Les vétérinaires au bord de la rupture en 2025 ? - La Semaine Vétérinaire n° 2062 du 17/01/2025
La Semaine Vétérinaire n° 2062 du 17/01/2025

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Par Marine Neveux

Jacques Guérin, président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (Cnov), a profité de ses vœux 2025 le 7 janvier dernier, à Paris, pour dresser un bilan sans concession. Entre constats amers, avertissements percutants et espoirs mesurés, le sort de la profession reste suspendu à des réformes attendues depuis trop longtemps.

En 2024, Jacques Guérin espérait « que les textes législatifs et réglementaires d’intérêt vétérinaire soient enfin publiés ». Un an plus tard, le constat est sans appel : « Côté résultats concrets, opérationnels, publiés au Journal officiel, il m’est difficile d’être satisfait. » Face à une situation figée, il ironise : « Je n’ai pas considéré utile de rédiger ma traditionnelle liste de courses de début d’année. Elle aurait été identique à celle de 2024 ! »

Au-delà des mots, la réalité est brutale du côté des vétérinaires, ces « 22 000 fantassins, dont 15 % auprès des animaux de rente dans les territoires ruraux. » Une profession sur le fil, absorbant les surcharges, jonglant avec des crises sanitaires et une vie privée sacrifiée. Le danger guette : « Le délitement constant et progressif de la présence des vétérinaires au service de l’élevage et de la santé publique devient une réalité. » Jacques Guérin pointe des causes profondes : « La relation avec les détenteurs des animaux n’est plus empreinte de confiance, ni équilibrée ; le monde agricole vit une succession permanente de crises, ce qui n’est pas un environnement serein pour exercer sa profession ; le climat de défiance devient propice aux incivilités, aux agressions. » Son avertissement est cinglant : « Si les éleveurs veulent des vétérinaires, ils doivent en prendre soin, au sens où ils représentent un bien commun. » […] « À défaut de quoi, la délitescence du réseau de vétérinaires sanitaires, sentinelles des maladies des animaux d’élevage, deviendra un obstacle majeur à l’efficience des politiques sanitaires publiques. »

Le président du Conseil national de l'Ordre des vétérinaires sera tout particulièrement attentif à ce que les assises du sanitaire « ne soient pas, finalement, qu’un moyen de pousser le bouchon un peu plus loin… ».

Immobilisme et enlisement

« Il est désormais attendu, au titre de la crédibilité du message du ministère en charge de l’Agriculture envers les vétérinaires, que les dossiers en souffrance sortent. Ils sont devenus le symbole du manque de considération à l’encontre de la profession vétérinaire », déclare le président de l’Ordre, qui évoque notamment la délégation de certains actes vétérinaires, le contrat de suivi sanitaire permanent des élevages et la financiarisation de la profession.

L’ombre d’un scénario à l’espagnole

La question de la pénurie vétérinaire refait surface avec le projet d’une sixième école vétérinaire. « La France dispose-t-elle de suffisamment de diplômes vétérinaires ou est-elle exposée à un déficit structurel ou conjoncturel ? » Jacques Guérin reste prudent : « Actons d’une clause de revoyure en 2028-2030, lorsque le plan d’action en cours aura produit ses effets et que l’école privée UniLaSalle Rouen aura atteint ses objectifs. » Et de mettre en garde : « Soyons attentifs à ne pas reproduire un scénario à l’espagnole. Il ne règle aucunement la problématique de désertification des zones rurales. »

Une crainte est limpide : la financiarisation de la formation vétérinaire au détriment de sa qualité. « Ne laissons pas non plus les investisseurs financiers considérer la formation vétérinaire comme un espace de profits. »

Radiations de sociétés : un apaisement, mais des limites

L’épineux dossier des sociétés d’exercice vétérinaire avance enfin, après des années de batailles juridiques. « L’Ordre est dans un état d’esprit constructif, sans angélisme… Combatif autant que nécessaire », déclarait Jacques Guérin l’an passé.

« Le volet administratif de ce contentieux est plutôt derrière nous, même si l’Ordre demeure vigilant quant à la réalité de l’exercice des vétérinaires, notamment des vétérinaires associés, au sein de ces sociétés, et à leur indépendance professionnelle. Le volet disciplinaire prend, lui, le relais d’autant qu’un gap entre ce qui est déclaré et la réalité peut être constaté », explique-t-il en ce début d’année 2025. Ainsi, des « gaps » persistent, dévoilant des tentatives de contournement de la loi et des conflits de loyauté : « Ces gaps révèlent les différents moyens utilisés pour contourner la loi ou les engagements formellement pris par les associés de ces sociétés. Il pose un problème de loyauté, voire de conflit de loyautés, pour ne pas dire de conflit d’intérêts. Il pose un problème d’efficacité des contrôles et des moyens déployés. Il pose la question de l’effet dissuasif des sanctions prononcées. » Jacques Guérin tire la sonnette d’alarme : « Ma conviction est que les contrôles réalisés par l’Ordre des vétérinaires atteignent désormais leurs limites, ainsi d’ailleurs que les sanctions disciplinaires prononcées. […] L’Ordre des vétérinaires ne revendique pas de disposer de moyens d’agir renforcés. Il revendique de pouvoir saisir efficacement les services de l’État, ceux qui ont le pouvoir de contrôler et de sanctionner financièrement les comportements illicites ou les contournements de la loi, en matière fiscale, sociale ou de droit du travail. »

Calypsovet : des avancées prometteuses

Dans ce contexte tendu, des lueurs d’espoir : Calypsovet. Jacques Guérin salue ses progrès : « L’accompagnement de la vaccination IAHP est un révélateur de sa capacité à faire, de la gestion des vaccins jusqu’au paiement des vétérinaires sanitaires. La remontée des données d’usage des antimicrobiens est désormais pleinement déployée et franchit un cap décisif. Le développement de la fonctionnalité FCO/MHE démontre sa capacité à accompagner une crise sanitaire dans une volumétrie bien supérieure à la crise IAHP. Calypsovet permet à la DGAL, aux DDPP ou à l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV) d’informer et de notifier les vétérinaires des événements sanitaires en cours ou des informations d’importance. La nouvelle version de BDIvet est au programme 2025, les points techniques bloquants ayant été levés. »

De plus, des innovations comme le réseau d’épidémiosurveillance en pathologie des animaux de compagnie (Respac), spécifique aux animaux de compagnie, verront le jour dès 2025 sous le pilotage de l’Afvac. « Un consortium d’intérêts scientifiques est constitué. La première tranche de financement sera apportée par le Conseil national de l’Ordre. »

Un cri d’alarme pour l’avenir de la profession

Jacques Guérin clôt son discours sur une note de gravité. Face à l’inaction et au manque de considération, le temps presse. « Tout est envisagé, mais rien n’est possible ! » Une profession indispensable, mais à bout de souffle, attend désormais des actes concrets. Le 16 janvier dernier, Annie Genevard, ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, recevait Jacques Guérin et le président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral. À suivre...

5 priorités du Clio

Jacques Guérin a été élu président du Comité de liaison des institutions ordinales (Clio) au cours du conseil d'administration qui s'est tenu le 18 juillet 2024.

Le Clio regroupe les 16 professions libérales réglementées organisées en un ordre professionnel : professions de santé, professions du droit, professions techniques et du cadre de vie.

Les sujets communs prioritaires sont :

- la financiarisation des professions réglementées,

- l’accès à un professionnel qualifié,

- la qualité du service rendu,

- la protection physique des professionnels,

- l’intelligence artificielle.

  • Lire aussi La Semaine Vétérinaire n° 2017 du 09/01/2024
  • Retrouvez la courte vidéo de Jacques Guérin le 7 janvier dernier sur la chaîne WhatsApp du Point Vétérinaire : bit.ly/3Cb6JTT