient atteints de symptômes frustres. Costanza Puppo, psychologue sociale, a étudié ses représentations auprès de 19 médecins généralistes dans des zones d’endémie, notamment les stratégies pour déconstruire un autodiagnostic. Celles-ci incluaient :
- d’impliquer l’entourage, en cherchant appui chez ceux qui participent à la coconstruction du diagnostic ;
- de déconseiller ou d'orienter l’usage d’Internet, afin d’éviter le dépassement du rôle du médecin ;
- d’accepter la demande de sérologie, pour partager le rôle diagnostique avec le patient en situation d’incertitude, le rassurer et maintenir une relation de confiance ;
- ou, au contraire, de refuser la demande de sérologie, afin de valoriser l’approche clinique, de rassurer le patient (responsabilité morale) et de limiter l’incertitude.
Il est intéressant de noter que deux approches contraires ont pu être choisies pour déconstruire l’autodiagnostic. Costanza Puppo a souligné que la maladie de Lyme, à l'heure de sa forte médiatisation, avait constitué un problème social avant d’être biomédical !