MÉDECINE LÉGALE VÉTÉRINAIRE
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Par Chantal Béraud
Marine Le Dudal, ingénieure de recherche et praticienne hospitalière en anatomocytopathologie à l’ENVA, est la première Française à décrocher le CFVP, délivré par le Collège européen des pathologistes vétérinaires. Portrait d’une professionnelle qui vient en appui à la justice.
En ces temps de burn out généralisé, elle paraît épanouie. On ose même l’imaginer heureuse… Et pourtant (ou justement ?), elle côtoie la mort quasi quotidiennement. Marine Le Dudal (A16) est une jeune ingénieure de recherche et praticienne hospitalière, enseignante-clinicienne à l’École nationale vétérinaire d'Alfort (ENVA) depuis trois ans, chargée notamment de l’enseignement de l’anatomocytopathologie. Ses étudiants trouvent-ils sa matière trop morbide ?) « Oh, non, répond-elle avec un enthousiasme d’emblée communicatif. Ils sont très intéressés, c’est souvent la première fois qu’ils entrent en contact avec un corps d’animal entier. Et puis, vous savez, en anatomocytopathologie, il faut écrire une histoire en recherchant des indices, en menant des enquêtes… Et si l’on ne trouve pas la réponse, personne d’autre ne pourra sans doute la trouver, hormis peut-être grâce à la toxicologie. »
Une science en cours de développement
Marine Le Dudal fait partie d’un cercle encore restreint de scientifiques qui contribuent au développement de la médecine légale vétérinaire en France. « Par rapport à la médecine légale humaine, on est très très en retard, regrette-t-elle. Il m’arrive aussi d’appeler des collègues vétérinaires anglais, ils ont quinze ans d’avance sur nous ! » Une collaboration intéressante mais parfois complexe : en effet, la chercheuse ne doit en aucun cas fournir d’indice permettant d’identifier le cas sur lequel elle travaille dans le cadre d'une enquête diligentée par la justice française. Des investigations qui doivent permettre de déterminer s’il y a eu ou non maltraitance ou même mise à mort volontaire de l'animal.
Première diplômée française en CFVP
Si les projecteurs sont aujourd’hui braqués sur Marine Le Dudal, c’est parce qu’elle est la première Française à avoir décroché le Certificate in Forensic Veterinary Pahology (CFVP), délivré par le Collège européen des pathologistes vétérinaires. « Cela nécessite d'y consacrer beaucoup de temps et de remplir pas mal de conditions. » Le postulant doit ainsi être diplômé d’un collège européen d’anatomie pathologique avant de prétendre à l'obtention de ce certificat. Il lui faut présenter un dossier avec dix comptes rendus détaillés d’autopsie, avant de décrire un cas spécifique à l'oral devant un jury. En grappillant « deux heures par ci, deux heures par là » sur son emploi du temps, Marine Le Dudal y est donc parvenue. « Outre qu’il faut tout traduire en anglais, ce processus est énergivore, parce qu'il demande en particulier d’anonymiser toutes les données pour que ni les propriétaires ni les instances judiciaires impliquées ne soient reconnaissables ! » Quel but visait-elle en passant ce diplôme ? « C’est surtout pour gagner en crédibilité auprès des forces de justice et de police avec lesquelles je suis amenée à collaborer », assure-t-elle.
Des faits, rien que des faits…
Et Marine Le Dudal d’ajouter : « Dans une autopsie à visée diagnostique, tout l’art est de s'appuyer sur des preuves scientifiques. Et seulement sur elles, sans se laisser influencer dans sa recherche initiale par ce que voudraient peut-être bien entendre les enquêteurs ou les parties civiles. Lesquels nous suggèrent parfois certaines voies à creuser. » Un exemple concret ? « On m’a soumis le cas d’un chien décapité. J’ai pu prouver deux choses : ladite décapitation avait été pratiquée post mortem, et l’animal avait antérieurement souffert de maltraitances. J'avais constaté qu’il n’avait pas mangé depuis quelques jours, ce qui constitue un potentiel signe de négligence (à confirmer par l'enquête judiciaire) ». Il faut donc commencer ses recherches sans a priori, avec un état d’esprit neutre, pour précisément ne négliger aucune hypothèse, à charge comme à décharge. « J’ai appris à garder la tête froide, à prendre du recul », reconnaît-elle.
Des animaux en bien triste compagnie…
Quels sont les cas les plus courants qui lui sont soumis à Maisons-Alfort ? « Contrairement à d’autres collègues ailleurs en région qui travaillent aussi sur des animaux d’élevage ou de la faune sauvage, 80 % des cas que j’étudie sont des maltraitances individuelles commises sur des chiens et des chats, majoritairement originaires de zones parisiennes et franciliennes considérées comme “socialement difficiles”, précise-t-elle. Outre des propriétaires violents, j’ai eu affaire à un éducateur canin qui avait poignardé un animal, à des trafics de chiens de catégorie… Je constate aussi de nombreux défauts de soins vétérinaires : un chien mort après avoir avalé un bout de pneu, etc. Il y a aussi des abus sexuels. La zoophilie est, je pense, très largement sous-estimée en France, d’autant plus que, comme chez les êtres humains, on ne peut pas constater de lésions si l’animal entre en “sidération”, ou s’il a été sédaté. Le plus souvent, il n’y a pas de lésions. »
Un taux de résolution encourageant
« J’estime que je parviens à répondre aux questions des enquêteurs pour environ la moitié des cas qu’on m’adresse. Et je remercie beaucoup le service d'imagerie de l’école vétérinaire, qui me permet de scanner le corps entier des animaux, ce qui m’ouvre notamment la possibilité de repérer tout ce qui relève de traumatismes osseux », témoigne la scientifique. Quels sont les obstacles au diagnostic ? « Beaucoup d’indices disparaissent quand l’animal a été noyé ou brûlé. Et il nous reste aussi tant à découvrir ! La médecine légale vétérinaire est en effet beaucoup plus complexe que la médecine légale humaine. » Pourquoi ? « Parce que tous les humains forment une seule et même espèce, on dispose d’un stock gigantesque de données déjà collectées sur eux. En revanche, nous, vétérinaires, devons traiter et essayer d’extrapoler des indices sur quantité d’espèces différentes. Par exemple, ne serait-ce que pour évaluer l’heure de la mort, le calcul n’est pas du tout le même selon que l’on m’amène un husky ou un chihuahua ! Le poil dudit husky est très isolant, son corps refroidit évidemment bien moins vite que celui d’un petit chien lambda. C’est pourquoi je dois constamment m’interroger sur ce que je peux transposer comme connaissance d’une situation à une autre. J’ai vu cela dans telle espèce, est-il possible ou pas que cela se vérifie aussi chez telle autre espèce… » La jeune diplômée est donc, en quelque sorte, une détective scientifique !
« Une seule violence », une approche pluridisciplinaire
Marine Le Dudal a participé en juin dernier à une formation destinée aux praticiens sur le site de VetAgro Sup, à l’initiative de Sara Belluco et d’Antonin Tortereau, responsables pédagogiques. C’est un apprentissage important, parce que, explique-t-elle, « on sait que, le plus souvent, avant de s’en prendre notamment à sa femme ou à ses enfants, le coupable s’en prend d’abord à des animaux ». Cette corrélation entre violences sur les personnes vulnérables et violences sur les animaux est explorée dans l'approche « Une seule violence », désormais clairement identifiée. La lutte contre ces maltraitances peut être menée sous des formes mutiples, et constitue pour nous le chemin à suivre.