Comportement
ANALYSE CANINE
Auteur(s) : Par Anne-Claire Gagnon
La Feline Veterinary Medical Association a publié un guide pour aider les vétérinaires à prévenir et gérer les tensions entre chats dans les foyers multifélins. Ces directives visent à garantir le bien-être des animaux et à accompagner les propriétaires dans l’intégration d’un nouvel individu et la résolution de conflits existants.
L’American Association of Feline Practitioners (AAFP), récemment rebaptisée Feline Veterinary Medical Association (FelineVMA), a publié fin juin 2024 des recommandations1 pour aider les vétérinaires à reconnaître, prévenir et gérer les tensions entre chats dans les foyers de multipossesseurs. L’objectif est que les praticiens généralistes – sans être pour autant des comportementalistes – et leurs équipes puissent éduquer les détenteurs. Et ce, en questionnant la pertinence de prendre un chat en plus dans un foyer qui en compte déjà un ou plusieurs, en donnant des conseils pour permettre la meilleure insertion possible du nouveau venu. L’ambition est de garantir le bien-être de tous les félins au sein du foyer et de réduire le risque de placement, voire d’euthanasie, de l'un d'eux.
Les études les plus récentes sont parlantes : elles montrent une prévalence des tensions entre chats au sein des foyers ayant 2 chats ou plus de 62,2 à 87,7 %. Entre 25 et 31 % des troubles du comportement sont des conflits entre chats. Les recommandations ont utilisé le terme de « tension », car ce sont les premiers signes cliniques, souvent discrets (fixer du regard, s’en aller, se cacher ou bloquer l’autre chat), avant d’en arriver à un conflit (avec crachement, sifflement et autres « jurons » félins) et à de véritables agressions.
Flexibilité du comportement social du chat
Dix mythes sont méthodiquement déconstruits pour aider à mieux comprendre les chats. Les chats ne sont pas si solitaires, ce sont des êtres sociaux intermittents, en fonction de leur tempérament, de leur histoire (une chatte errante appréciera la compagnie de sa fratrie, sans tolérer celle des humains) et de l’endroit où ils vivent. Certains chats cohabitent sereinement sans être proches, mais l’arrivée du chat de trop dans un espace non extensible (appartement) générera des tensions. Les chats ont bien été domestiqués, ils ignorent les concepts de dominance et de hiérarchie, peuvent apprécier les relations avec les humains, être socialisés y compris à l’âge adulte (même si c’est moins facile) et n’ont pas tous les mêmes besoins en matière de relations sociales. Les chats qui « jouent à la bagarre » ne sont pas forcément en conflit, il faut observer s’ils ont des comportements affiliatifs par ailleurs (dormir ensemble, toilettage mutuel) et repérer s’il y a de petites ou de longues pauses dans les séquences, ces dernières étant le moment choisi pour vocaliser lors de conflits. Enfin, et c’est la principale vérité à promouvoir, les chats n'ont pas nécessairement besoin d’avoir un compagnon. Notamment lors de la mort d’un chat, nul n’est besoin de le remplacer, que le chat restant soit affecté ou, au contraire, qu'il semble heureux de ne plus vivre dans un climat de tension.
Ne pas brûler les étapes lors de l’introduction d’un nouveau chat
L’arrivée d’un nouveau chat dans la famille modifie l’accès aux lieux de sécurité et aux ressources (écuelles d’alimentation et d’eau, postes d’observation, bacs à litière), la nature des jeux qui peuvent devenir des activités de prédation, la qualité et quantité d’attention accordée à chacun (le nouveau venu, surtout si c’est un chaton, mobilisant une grande partie des interactions) et bien sûr les odeurs, notamment avec un sujet qui vient d’un refuge ou de chez un vétérinaire.
Les mesures de transition (voir ci-dessous) à l’arrivée d’un nouveau chat (dont il faut mûrement réfléchir la motivation et les répercussions) sont essentielles et chronophages, même si elles ne garantissent pas la bonne entente future de l’arrivant avec le ou les résidents.
Des outils didactiques pour reconnaître les comportements
Les recommandations font la part belle aux photos et aux vidéos pour permettre aux équipes vétérinaires de reconnaître les comportements affiliatifs (des chats qui s’entendent très bien, dormant ensemble souvent, même s’ils peuvent jouer de temps en temps à se battre), les comportements de tolérance courtoise (avec des chats qui dorment sur un même lit, à bonne distance, par exemple) et les comportements franchement agonistiques. Les causes médicales doivent toujours être recherchées, notamment lors de modifications comportementales brutales (douleurs, dont celles liées à de l’arthrose, coryza – qui perturbe la perception olfactive – et toutes les maladies chroniques, notamment l’hypertension, l’hyperthyroïdie et le diabète).
Les recommandations suggèrent au praticien généraliste d’évaluer la situation de conflit, d’en mesurer les risques (en isolant, délocalisant ou plaçant l’un des chats) et de référer sans attendre à un vétérinaire comportementaliste diplômé, si nécessaire.
Du bon usage des médicaments
Après un épisode d’agression, il convient d'isoler les chats jusqu’à un retour à l’homéostasie émotionnelle, ce qui peut prendre entre quelques heures et plusieurs jours selon les individus.
Les thérapies et modifications comportementales devront souvent s’accompagner d’une prescription de psychotropes (une liste de molécules2 classiquement données depuis trente ans dans tous les ouvrages de comportement est fournie, avec un ajout récent de trois principes actifs : la gabapentine, la prégabaline et la venlafaxine), à privilégier aux nutraceutiques (dont aucun n’est cité au prétexte de l’absence d’indication spécifique sur les conflits entre chats, les indications thérapeutiques étant par nature réservées aux médicaments vétérinaires). En médecine comportementale, la prescription d'un psychotrope d’usage humain est fréquente, sans disposer d’indications pour les chats. « L'objectif des médicaments devrait être d'améliorer le bien-être des chats, d’optimiser leur capacité d'apprentissage et de minimiser les risques associés aux conflits entre chats. Les médicaments ne devraient être utilisés qu’en conjonction avec des modifications environnementales et comportementales. »
L’usage des analogues de phéromones, notamment Feliway Friends, doit être fait conformément à la notice du fabricant (loin de toute ventilation). « Les diffuseurs ne doivent pas être recouverts par des meubles ou par d'autres objets, ni placés sous des armoires ou des étagères. » Les recommandations précisent que « les réactions spécifiques à un produit à base de phéromones dépendent de l'état émotionnel de l'individu et peuvent être très subtiles. Par exemple, chez un chat qui est déjà détendu ou, au contraire, en présence de signaux clairs de danger, les phéromones peuvent avoir peu d'effet ».
Lorsque la présence de chats entiers, errants, du voisinage est à l’origine de tensions et de conflits avec le ou les chats de la maison, les systèmes de « catio » (enclos) peuvent être suggérés, sachant qu'ils ne protègent pas les chats des menaces visuelles et des projections urinaires régulières sur les filets. Les praticiens doivent être conscients que le placement d’un des chats n’est pas un échec thérapeutique mais souvent une meilleure solution pour le bien-être du chat placé comme de ceux restant au domicile. Enfin, plusieurs algorithmes (voir ci-contre) permettent au praticien généraliste de conduire son évaluation diagnostique et thérapeutique au mieux de l’intérêt des chats et de la famille.
Cohabitation entre chats, mode d’emploi
Quelques conseils à donner au propriétaire :
- Mûrir sa décision de prendre un nouveau chat : une brochure* y est consacrée, pour aider le propriétaire à se poser les bonnes questions. En prendre deux d’une même portée est souvent l’assurance d’une bonne entente ultérieure, même si rien n’est certain.
- Une fois la décision prise, il importe de s’assurer de la bonne santé du chat adopté, de préparer son arrivée en équipant le foyer avec des écuelles, un bac à litière et un arbre à chat pour lui et surtout de prévoir une pièce dans laquelle il pourra passer ses premiers jours. Aucun objet de valeur ni plante verte ne doit être laissé dans cet espace. Un diffuseur de phéromones sera utile.
- Le nouvel arrivant sera conduit dans cette pièce dans une cage de transport fermée. Une fois celle-ci ouverte, il choisira librement d’explorer les lieux quand il le voudra. Des couvertures polaires, serviettes ou linges seront régulièrement échangés entre les lieux de repos des résidents et celui du nouvel arrivant pour faire des transferts d’odeur.
- Si le ou les chats sont à l’aise avec l’odeur de l’autre sur les polaires, frottez celles-ci sur les zones péri-orales, temporales et les joues des uns et des autres.
- Puis faire jouer chacun des chats à proximité de la porte de communication avec des jouets reliés par un fil.
- Une fois que le nouvel arrivant s'est acclimaté, enfermer le ou les chats résidents dans une pièce différente de celle(s) où il(s) se trouvai(en)t . Laisser le nouvel arrivant explorer tout l’espace, puis le remettre dans sa pièce.
- Faire ensuite de courtes sessions de mise en contact visuel (et olfactif) avec le système d’entrebâillement « door monkey ». Si l’environnement ne le permet pas, utiliser la cage de transport (si le chat en a une bonne expérience).
- Une fois que cette étape se passe sans stress, mettre les chats en contact, en harnais ou l’un dans une cage, l’autre libre autour. En harnais, soyez prêts à intervenir si les chats feulent, crachent, etc., en recourant à des serviettes de toilette ou à des cartons pour bloquer tout contact visuel (et physique). Ayez toujours à portée de main des jouets et des friandises pour distraire ou récompenser.
- Ne jamais interagir avec des chats qui feulent, grognent, dont la queue fouette l’espace, aspergent d'urine les supports ou qui montrent d'autres signes d'excitation, car à défaut d’atteindre le chat qui les met dans cet état, les chats peuvent facilement rediriger leur frustration et leur colère sur la cible la plus proche, souvent humaine.
*https://catfriendly.com/wp-content/uploads/2024/07/AAFP-ClientBroch_GettingAnotherCat_Web.pdf