DOSSIER
Auteur(s) : par Fabrice Jaffré, Kena conseil et Mannaïg de Kersauson, OCO
Entre réglementations strictes et contraintes pratiques, la gestion des déchets d'activités de soins à risques infectieux (Dasri) reste un casse-tête pour les vétérinaires. Des règles de tri parfois floues conduisent aussi à commettre des erreurs. Pourtant, mieux trier peut réduire les coûts et limiter l’impact environnemental.
Les obligations réglementaires liées aux déchets d’activités de soins à risques infectieux (Dasri) et assimilés sont définies dans les articles R1335-1 à R1335-8-7 du Code de la santé publique. Elles concernent notamment la collecte, l’entreposage, la durée de stockage et la traçabilité. En cas de non-respect de ces dispositions, la peine encourue est de 75 000 € d’amende et de deux ans d’emprisonnement.
Au vu des règles de tri parfois nébuleuses, les vétérinaires sont légitimement tentés de choisir par défaut la catégorie Dasri, au détriment de la filière des déchets d’activités de soins non dangereux (DASND)1. Éviter d’orienter vers la filière Dasri des déchets qui n’en sont pas offre cependant plusieurs avantages, à commencer par le coût. La collecte des Dasri représente une dépense assez variable selon la structure, d’environ 1 000 € par an pour une petite clinique jusqu'à plus de 10 000 € par an pour un centre hospitalier vétérinaire.
Le deuxième avantage est réglementaire : une diminution sensible du volume généré de Dasri peut en effet modifier les conditions particulières de stockage des déchets. Alors qu’une production de Dasri supérieure à 15 kg par mois nécessite un local spécifique (ventilé, éclairé et lavable) et un rythme de collecte hebdomadaire, une production inférieure à 15 kg par mois ne nécessite pas de local particulier et n’impose une collecte que tous les mois (tous les 3 mois si la production est inférieure à 5 kg), avec, à la clé, des économies indirectes.
Le troisième avantage est environnemental. Selon l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), l’incinération de 1 tonne de Dasri émet 934 kg de gaz à effet de serre, contre seulement 362 kg pour celle de 1 tonne d’ordures ménagères, en raison notamment de la nécessité de circuits spécifiques. L’incinération n’est cependant pas une solution idéale. Le processus est polluant, à cause des résidus des fumées et de ceux issus de la combustion. Il émet également des gaz à effet de serre, même si l’énergie générée peut être valorisée. L’objectif est donc de diminuer la quantité de Dasri :
- en premier lieu, en favorisant le réemployable par rapport au jetable2 ;
- ensuite, en triant mieux ses déchets et en valorisant ceux hors Dasri, en privilégiant d'abord la réutilisation (utilisation du déchet pour créer autre chose), puis le recyclage. La solution Eco-Be, par exemple, propose aux vétérinaires d'offrir une deuxième vie à certains plastiques, sous forme de tire-tiques, de pots à crayons, de pelles à litière, etc.
Réduire la quantité de Dasri a donc plusieurs avantages. Mais comment procéder, tout en respectant la législation ?
Comment mieux trier les Dasri ?
Le classement en Dasri du déchet d’activités de soins est défini par les dispositions de l’article R.1335-1 du Code de la santé publique. Il concerne en premier lieu le déchet « qui présente un risque infectieux du fait qu’il contient des micro-organismes viables ou leurs toxines, dont on sait ou dont on a de bonnes raisons de croire qu’en raison de leur nature, de leur quantité ou de leur métabolisme, ils causent la maladie chez l’homme ou chez d’autres organismes vivants ». Le caractère infectieux du déchet est laissé à l’appréciation du professionnel de santé.
Certaines catégories de déchets sont classées automatiquement Dasri, même en l’absence de risque infectieux :
- les matériels et matériaux piquants ou coupants destinés à l’abandon, qu’ils aient été ou non en contact avec un produit biologique ;
- les produits sanguins à usage thérapeutique incomplètement utilisés ou arrivés à péremption.
Un flou entoure la caractérisation « risque infectieux » du déchet. Cela a amené le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) à préciser la notion dans un avis publié le 1er juin 20233 : « Un déchet à risques infectieux (risques biologiques) correspond à un déchet d’activités de soins provenant d’un foyer de multiplication active d’agents biologiques pathogènes (groupes 2 à 4)4 (foyer infectieux ou colonisation microbienne). Un déchet à risques infectieux correspond aussi à un déchet d’activités de soins fortement imprégné de sang, de sécrétions ou d’excrétions avec risque d’écoulement. » L'expression « fortement imprégné » signifie que le déchet produit a été en contact avec une grande quantité de sang, de sécrétions ou d'excrétions constatée au moment de la production du déchet, et qui pourrait ensuite se répandre (« avec risque d'écoulement ») dans le sac de déchets ménagers.
Le HCSP précise également dans son avis que « les déchets d’activités de soins qui ne contiennent pas ou n’ont pas été au contact avec des agents biologiques pathogènes d’un foyer de multiplication active ou qui ont perdu les propriétés de risques infectieux par un traitement de désinfection ne font pas l’objet de prescriptions particulières de collecte et d’élimination pour la prévention du risque biologique et répondent aux conditions d’élimination des déchets ménagers (déchets assimilés aux déchets ménagers) ». Ainsi, tous les déchets issus d'un animal présentant une infection ne sont pas à risques infectieux, sauf s'ils ont été en contact avec un foyer infectieux.
Qu’en est-il des déchets témoignant visiblement d’une activité de soins et à fort « impact psycho-émotionnel »? Ils sont classés comme « non à risque » s’ils n’ont pas été en contact avec un foyer infectieux ou un site de colonisation microbienne et s’ils n’ont pas été imprégnés par une grande quantité de sang, de sécrétions ou d’excrétions », précise le HSCP. Dans ce cas, les seringues, tubulures de perfusion, sondes, canules, drains, compresses, pansements, gants, masques, calots, etc. pourront donc être considérés comme des DASND et placés dans les ordures ménagères, ou, mieux, être récupérés par un partenaire susceptible de valoriser les plastiques s’ils en contiennent.
Quant au verre des flacons vides de médicaments ou des vaccins (à l’exception de ceux ayant contenu des produits cytotoxiques, des euthanasiques, des stupéfiants ou des vaccins vivants), « il peut être dirigé vers les containers à verre », indique Arnaud Deleu, directeur des affaires économiques au Syndicat de l'industrie du médicament et diagnostic vétérinaires (SIMV). Cela permet de réduire sensiblement la quantité de Dasri.
L’orientation possible vers la filière DASND de certains déchets d’activités de soins n’est a priori valable que si la commune incinère les déchets ménagers, ce qui est généralement le cas.
Le cas des médicaments non utilisés
Enfin, que faire des médicaments non utilisés (MNU) ? D’un point de vue réglementaire, ils n’entrent pas dans le périmètre des Dasri, et pourtant ils sont le plus souvent orientés vers cette filière, parce que c'est plus simple. On triera si possible de la façon suivante :
- les emballages et les notices sont placés dans la poubelle papier et carton ;
- les MNU sont envoyés en filière spécifique auprès d’un prestataire, souvent celui qui collecte les Dasri. À noter que les médicaments cytotoxiques ont leur propre filière.
Cela dit, l’Ordre des vétérinaires précise dans une fiche pratique5 : « Le plus souvent, les déchets de médicaments ne présentent pas de risque. Ils peuvent être éliminés par une filière banale, à condition qu’elle soit sécurisée (pas de reprise possible par le public) et qu’elle aboutisse à une incinération. »
« En moyenne, le soignant dispose de deux secondes pour faire le choix du bon collecteur », estime le médecin hygiéniste Philippe Carenco. Afin que le tri soit bien appliqué, il est nécessaire d’écrire les règles, de les afficher et de former tout le personnel (voir l’encadré « les 10 points d’un tri efficace »). Sur un plan logistique, plus les poubelles sont proches de la zone de production du déchet, plus la surcharge de travail sera acceptée et les consignes respectées, et plus faibles seront les risques de blessures accidentelles ou de contamination aéroportée lors du déplacement.
Une sensibilisation en amont (fresques de la clinique vétérinaire, du climat) sur les impacts d’un mauvais tri facilitera leur appropriation par l’équipe. Enfin, il faudra prévoir des sessions de révision et de mise à jour de la documentation, sans oublier la formation des nouveaux arrivants, des remplaçants et des stagiaires.
Les vétérinaires attendent néanmoins une simplification des règles de tri, ou a minima leur uniformisation dans la profession. On peut en effet observer des conseils contradictoires entre les différents prestataires amenés à collecter les déchets. Le Conseil national de l’ordre des vétérinaires (CNOV), l’Agence nationale du médicament vétérinaire et la Direction générale de l’alimentation ont été contactés à ce sujet. Le CNOV a indiqué programmer un état des lieux de la réglementation des déchets, qui sera présenté lors de sa prochaine session.
Karine Palais (N 97)
Vétérinaire canine à Moulins (Allier)
« Dasri, recyclage et stupéfiants : un tri encore flou »
Le tri se précise au fil des années, même si tout n’est pas clair. On met bien sûr dans les Dasri les piquants-coupants et les flacons de médicaments vides. Mais on s’interroge encore pour l’isoflurane et la kétamine en tant que stupéfiant. Aujourd’hui, chaque flacon vide pourrait certainement aller dans une filière de recyclage, mais il reste toujours des résidus de médicament, ce qui pose forcément problème. La gestion des périmés est elle aussi compliquée, on préfère parfois la poubelle faute d’être certain qu’ils vont bien dans les Dasri. Les seringues comme les tubulures ne vont pas dans les Dasri. J’ai évoqué le sujet dans mon groupement et l’on m’a orientée vers des solutions comme Plast-To-Be. On est assez à cheval sur le tri à la maison, et je prends conscience que je n’en fais pas assez à la clinique !
Ludivine Baguet (T 12)
Vétérinaire en canine à Sérifontaine (Oise)
« Des consignes qui s’entrechoquent »
Le tri des Dasri n’est pas clair pour moi. Pour limiter les erreurs, nous avons voulu afficher les infographies disponibles, celle de l’Ordre et celle de Cyclavet. Ce ne sont pas les mêmes consignes : qui suivre ? J’ai aussi pu constater que le tri est très subjectif… Nous mettons dans les Dasri les vaccins, les piquants-coupants. Les capuchons des aiguilles sont collectés avec les capsules des injectables pour une association soutenant les personnes en situation de handicap. Nous n’utilisons que des champs lavables, lavons nos lames de microscope de façon à réduire nos déchets. Les seringues vont à la poubelle noire, je ne les considère pas comme étant à risques infectieux en général. Nous avons, avec Cyclavet, un bac supplémentaire, le bleu, pour les fioles en verre de médicaments (hors vaccin), sauf la kétamine, que l’on met dans les Dasri.
Agnès Ménage (L 02)
Vétérinaire en mixte à Scaër (Finistère)
« Peut-être faudrait-il une filière de collecte spécifique aux professions médicales »
Le tri est très simplifié dans mon cas : il ne concerne que les piquants-coupants et les MNU. Sauf dans de rares cas, l’évaluation du risque zoonotique me pousse à mettre beaucoup de choses dans la poubelle noire, parce que je sais que, dans mon département, toutes nos ordures sont incinérées. Les seringues vont aussi à la poubelle noire, sauf celles ayant contenu des euthanasiques.
Les flacons en verre vont aux ordures ménagères, car j’ai appris que ce n’était pas du verre recyclable, mais j’ai des scrupules à chaque fois. Comment l’usine de recyclage pourrait-elle savoir si ce qui était dedans est dangereux ? Peut-être faudrait-il une filière de collecte spécifique aux professions médicales… Je trouve cela aberrant que tout le contenu des Dasri, dont une bonne partie serait recyclable, aille à l’incinération.
Recommandations du HCSP appliquées à quelques cas de figure
Cas de figure n° 1 : une seringue qui contient encore du sang ou un autre liquide biologique, ou bien qui a été utilisée pour la vaccination avec un vaccin vivant, est considérée comme Dasri. À l’inverse, une seringue vidée qui n’a pas été utilisée pour un produit cytotoxique ou un vaccin vivant est basculée vers les DASND. Et toute seringue avec une aiguille sertie est un déchet Dasri, même avec un capuchon protecteur.
Cas de figure n° 2 : un champ opératoire jetable légèrement taché de quelques gouttes de sang est assimilable à un déchet ménager. En revanche, s’il est fortement imprégné de sang, par exemple suite à une exérèse de chaîne mammaire, il est considéré comme Dasri.
Cas de figure n° 3 : un pansement utilisé sur un animal pour une infection cutanée est un déchet Dasri. Mais un pansement posé sur l’animal suite à une prise de sang est classé comme déchet ménager.
Cas de figure n° 4 : une alèse souillée, mais sans risque d’écoulement et hors contexte infectieux, est considérée comme un déchet ménager. On privilégiera cependant l’utilisation de serviettes de deuxième main, avec une méthode de lavage adaptée au contexte infectieux. C’est plus économique et plus respectueux de l’environnement, même en intégrant le coût du lavage et le temps consacré à cette tâche.
Les 10 points d’un tri efficace
1. Définir une politique de réduction des Dasri (les quantifier, puis définir des objectifs).
2. Nommer ou identifier des référents, internes ou externes.
3. Sensibiliser toute l’équipe à l’intérêt d’un bon tri.
4. Former les équipes au tri, sans oublier les remplaçants, les stagiaires et le personnel d’entretien.
5. Définir des protocoles de tri les plus simples et les plus explicites possibles.
6. Fournir des moyens matériels permettant le tri au plus près de la génération du déchet.
7. Afficher les procédures dans chaque zone de tri.
8. Suivre les résultats dans le temps.
9. Faire ponctuellement un bilan de ses déchets.
10. Comprendre et corriger les faux positifs dans les Dasri et les faux négatifs dans les déchets ménagers.