Clap de fin pour une sixième école vétérinaire française ? - La Semaine Vétérinaire n° 2064 du 31/01/2025
La Semaine Vétérinaire n° 2064 du 31/01/2025

CGAAER

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Par Tanit Halfon

Selon un rapport récent du CGAAER, nous pourrions connaître un excédent de 500 à 600 vétérinaires praticiens d’ici 2030, dû au nombre de jeunes Français partant se former à l’étranger. Une dynamique européenne vouée à perdurer.

La démographie vétérinaire est un enjeu de taille pour la profession. Aujourd’hui, les échos du terrain montrent qu’il manque des bras pour répondre aux besoins, notamment en pratique clinique et plus particulièrement pour la rurale. Un contexte qui a poussé certains, dont le président de la région Nouvelle-Aquitaine, Alain Rousset, à défendre l’ouverture de nouvelles écoles. En mars 2023, le ministère de l’Agriculture avait demandé au Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) de se pencher sur la question de la démographie. Avec pour objectifs d'évaluer et d'analyser les moyens de faciliter et de sécuriser l’insertion des jeunes diplômés dans la profession et dans les territoires, afin d’éviter les reconversions trop précoces, et d’étudier l’opportunité et la faisabilité de la création en Nouvelle-Aquitaine d’une sixième école. Ce rapport1, attendu depuis plusieurs mois, vient enfin d’être rendu public. Quelle en est la conclusion ? Il est probable que l'on connaisse un excédent de 500 à 600 vétérinaires praticiens d’ici 2030.

Un potentiel de 2000 vétérinaires entrants en 2030

Une double dynamique explique cette prévision. En France, le nombre de places ouvertes dans les écoles augmente d’année en année, pour atteindre aujourd’hui le chiffre de 180 par promotion, et peut-être 200 demain. Sans compter l’école privée UniLaSalle, inaugurée en septembre 2022 et qui propose 120 places par an. En parallèle, les jeunes partent de plus en plus se former à l’étranger, ce qui fait que, depuis 2020, plus de la moitié des primo-inscrits au tableau de l’Ordre étaient diplômés d’une école implantée hors de France.

Les auteurs du rapport ont pu estimer qu’entre 800 et 950 étudiants français sont formés chaque année à l’étranger « avec de fortes chances de revenir dans leur pays, ce qui, a minima, double la capacité de formation vétérinaire nationale ». À ces effectifs s’ajoute celui des vétérinaires étrangers qui viennent travailler en France – soit de 18 à 20 % des primo-inscrits –, avec une tendance à la hausse qui devrait persister, notamment en lien avec le nombre excessif de diplômés vétérinaires dans leurs pays respectifs.

On arriverait donc à un nombre de 1600 à 1800 vétérinaires français nouvellement diplômés chaque année d’ici 2030 et au-delà, auxquels s’ajouteraient les quelque 200 vétérinaires de nationalité étrangère qui s’installent en France. Selon les auteurs, ce chiffre est un minimum et devrait encore augmenter dans les années suivantes au gré de l’ouverture de nouveaux cursus dans les pays européens.

L'ouverture d'un sixième cursus est une décision politique

Les auteurs du rapport ont repris à leur compte l’outil développé par le cabinet de conseil Phylum à la demande de l’Ordre, pour mesurer les besoins en vétérinaires dans les années à venir. En se basant sur les dernières évolutions réelles du marché vétérinaire, les auteurs ont révisé ces estmations, qui seraient, d’ici 2030, de 1 200 vétérinaires par an en moyenne, et non pas 1400, si l'on tient compte des départs à la retraite, des reconversions, des nouveaux modes d’exercice et de l'évolution des soins aux animaux. Autrement dit, on fera face à un excédent de 500 à 600 vétérinaires praticiens par an, sachant qu’« aucun facteur d’évolution permettant de dire que ce bilan ne perdure au-delà de 2030 n’a été identifié ».

Dans ces conditions, faut-il, ou pas, ouvrir un sixième cursus vétérinaire ? Trois projets existent aujourd'hui : un premier d’école publique défendu par la région Nouvelle-Aquitaine, un deuxième d’école privée porté par l’école d’ingénieurs Purpan à Bayonne, et un dernier voulu par le sénateur de la Moselle, Khalifé Khalifé, pour la région Grand Est. Selon les auteurs du rapport, seuls les deux premiers projets sont réellement avancés, le troisième étant à l'état embryonnaire. Si les deux premiers ont des atouts et des limites, en ce qui concerne celui de l’école publique, « la mission n’a pas pu percevoir de fond et de contenu clairs en termes de portage institutionnel conforme au code rural en termes scientifiques et techniques inhérents à un projet d’école ayant vocation à former des praticiens vétérinaires selon les normes AEEEV exigées. Les éléments de projet présentés s’appuient principalement sur les compétences universitaires médicales et les compétences pédagogiques universitaires académiques, sans actuellement préciser comment le volet majeur de formation clinique, dans toutes les espèces animales, serait traité et avec quels moyens ». Celui de Purpan comporte « à la fois un modèle pédagogique et un modèle économique qui font sens et permettent d’envisager, y compris avec la partie clinique, de répondre aux attentes du Code rural [...] Un modèle mixte pour la formation clinique (alliant hôpital interne et formation en cabinets privés) est envisagé ». Un repositionnement pourrait être envisagé à Bordeaux.

Mais au-delà de l'état d'avancement des projets, face à l’estimation de l’excédent de diplômés à venir et à l’implantation forte de la formation vétérinaire à l’échelle européenne, l'ouverture d'une nouvelle école semble avant tout être une question d'ordre politique. Quel est « le degré de souveraineté souhaité en termes de formation des vétérinaires » par la France ? Pour les auteurs, « la souveraineté peut être entendue comme la capacité à former ou à s’assurer, dans un contexte de liberté de circulation à l’intérieur de l’Union européenne, que les vétérinaires travaillant en France ont été formés selon les standards de qualité exigés en France (critères A3EV) ».

Accompagner les ENV

Par ailleurs, comme l’indiquent les auteurs, recruter en milieu rural nécessite un plan plus global incluant un travail sur l’attractivité des métiers en local (attractivité économique, attractivité des territoires, etc.), le recrutement d’étudiants connaissant le monde de l’élevage, la révision du modèle économique de l’exercice vétérinaire notamment avec la contractualisation, etc.

En attendant la décision politique, les auteurs émettent plusieurs recommandations. À commencer par celle de continuer à suivre la démographie vétérinaire et de réviser régulièrement l’analyse prospective. La consolidation financière du plan de renforcement des ENV – qui visait à parvenir à des promotions de 200 élèves dans les écoles nationales vétérinaires (ENV) – est l'une des mesures mises en avant. À ce stade, le chiffre de 180 étudiants a été atteint ; pour passer à 200, le soutien public est « incontournable » afin d’avoir un ratio étudiants/encadrants en phase avec les recommandations de l’A3EV. Une disposition qui soutiendrait l’ambition de souveraineté de la France dans la formation des vétérinaires. Est aussi évoquée la nécessité de rendre possible l’obtention de bourses sociales pour les étudiants scolarisés dans des écoles accréditées situées hors du territoire national, comme cela est déjà le cas pour ceux suivant des études médicales dépendant du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Sans oublier l’orientation des étudiants vétérinaires des ENV vers d’autres débouchés que la pratique, car, comme le rappelle le rapport, l’excédent annoncé de diplômés peut faire écho à la situation en Espagne. Dans ce pays, sans régulation d’ouverture de nouvelles écoles vétérinaires privées, le nombre de vétérinaires « excède largement le besoin, avec, comme conséquences, une baisse importante des salaires, une dévalorisation de la profession, voire un certain taux de chômage ».

Quelle décision sera prise ? Ce qui est certain, c'est que les conclusions de ce rapport passent mal2 auprès des porteurs du projet de l’école vétérinaire publique à Limoges. Pour Alain Rousset, président de la région Nouvelle-Aquitaine, pas question de s’arrêter là : il continuera à le défendre dans les années à venir. Jusqu'à finir par convaincre ?

La question des sortants

Selon certains, l’afflux de diplômés vétérinaires pourrait être une bonne nouvelle pour contrer le départ des jeunes sortants du tableau de l’Ordre, qui quittent donc la pratique clinique. Mais c’est en réalité bien loin d’être une hémorragie. Selon le rapport, le niveau global des sortants –  en incluant les départs à la retraite – par rapport à la population totale des vétérinaires inscrits diminue chaque année, et représente moins de 3 %, soit de 500 à 700 personnes par an. Les sortants âgés de moins de 40 ans ne représentent que de 1,4 à 1,7 % de la population vétérinaire totale (soit de 250 à 350 personnes) « sans que ce chiffre n’augmente réellement depuis 2015, montrant simplement une légère tendance à la hausse ». Le phénomène des sortants précoces ne concerne pas que la profession vétérinaire, soulignent les auteurs, sachant que parmi les jeunes vétérinaires reconvertis, on estime que 80 % d’entre eux valorisent leur diplôme (fonction publique, industrie, recherche, expertise en santé animale, etc.).

Trois questions à Jean-Pierre Orand, inspecteur général au CGAAER

Renforcer l’offre de formation vétérinaire en France peut-il réduire l’expatriation d’étudiants français ? 

À l’issue de Parcoursup, on constate qu’environ 4 500 bacheliers expriment le souhait de suivre des études vétérinaires. Même si la décision d’ouvrir une nouvelle école française, avec une promotion de 180 à 200 étudiants, était prise, cela représenterait peu de nouvelles places disponibles par rapport à la demande. Dans l’enquête que nous avons menée auprès de 780 étudiants suivant un cursus à l’étranger, une grande partie d'entre eux nous ont confié avoir fait le choix de partir à la suite de l’échec de leur orientation en France (échec au concours post-bac ou jeunes issus des classes préparatoires). Un départ largement facilité par la libre circulation des diplômes au sein de l’UE, mais aussi par le développement de cursus vétérinaires en français et en anglais dans d’autres États membres, au sein d'écoles généralement privées. Lesquelles offrent, en outre, tout un panel de services pour accompagner les étudiants étrangers au moment de leur installation dans le pays.

Un projet de nouveau cursus français se démarque-t-il des autres ? Lequel serait le plus pertinent ?

Les trois projets que nous avons étudiés à l’occasion de notre mission sont à différents stades d’avancement : celui de Metz est au stade de l’intention politique et celui de Purpan n’a pas encore reçu d’appui politique mais a un modèle économique assez avancé. Quel que soit le projet, ouvrir une nouvelle école sera un choix d’ordre purement politique, sachant que les rapporteurs du CGAAER ont conclu que le nombre de vétérinaires formés en France et à l’étranger devrait largement couvrir les besoins estimés. Le fait est qu’il y aura toujours autant d’étudiants qui partent poursuivre leurs études vétérinaires à l’étranger. Face à l’excédent qui s’annonce, les écoles vétérinaires devront s'adapter et mieux préparer aux différentes opportunités offertes par le diplôme vétérinaire.

Les changements dans la relation au travail des nouvelles générations ne peuvent-ils pas nuancer l’estimation de l’excédent en diplômés vétérinaires ?

Face aux nouvelles exigences en matière de temps de travail, nous sommes restés larges dans nos estimations. Notre conclusion ne change pas : nous pensons que nous serons en surplus de diplômés vétérinaires.