Dermatite atopique canine : quand la médecine vétérinaire rejoint la santé humaine - La Semaine Vétérinaire n° 2061 du 10/01/2025
La Semaine Vétérinaire n° 2061 du 10/01/2025

Dermatologie

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Par Amandine Violé

Le CHV Advetia a récemment organisé une série de conférences sur cette maladie chronique, réunissant des experts en dermatologie humaine et vétérinaire. Ces échanges ont permis d’explorer les similitudes entre les formes chez le chien et chez l'homme, notamment l’altération de la barrière cutanée, la dysbiose et les facteurs environnementaux, tout en mettant l’accent sur une prise en charge thérapeutique globale et adaptée.

Chaque 14 septembre, une journée de sensibilisation à la dermatite atopique (DA) se tient dans différents pôles hospitaliers de France. Comme un préambule à cet événement, le centre hospitalier vétérinaire (CHV) Advetia (Vélizy-Villacoublay, Yvelines) a proposé, le 13 septembre dernier, une série de conférences consacrées à la DA canine (DAC). Les consultants du service de dermatologie Pascal Prélaud, Amaury Briand et Mélanie Moreira-André ont convié le professeur Alain Taieb, ancien chef de service de dermatologie du CHU de Bordeaux et défenseur d’une approche One Health de la maladie.

Points de convergence entre les dermatites atopiques humaine et canine

La dermatite atopique, ou eczéma en médecine humaine, concerne 4 % de la population adulte, se classant en 2e position parmi les maladies de peau les plus fréquentes. Enfants et adolescents sont également touchés, parfois dès le plus jeune âge. Aussi multifactorielle que protéiforme, la DA reste partiellement incomprise. Ses répercussions physiques, psychologiques et financières en font une maladie difficile à assumer.

La DAC partage des caractéristiques pathologiques communes à la forme humaine. Elle se définit comme « une maladie cutanée inflammatoire typiquement prurigineuse, héréditaire, principalement médiée par les lymphocytes T, impliquant une interaction entre les anomalies de la barrière cutanée, une sensibilisation aux allergènes et une dysbiose microbienne ». 

Maladie protéiforme, la DAC présente de nombreux phénotypes dont la détection relève parfois du défi diagnostic. Si les chéilites, pododermatites, otites sont bien connues, Pascal Prélaud rappelle qu’elle peut aussi s'exprimer sous la forme d'anites, de conjonctivites chroniques, de séborrhées huileuses voire de formes beaucoup plus isolées. « Certaines races nordiques ne présentent ainsi qu’un érythème des avant-bras », précise-t-il. Afin d’appréhender au mieux ses enjeux, les conférenciers sont revenus sur sa pathogénèse et ses facteurs déclenchants.

DA et altération de la barrière cutanée

Barrière physique, chimique, immunologique, la peau constitue une protection majeure face aux agressions du milieu extérieur. Son altération a été mise en évidence dans la DA humaine et canine, se manifestant notamment chez les chiens atopiques par une désorganisation primaire des cornéocytes et des lamelles lipidiques, constatée à l’échelle microscopique. Ces anomalies sont à l’origine d’une dérégulation de la flore locale, favorable à la pénétration d’allergènes pathogènes. La libération des médiateurs pro-inflammatoires qui en découle interfère en retour avec les processus de renouvellement cellulaire.

DA et dysbiose cutanée et intestinale

La santé d’un microbiote dépend de la diversité des micro-organismes qui le composent. Un déséquilibre du microbiote cutané en faveur de Staphylococcus aureus est retrouvé chez l’homme. Chez les chiens, la prolifération de Staphylococcus spp. et de Malassezia lors de poussées atopiques est à l’origine d’une dérégulation immunitaire et d’un état pro-inflammatoire délétère. Cette colonisation est favorisée par des conditions locales incluant une modification du pH cutané, moins acide.

De récentes études attestent par ailleurs de l’existence d’un axe intestin - peau, suggérant un rôle actif du microbiote intestinal dans l’évolution de la DA. Pour Pascal Prélaud, même si certains chiens voient effectivement leurs symptômes s’améliorer par une modification de leur alimentation (le plus souvent vers un régime hypoallergénique), la fréquence des allergies alimentaires dans cette population reste pourtant inconnue. Le maintien de la diversité du biotope cutané et intestinal s’avère toutefois essentiel. Les acides gras à chaîne courte (incluant les oméga 3), produits de la fermentation des fibres par les bactéries intestinales, pourraient notamment modifier favorablement la composition du microbiote cutané. Leur utilisation thérapeutique (compléments alimentaires, probiotiques) constitue une piste de réflexion prometteuse.

DA et environnement

Selon Alain Taieb, l’impact capital de l’environnement, ou exposome, explique l’augmentation de la prévalence de la DA ces dernières décennies. « L’avènement de l’alimentation industrielle, des perturbateurs endocriniens et des matières synthétiques a joué un rôle indéniable », note-t-il. Les climats tempérés à chauds, hors des saisons propices aux aéro-allergènes, favorisent un apaisement des symptômes. Un constat dont Pascal Prélaud est également témoin : « C’est le cas typique du bouledogue parti en vacances en Corse et dont le tableau clinique s’est amélioré ! »

Une approche thérapeutique globale

La complexité de la DA impose une prise en charge multimodale, précoce et suivie dans le temps. « Une erreur serait de ne traiter que les poussées. Ces chiens doivent au contraire recevoir un traitement de fond, adapté aux potentialités des propriétaires », recommande Amaury Briand. La réalisation d’examens complémentaires (examen otoscopique, raclage, scotch test, lampe de Wood…) est indispensable et permet d’orienter la décision thérapeutique.

La gestion de la maladie en phase de poussée repose en premier lieu sur le contrôle des surinfections bactériennes ou fongiques identifiées. Une antibiothérapie et/ou un traitement antifongique par voie systémique doivent être envisagés en plus des soins locaux. Les poussées inflammatoires requièrent souvent la prescription d'une corticothérapie de courte durée (0,5 mg/kg/j pendant 3 jours) combinée à un autre antiprurigineux tel que le maléate d’oclacitinib. D’autres molécules peuvent ensuite s’inscrire dans un plan de plus longue durée, à l’instar du lokivetmab ou de la ciclosporine. Toutes présentent une efficacité démontrée dans la gestion de la DA et doivent être utilisées au regard de leur profil d’innocuité, de leur coût et de leur délai d’action. Celui de la ciclosporine, long (de 2 à 4 mois si délivrée en monothérapie et à la posologie de l’AMM), en limite sa prescription. Son mode d’action et la possibilité de réduire ses doses/sa fréquence d’administration sur le long terme, en font toutefois une option thérapeutique de choix.

Le soutien de la barrière cutanée et le contrôle des infections récurrentes nécessitent l’intégration de soins locaux à la démarche thérapeutique. Réalisés de manière proactive et à une fréquence adaptée, ils permettent de diminuer les scores de prurit et la colonisation microbienne de surface chez la plupart des patients. Afin d’améliorer leur efficacité, Mélanie Moreira-André recommande en premier lieu de tondre les animaux, en particulier en regard des zones lésées. Le choix des topiques doit être orienté par leurs propriétés (hydratantes, antiseptiques, antiséborrhéiques, anti-inflammatoires) et leur facilité d’utilisation. Les shampooings s’avèrent parfois complexes à réaliser au quotidien, malgré leur efficacité. Les mousses offrent alors une alternative intéressante. Les lingettes antiseptiques facilitent le traitement des zones les plus difficiles d’accès (espaces interdigités, anus, etc.). Les sprays émollients assurent quant à eux une réhydratation indispensable aux peaux atopiques.

Pascal Prélaud rappelle que les antiparasitaires externes par voie orale ou spot-on doivent impérativement être inclus dans le plan d’action global de la DA. Il préconise leur utilisation mensuelle, en particulier chez des chiens pour lesquels la fréquence des soins topiques peut interférer avec leur efficacité.

L’éducation thérapeutique

La prise en charge de la DA est un lourd fardeau, impactant durablement la qualité de vie des propriétaires. La charge émotionnelle et financière est parfois telle qu’elle peut conduire à une altération de l’observance thérapeutique, rendant d'autant plus complexe la gestion de ces animaux.

La création d’une alliance thérapeutique forte avec les propriétaires s’avère donc cruciale. Celle-ci impose de clarifier leurs attentes et leurs contraintes. « Ne demandez pas à une vieille dame de faire des shampooings trois fois par semaine à son berger allemand de 40 kilos ! Des traitements ciblés, restreints et faisables sont le gage d’une observance renforcée », insiste Pascal Prélaud.

Par ailleurs, il conseille de mettre à disposition des outils éducatifs afin d’accompagner la réflexion des propriétaires, hors de la salle de consultation. Leur contenu a pour but d’être vulgarisé, fiable et de qualité. « Avec Internet, il y a un vrai problème de mésinformation, rapporte-t-il. C’est d’ailleurs l'une des raisons pour lesquelles j’ai écrit un guide pratique* autour de la DAC. Pour répondre aux questions que les gens se posent, loin du flot d’informations erronées qui circulent sur le Web ». Une stratégie de communication aux supports multiples que chaque vétérinaire peut, in fine, faire sienne.

  • * 100 questions. La Dermatite atopique canine, de Pascal Prélaud, publié aux éditions Poulot.