Sélection génétique pour la résistance au parasitisme chez les caprins - La Semaine Vétérinaire n° 2060 du 13/12/2024
La Semaine Vétérinaire n° 2060 du 13/12/2024

Parasitologie

FORMATION MIXTE

Auteur(s) : Clothilde Barde

Article rédigé d’après la conférence donnée par Philippe Jacquiet (professeur de parasitologie, ENVT) et Sophie Jouffroy (vétérinaire, ENVT) lors des Journées nationales des groupements techniques vétérinaires qui se sont tenues à Tours du 14 au 16 mai 2024.

Face à l’importance de la strongylose digestive chez les chèvres à l’herbe, et notamment du nématode Haemonchus contortus, le projet Tepacap (Travaux exploratoires sur le parasitisme en caprins) a été mis en place pour améliorer la résistance et la résilience au parasitisme en filière caprine par la sélection génétique. Il s’agit du premier programme de ce type en France métropolitaine, financé par Apis-Gene, et mené par des chercheurs des UMT (Unité mixte technologique) Star (Sélection génétique pour la transition agroécologique des petits ruminants ) et Pilotage de la santé des ruminants. L’éprinomectine, de par son large spectre et son temps d’attente nul en lait, est quasi exclusivement le seul anthelminthique utilisé en période de lactation chez les chèvres laitières. Cette lactone macrocyclique est donc fortement sous pression. En France, des résistances de strongles gastro-intestinaux (SGI) à cette molécule ont d’abord été décrites en 2014 en Guadeloupe, puis en 2020 pour la première fois dans l’Hexagone, dans les Pyrénées-Atlantiques1, 2, 3, 4. Face aux constats de résistance aux anthelminthiques, une gestion intégrée du parasitisme doit être envisagée. Dans ce cadre, la sélection génétique de caprins plus résistants et résilients aux infestations par les strongles gastro-intestinaux est à envisager, en se basant sur le travail fait en ce sens sur les races ovines laitières des Pyrénées depuis 15 ans maintenant. Ainsi, chez les ovins laitiers, depuis fin 2023, l’index génomique de résistance au parasitisme est intégré dans l’ISOL (Index de synthèse ovin laitier) qui comprend les caractères laitiers (quantité, taux), les caractères morphologiques, mais aussi la robustesse des animaux et la résistance des brebis aux SGI.

Des caractéristiques propres aux caprins

Toutefois, comme l’a noté la conférencière, la chèvre n’a pas coévolué avec les parasites de la même façon que les ovins, elle a ainsi une plus grande sensibilité que ces derniers aux SGI (moins résistante et moins résiliente que les autres ruminants). Il est donc important de voir si, dans le cadre de protocoles de recherche bien définis et reproductibles, la sélection génétique sur la résistance et la résilience aux SGI est possible chez la chèvre. Pour cela, des études ont déjà été menées en Guadeloupe sur la chèvre créole. En Europe, une héritabilité faible (0,07) de la résistance dans les conditions naturelles a en outre été retrouvée en 20172. Le projet Tepacap a été implémenté en station de sélection des races alpine et saanen, à l’instar de celui qui avait été mis en place chez les ovins laitiers. Il s’agit de prélever des boucs (adultes et jeunes à l’entrée en station) des deux races (95 boucs de race alpine et 61 boucs de race saanen) 3 fois par semaine. Ces derniers ont été infestés 2 fois pendant 30 jours par des larves d’Haemonchus contortus (challenge) avec 15 jours de répit entre les deux phases d’infestation. À la première infestation, ce sont 3500 larves qui ont été ingérées, et 5000 pour la seconde. Au début de chaque infestation, les chercheurs ont vérifié à l’aide d’une coprologie que les animaux n’étaient pas parasités, et une prise de sang (PS) était faite pour mesurer l’hématocrite pré-infestation. Au bout de 30 jours, ils ont effectué un prélèvement fécal, une PS, et ils les ont traités à l’Oramec. Ils ont alors obtenu les deux mesures de résistance des animaux à chaque infestation (OPG1 et OPG2) et les deux mesures de résilience (hématocrites 1 et 2). À partir de ces résultats, les chercheurs ont essayé de déterminer s’il y avait une assez grande diversité entre les individus pour pouvoir sortir du lot les individus les plus performants par rapport aux critères d’intérêt. Pour cela, les résultats de coprologie ont été classés du plus faible au plus élevé (de 0 à 6000 OPG1 et de 0 à 9000 OPG2). Une grande variabilité interindividuelle a été observée, comme dans les conditions naturelles. Puis, concernant la perte d’hématocrites (Ht), ils ont constaté que les adultes perdent 3 points d’Ht en première infestation et moins de 1 en seconde infestation, ce qui est similaire à ce qu’il se passe en brebis laitière ; en revanche, les jeunes boucs perdent plus d’Ht en première infestation (5 points d’Ht) et de même en seconde infestation. Il y a donc une grande variabilité interindividuelle sur ces caractères. Les corrélations entre Ht et copro mesurés en première et seconde infestations sont calculées, afin de déterminer quels critères seraient à prendre en compte pour la sélection génétique.

De grandes tendances à confirmer

Les résultats chiffrés obtenus dans cette étude sont seulement des tendances qui participent à l'évaluation de la pertinence d’une sélection génétique en filière caprine. Un plus grand nombre d’individus, au fil des années, permettra d’améliorer la précision des données chiffrées. Parmi les tendances observées, les chercheurs ont constaté qu’entre les boucs saanen et ceux de la race alpine il y a une différence significative d’excrétion. En effet, en race alpine, les boucs excrètent significativement plus d’œufs d’H. contortus qu’en race saanen. Par ailleurs, le protocole se déroulant en centre de sélection, les chercheurs ont vérifié que la qualité de la semence n’était pas impactée en estimant le pourcentage de spermatozoïdes vivants et le pourcentage de spermatozoïdes présentant des anomalies au moment de la première infestation. Ils n’ont pas observé de différences significatives chez les boucs infestés et chez les témoins. En outre, des corrélations phénotypiques entre les caractères de résistance et de résilience et l’ICC (indice combiné caprin qui regroupe les index de sélection sur la qualité du lait, les indices de fertilité et de conformation) ont été recherchés. Ils ont constaté qu’il existe une corrélation positive entre les OPG2 et l’ICC, par conséquent une sélection sur les critères de l’ICC permet de favoriser les animaux les plus sensibles aux SGI, comme en brebis laitière. De plus, l’héritabilité est plutôt bonne (0,2) en première infestation et de 0,5 en seconde avec de très grands intervalles de confiance. Il s’agit donc seulement d’une tendance à confirmer. Pour conclure, la sélection génétique de chèvres laitières plus résistantes et résilientes face aux infestations par les strongles gastro-intestinaux est possible. Les résultats sont encourageants, mais les données chiffrées sont indicatives et seront précisées avec le recrutement de plus d’individus. De plus, le protocole d’infestation semble bien toléré par les animaux. Les pertes d’hématocrites sont conformes à celles observées chez les brebis manech tête rousse, même si elles sont élevées chez les jeunes boucs. Contrairement aux infestations naturelles, les excrétions sont significativement supérieures en race alpine par rapport à celles en race saanen. Comme a conclu la conférencière, ce type de recherches sur la sélection devra se poursuivre car l’attente des éleveurs est forte.