Conduite à tenir lors d’un syndrome de dilatation-torsion de l’estomac - La Semaine Vétérinaire n° 2062 du 17/01/2025
La Semaine Vétérinaire n° 2062 du 17/01/2025

Urgences

FORMATION CANINE

Auteur(s) : Mylène Panizo

Conférencier

Cyrill Poncet (T 98), diplômé de l’European College of Veterinary Surgeons (ECVS), spécialiste en chirurgie au centre hospitalier vétérinaire (CHV) Frégis.

Article rédigé d’après la webconférence « Syndrome dilatation-torsion de l’estomac : tous les conseils pour réussir ! », organisée par le CHV Frégis (Gentilly, Val-de-Marne), en partenariat avec les laboratoires Zoetis et B. Braun, le 16 octobre 2024.

Un « staff des internes » du programme de l’internship des CHV, organisé par celui de Frégis, a été exceptionnellement ouvert en visioconférence à tous les étudiants et vétérinaires francophones pour aborder l’une des urgences vitales les plus importantes en médecine vétérinaire : le syndrome de dilatation-torsion de l’estomac. Notre confrère spécialiste en chirurgie Cyrill Poncet a décrit les étapes à suivre pour une prise en charge efficace, et a combattu les idées reçues persistantes sur cette affection parfois mal connue.

Quels sont les facteurs de risque ? 

Le syndrome de dilatation-torsion de l’estomac atteint les chiens de grand format (supérieurs à 30 kg), en particulier les pures races et les sujets à thorax profond. Les animaux adultes, voire matures, sont prédisposés, ainsi que ceux en surpoids.

Des facteurs de risque extrinsèques sont également avérés, tels que le stress, la présence d’un corps étranger gastrique, une alimentation inhabituelle, la prise rapide d’un repas quotidien unique, ou encore la surélévation de la gamelle, ce que conseillent pourtant certains éleveurs. Contrairement aux idées reçues, l’exercice postprandial, lorsqu’il est modéré, n’est pas un facteur de risque, il est même conseillé !

Pourquoi est-ce une urgence ?

Les causes du syndrome de dilatation-torsion de l’estomac ne sont pas toutes identifiées, mais sa physiopathogénie, elle, est bien comprise. Au départ, l’estomac se dilate. Au fur et à mesure du gonflement, il se tord sur lui-même et continue à augmenter de volume. Cette distension provoque une compression de la veine cave – qui entraîne un défaut du retour veineux –, une compression du diaphragme – diminuant ainsi la compliance pulmonaire –, ainsi qu’une ischémie, puis une nécrose de l’estomac. L’urgence est absolue, car la dilatation de cet organe induit brutalement un triple choc – hypovolémique, hypoxique et endotoxémique –, susceptible d’entraîner le décès rapide du chien.

Quand suspecter un syndrome de dilatation-torsion ?

Au téléphone, les propriétaires décrivent généralement un gonflement abdominal soudain, des efforts vomitifs peu ou non productifs, une hypersalivation, une polydipsie et une anxiété. Le premier réflexe à avoir est de se renseigner sur le gabarit du chien. En effet, le syndrome de dilatation-torsion est exceptionnel chez les petites races. S’il s’agit d’un individu de grand format, il faut inciter les détenteurs à se rendre immédiatement dans la clinique vétérinaire la plus proche de leur domicile.

À l’examen clinique, le diagnostic est généralement aisé : l’animal est en état de choc (parfois dans le coma) et présente une dilatation abdominale associée à une douleur sévère. La présence d’un tympanisme abdominal est également très évocateur du syndrome de dilatation-torsion.

Quels sont les facteurs pronostiques ?

Dès que possible, après avoir pratiqué les premiers gestes d’urgence, il faut annoncer aux propriétaires les facteurs pronostiques. Au sein d’une structure adaptée, la dilatation-torsion présente un taux de survie de 85 %. La torsion de l’estomac n’est pas un facteur déterminant. La rupture de l’estomac (pneumoabdomen) est en revanche associée à une sombre issue (50 % de mortalité). Un animal qui a déjà présenté une dilatation-torsion par le passé voit ses chances de survie réduites. L’arrivée en état de choc avancé (décubitus latéral), une lactatémie élevée (> 10 mmol/l) à l’admission, la présence d’arythmies cardiaques préopératoires et l’observation d’une nécrose gastrique augmentent le risque de décès.

Quelles sont les étapes de la prise en charge ?

Étape 1 : la décompression de l’estomac

À l’arrivée du chien, l’urgence est de décomprimer l’estomac. Le décès pouvant intervenir en quelques minutes, il ne faut pas pratiquer de radiographie à l’admission.

Pour effectuer une gastrocentèse, il convient d’introduire d’un coup sec une – ou plusieurs – aiguille de gros diamètre ou un cathéter rouge dans l’estomac, en positionnant le dispositif en arrière de la dernière côte (voir photo 1).

Il faut ensuite réaliser un sondage orogastrique (placer l’animal en décubitus latéral, le bassin dans le vide, afin de faire reculer les organes abdominaux) pour poursuivre la décompression et vider l’estomac. Si la sonde bloque au niveau du cardia, c’est que l’estomac est trop dilaté et qu’il faut refaire une gastrocentèse (ce n’est pas parce que l’estomac est tordu).

Une sonde nasogastrique doit être posée pour prévenir la redilatation en pré-, péri- et postopératoire.

C’est à ce moment-là qu’une radiographie présente un intérêt. Elle permet en effet de vérifier l’emplacement de la sonde nasogastrique, de confirmer le diagnostic en le précisant (dilatation seule, dilatation-torsion, pneumoabdomen), et d’identifier un éventuel corps étranger. La radiographie constitue une image parlante à montrer au propriétaire pour qu’il comprenne la maladie. Les clichés radiographiques sont caractéristiques : l’estomac a un aspect dit en « gant de boxe » ou en « bonnet de Schtroumpf ». La visualisation d’une bande blanche est pathognomonique de la torsion. Elle correspond à l’espace entre le pylore – qui passe dorsalement à l’estomac – et le fundus (voir photo 2).

Étape 2 : la réanimation préopératoire

L’intervention chirurgicale n’est jamais une urgence, excepté en cas de rupture de l’estomac. La prise en charge préopératoire doit être systématique et comprend :

- une fluidothérapie. Il convient de poser un cathéter de gros calibre. Contrairement aux idées reçues, il n’y a pas d’intérêt à en placer deux, ni à le placer à l’arrière (retour veineux rétabli après la décompression) ;

- une oxygénothérapie ;

- la réalisation d’examens complémentaires – avec a minima une mesure des protéines totales –, d’un hématocrite, d’une urémie, d’une créatinémie, d’une glycémie, d’une kaliémie et d’un dosage des lactates sanguins. Un tracé ECG de référence est recommandé en période préopératoire, car les patients sont sujets aux extrasystoles ventriculaires (ESV) ;

- une antibiothérapie à large spectre par voie intraveineuse (céfalexine et métronidazole) est conseillée, car l’ischémie favorise une bactériémie ;

- un traitement médical par voie intraveineuse, soit des antiacides (cimétidine), de la prokinétique (métoclopramide) et de la lidocaïne en bolus pour prévenir le risque d’ESV.

Étape 3 : l’intervention chirurgicale

Lorsque l’animal est stable, l’intervention chirurgicale peut être pratiquée. Les phases clés sont les suivantes :

- la détorsion de l’estomac. Il faut se placer à la droite du chien et chercher d’une main le pylore pour le ramener ventralement sur son site anatomique, en poussant le corps de l’estomac de l’autre main. La torsion de l’estomac se fait généralement à 180-200 ° (250 ° au maximum).

- l'exploration de la viabilité gastrique, quelques minutes après la détorsion (voir photo 3). Elle est évaluée selon la règle des « 4 C » : circulation (pouls), consistance (paroi normale ou fine), contractilité (péristaltisme), couleur (normale, lie de vin ou noire, signant un défaut veineux, ou verte, révélant un défaut artériel). Selon la taille et l’emplacement des zones ischémiées, il faudra les laisser telles quelles ou les retirer. Jusqu’à 70 à 80 % de l’estomac peuvent être enlevés, à condition que le cardia et le pylore soient sains. En cas de nécrose du cardia, le pronostic est très sombre. Il est déconseillé d’effectuer une invagination gastrique de la zone nécrotique, il faut réaliser une gastrectomie.

- l’exploration du reste de l’abdomen. Il est possible d’observer des lésions d’infarcissement sur les organes abdominaux, une rupture de la rate ou encore une atteinte du pancréas.

- la gastropexie. Il faut systématiquement la réaliser, même en l’absence de torsion. Plus d’une dizaine de techniques ont été décrites. Notre confrère pratique une gastropexie incisionnelle en fixant – par un double surjet – l’antre pylorique sur la paroi abdominale, à droite, en arrière de la dernière côte (voir photo 4). Grâce à cette suture, le risque de récidive d’une dilatation de l’estomac dans l’année qui suit le premier épisode diminue fortement, passant de 85 % sans pexie à seulement 10 % avec. L’estomac ne pourra plus se tordre.

Étape 4 : la réanimation postopératoire

La réanimation postopératoire doit être d’au minimum 48 heures. Elle comprend :

- un traitement médical : fluidothérapie, oxygénothérapie, antibiothérapie, antidouleurs (morphiniques), antiacide, prokinétique.

- une surveillance attentive. L’état clinique de l’animal (appétit, vigilance), ses principaux paramètres vitaux (fréquences cardiaques et respiratoires, pression artérielle, etc.) et sa diurèse doivent être contrôlés. Une attention particulière est portée sur d’éventuels troubles cardiaques, en réalisant un ECG en continu (des arythmies sont constatées dans 75 % des cas, jusqu’à 48 heures après l'opération).

- la sonde nasogastrique est laissée en place en période postopératoire. L’animal doit être rapidement réalimenté par petit bolus (dans les premières 24 heures après la chirurgie).

Quels types de prévention recommander ?

Il est conseillé de diviser la ration quotidienne en deux repas par jour au minimum, d’augmenter le temps de la prise alimentaire – grâce à un tapis de fouille ou à une gamelle antiglouton –, de placer la nourriture au sol et de faire une balade douce après le repas. Il est recommandé d’éviter la reproduction des animaux atteints et de limiter le stress.

Une gastropexie prophylactique sur les chiens à risque (plus de 30 kg) peut être proposée, dans la mesure où 30 % des races de plus de 30 kg connaîtront un épisode de dilatation-torsion de l’estomac dans leur vie. Elle est pratiquée par exemple sous cœlioscopie, pourquoi pas en même temps que la stérilisation.