"Syndrome du loup-garou"
ANALYSE CANINE
Auteur(s) : Par Mylène Panizo
L’autorité néerlandaise de sécurité alimentaire a mis en garde contre les os et bâtonnets à mâcher Barkoo, suspectés de provoquer des troubles neurologiques graves. Une enquête est en cours pour identifier la substance incriminée, alors que plusieurs cas ont été signalés en Europe, dont cinq en France.
Le 31 décembre 2024, l’Autorité néerlandaise de sécurité des produits alimentaires et de consommation (NVWA, pour Netherlands Food and Consumer Product Safety Authority) a alerté sur la nocivité des os et bâtonnets à mâcher en peau de bœuf pour chiens de la marque allemande Barkoo1. Leur consommation est suspectée d’être à l’origine de troubles neurologiques atypiques, aigus et sévères, baptisés par nos confrères néerlandais et allemands « syndrome du loup-garou » (werewolf syndrom).
Depuis la fin du mois d'août 2024, plusieurs dizaines de cas ont été rapportés en Europe par des vétérinaires spécialisés en neurologie, majoritairement en Allemagne et aux Pays-Bas, mais aussi en Belgique, en Finlande, en Suisse et en France (5 cas à ce jour dans l’Hexagone). Le nombre de chiens atteints pourrait cependant être bien plus élevé.
En Allemagne, une enquête est en cours, menée par les équipes de l’université de médecine vétérinaire de Hanovre. Elle inclut une analyse des os et des bâtonnets à mâcher incriminés, afin de trouver la substance causale. Un questionnaire a été mis en ligne2, destiné aux propriétaires de chiens et aux vétérinaires, pour identifier les facteurs déclencheurs ou les facteurs de risques possibles. Des vidéos d'animaux atteints sont disponibles sur le lien, avant de commencer à répondre au questionnaire.
Ces os à mâcher en peau de bœuf sont disponibles sur des sites de vente en ligne en France et n’ont, pour l’heure, pas encore fait l’objet d’un rappel de lots. La marque incriminée n’a pas communiqué sur le sujet pour le moment.
Vincent Mayousse (A 11), diplômé de l’European College of Veterinary Neurology (ECVN), responsable du service de neurologie du CHV des Cordeliers (Meaux, Seine-et-Marne)
Quels sont les signes cliniques présentés par les chiens atteints de ces crises neurologiques atypiques que vous avez examinés ?
En septembre et octobre derniers, mon équipe et moi-même avons reçu en consultation, à quelques semaines d’intervalle, trois chiens adultes (deux bull-terriers et un croisé american staffordshire terrier), non apparentés, vivant au sein du même foyer, pour l’apparition soudaine de manifestations évoquant initialement des crises convulsives de type « psychomotrices ». Ils présentaient, de façon imprévisible, des aboiements intempestifs, le regard en l’air, comme s’ils étaient victimes d’ « hallucinations », et des courses frénétiques avec des tentatives d’évasion. Certains confrères neurologues européens ont fait état d’agressivité soudaine, de crises de panique, d’ataxie et de crises convulsives généralisées. Certains animaux ont même dû être euthanasiés devant la gravité de leur état et la récurrence des épisodes. Ce qui est atypique, c’est que les crises apparaissent plusieurs fois dans la journée et que les animaux ont un comportement normal en dehors des crises. Les symptômes ne sont pas continus, à la différence de ce qui est généralement observé lors d’intoxications courantes. Le tableau clinique peut être confondu avec de l’épilepsie idiopathique ou des troubles du comportement. Sur mes cas et ceux de mes confrères, les analyses sanguines, la ponction du liquide cérébrospinal et l’IRM de l’encéphale n’ont révélé aucune anomalie. La recherche des principales maladies inflammatoires s’est également révélée être négative.
Comment les avez-vous pris en charge ?
La prescription d’un antiépileptique sur le premier cas observé a conduit à une diminution légère des crises. Lorsque les deux autres chiens du même foyer ont présenté à leur tour des symptômes identiques, nous nous sommes orientés vers une cause environnementale (nourriture ou substance toxique). Après avoir eu écho de cas similaires par des confrères neurologues, nous avons pu suspecter une intoxication par l’ingestion d’os à mâcher en peau de bœuf. Les symptômes seraient apparus plusieurs jours après l’ingestion et ont persisté pendant plusieurs semaines. Ils se sont complètement résolus en quelques semaines après l’arrêt de la consommation d’os à mâcher, et sans traitement médicamenteux.
L’enquête en cours s’oriente vers l’hypothèse d’une contamination aux mycotoxines au cours du processus de production de ces os et bâtonnets à mâcher. Est-ce probable, compte tenu du tableau clinique des chiens atteints ?
Une intoxication à des mycotoxines par contamination lors du processus de fabrication des os à mâcher semble être la cause la plus probable, effectivement. D’autres types d’intoxications (produits insecticides, métaux lourds) ont été envisagés, mais ne sont pas retenus à l’heure actuelle, car le tableau clinique ainsi que la cinétique d’apparition et de résolution des signes cliniques ne sont pas compatibles (ces toxines ont un effet cumulatif). Les intoxications aux mycotoxines sont relativement fréquentes (chien ingérant du compost, par exemple). Elles provoquent dans la plupart des cas des troubles cérébelleux, générant des tremblements intenses dans les heures qui suivent la contamination. Dans les cas répertoriés chez les chiens ayant consommé ces os à mâcher, il est probable, au vu des signes cliniques, que d’autres zones du cerveau soient atteintes (le prosencéphale et/ou l’hippocampe, notamment). Il pourrait s’agir de mycotoxines atypiques voire inconnues. J’ai personnellement demandé à la propriétaire de mes trois cas de me faire parvenir les os à mâcher afin de les faire analyser par un laboratoire français de contrôle qualité de pet food. Nos confrères en Allemagne mènent également des recherches en ce sens. L’enquête devrait prendre néanmoins plusieurs mois. Il est possible qu’il y ait un seuil toxique ou une sensibilité individuelle. La propriétaire des chiens que nous avons eus en consultation a signalé que trois autres de ses chiens avaient eux aussi consommé (mais en moindre quantité) ces os à mâcher, mais n’avaient pas présenté de symptômes neurologiques.
Que conseiller aux vétérinaires généralistes qui seraient confrontés à des cas similaires ?
Il est impératif de réaliser un examen général et neurologique de l’animal, et d’écarter les autres causes de « crises neurologiques aiguës ». En cas de crises atypiques comme celles décrites précédemment (d’autant plus lorsque plusieurs animaux du même foyer sont atteints), il faut interroger les propriétaires sur la consommation éventuelle d’os ou de bâtonnets à mâcher en peau de bœuf, et les retirer si c’est le cas. En cas de crises intenses et fréquentes, il ne faut pas hésiter à référer l’animal à un spécialiste en neurologie. Notre consœur Nina Meyerhoff coordonne l’étude à Hanovre et peut être contactée par les vétérinaires via le questionnaire en ligne (une adresse mail de contact est disponible)*.