DOSSIER
Auteur(s) : Par Alexandra Briend-Marchal (vétérinaire, entrepreneure, consultante en management et en transformation des organisations, executive blended coaching, www.fairychess.fr)
Le syndrome de l’imposteur, ou illégitimité conditionnelle, emprisonne de nombreux professionnels dans une quête constante de validation externe, nourrie par des croyances limitantes. Comprendre ses origines, explorer ses manifestations et surtout apporter des clés pour se libérer de cette spirale permet de construire une légitimité inconditionnelle et de s’épanouir pleinement dans son travail.
L’illégitimité conditionnelle, aussi appelée syndrome de l’imposteur, est une construction mentale caractérisée par un doute permanent sur ses capacités professionnelles, même face à des réussites objectives. La personne a le sentiment de ne jamais être à la hauteur, d’avoir « trompé » son entourage et que sa réussite repose sur la chance et/ou l’indulgence des autres.
On parle de conditionnalité, parce que la personne est ancrée dans l’idée qu’elle ne mérite d’être appréciée, voire aimée, qu’en remplissant des critères externes (de réussite, de conformité sociale, etc.). L'une des conséquences est un besoin permanent de « validation » de ses choix et de ses actes dans la vie professionnelle, et une indexation de son niveau de bien-être au travail sur ce qu’autrui pense d’elle, de ses choix, de ses actes.
À l’intersection de la sociologie, de la psychologie et des sciences de gestion, la compréhension de l’origine de ce syndrome, de son installation, de ses conséquences et des moyens de s’en dégager est indispensable pour s’engager pleinement dans sa vie professionnelle et vivre plus sereinement les événements qu’elle met sur notre chemin.
Origine et entretien de l’illégitimité conditionnelle
La socialisation primaire est l’acquisition, dans l’enfance, de la capacité à vivre en groupe, et la définition progressive de la personnalité de l’individu au travers de l’interaction avec les autres. Cette étape est fondamentale dans la structuration de la confiance que l’on a en soi. Un manque de signes de reconnaissance positifs, une accumulation de remarques négatives et cette confiance en soi va être fragilisée, avec la construction progressive de croyances limitantes sur soi et sur ses capacités. Par exemple : « Je dois être parfait pour réussir » ou « Les autres sont toujours meilleurs que moi » ou « Je dois plaire à tout le monde pour réussir ».
La socialisation secondaire est le façonnage de cette personnalité au fil de l’existence par le biais de la confrontation avec des situations « professionnelles » (études, stages, premier poste, travail en équipe, organisation et planification, interactions avec ses pairs sur les réseaux sociaux, etc.) et des situations personnelles (amitié, conjugalité, parentalité, spiritualité, etc.). Les croyances limitantes qui ont pris forme dans l’enfance vont alors être renforcées, converties ou atténuées par les interactions avec les autres et surtout par le résultat de celles-ci.
Dans le cas où les situations rencontrées (en début de parcours professionnel, notamment) génèrent beaucoup d’émotions négatives (la peur, entre autres) et dans le cas où les résultats des décisions prises sont l’objet de jugements pénalisants (reproches, critiques, accusations, comparaisons, injonctions, etc.), les croyances limitantes vont donner naissance à des pensées automatiques subconscientes, c’est-à-dire qui arrivent spontanément à l’esprit mais que l’on n’est pas en mesure de verbaliser sans y réfléchir sereinement.
Pour reprendre les exemples précédents, ces pensées vont être « Si ce que je fais n’est pas parfait, ça ne vaut pas la peine d’essayer », ou « Les autres ont plus de talents, plus d’intelligence que moi, qui ne suis pas au niveau », ou « Si je ne fais pas plaisir à tout le monde, je vais échouer socialement ou être rejeté(e) ».
Outre le fait de générer des émotions intenses qui peuvent aller jusqu’à paralyser la capacité à décider et à agir en situation, ces pensées automatiques sont consommatrices d’une énorme énergie psychique, ce qui, à force de se répéter, va épuiser mentalement et parfois s’exprimer physiquement (somatisation), affectant de façon importante la vie professionnelle de la personne, dégradant ses performances et sa plénitude au travail, compliquant ainsi le syndrome de l’imposteur initial.
Bien que ce syndrome soit présent et décrit partout dans le monde, certaines cultures favorisent son émergence et son installation. Ainsi, les pays qui ont des systèmes éducatifs solidement ancrés sur la conformité à des normes, qu’elles soient explicites (lois, règlements, morale, etc.) ou implicites (tradition, valeurs, etc.) vont entretenir les processus de comparaison entre les individus et d’indexation de leurs choix sur une attente sociale et professionnelle préétablie. Toute déviation à cette norme fera l’objet d’un recadrage sous forme de jugement du choix ou des comportements de l’autre.
Ces cultures ne permettent pas l’émergence de modes de pensée alternatifs, créatifs. Cette stigmatisation du moindre écart à la moyenne va être un puissant inducteur du sentiment d’illégitimité conditionnelle (syndrome de l’imposteur). À l’inverse, les cultures (sociales ou organisationnelles) moins normatives et moins répressives ayant intégré l’acceptation de la différence et la résolution de problèmes favorisent l’émergence de l’autonomie cognitive et réduisent le risque de survenue du syndrome d’illégitimité conditionnelle.
Reconsidérer sa légitimité
La réassurance est-elle un moyen efficace pour aider quelqu’un à sortir de cette construction mentale ?
La réassurance est, de prime abord, un élan de générosité de la part de l’entourage. Ne sachant pas comment aider la personne qui se juge illégitime (et qui généralement peine à mettre des mots précis sur cette difficulté personnelle), les autres ont tendance à user de mots d’encouragement et de réconfort sous toutes ses formes. Si l’empathie ainsi exprimée diminue transitoirement l’anxiété, elle ne traite pas le fond de ce mécanisme, voire l’aggrave de façon tout à fait involontaire. En effet, en utilisant des expressions telles que « Ça va aller », « Courage », « Tiens bon », « Tu vas t’en sortir », les collègues ou amis actent du fait qu’il y a un problème et que le sujet souffrant du syndrome de l’imposteur a raison de s’en inquiéter, ce qui conforte son sentiment d’illégitimité (voir tableau).
Passer de l’illégitimité conditionnelle à la légitimité conditionnelle
Le passage de l’illégitimité conditionnelle à la légitimité inconditionnelle repose sur un processus de transformation personnelle, où l’on apprend à se libérer des croyances limitantes et à s’ancrer dans une confiance fondamentale en soi.
Pour cela, 4 étapes seront nécessaires. Tout d’abord, il nous faut prendre conscience de ce complexe de l’imposteur et le reconnaître pour ce qu’il est : un schéma de pensée limitant qui n’a pas de fondement objectif mais qui stéréotype nos émotions et nos comportements. Prendre conscience également des voix internes qui jugent, critiquent ou dévalorisent, ce qui est essentiel pour commencer à les questionner. Souvent, comme nous l’avons vu plus haut, ces jugements proviennent de peurs intériorisées depuis l’enfance ou de pressions sociales renforcées avec le temps, et avec les rencontres et les expériences négatives. Elles sont donc solidement arrimées à notre identité (professionnelle mais aussi personnelle), qu’elles « essentialisent », c’est-à-dire qu’elles semblent définir dans sa nature de façon immuable.
Une fois les pensées automatiques et les croyances irréalistes qui nourrissent le syndrome de l’imposteur identifiées, l’accompagnant va aider la personne à reformuler sa narration intérieure et à redéfinir son rapport à elle-même. Cette étape 2 se fait en 2 à 3 séances d’1 heure et implique de se détacher des attentes externes pour embrasser l’idée que l’on est légitime en tant que personne, indépendamment de nos succès ou de nos échecs mais, de façon pragmatique, du fait de notre formation, de notre expérience et de notre envie fondamentale de bien faire notre travail.
Cette étape peut notamment utiliser les bases de la philosophie stoïcienne pour reconstruire la réalité perçue et aider à la rendre plus aidante pour notre vie professionnelle. La philosophie stoïcienne nous rappelle en effet que ce ne sont pas les faits bruts qui nous troublent mais la représentation que l’on s’en fait, qu’elle appelle upolepsis. Les upolepsis sont des jugements de valeur ou des jugements de type « catastrophisation » plaqués sur des faits bruts désagréables ou inconfortables, produisant une réalité construite génératrice d’une souffrance aussi artefactuelle qu’inutile.
En apprenant à reconnaître ces upolepsis, on accepte progressivement de déconstruire le prisme dysfonctionnel qui nous amenait à surinterpréter des événements, à nous juger sévèrement et à nous infliger ce sentiment d’illégitimité. En regardant les faits sous un autre angle, on s’autorise à ne pas être parfait, ce qui va désamorcer le jugement et développer lentement une confiance en nos capacités.
Ces étapes 1 et 2 de prise de conscience et de déconstruction/reconstruction des croyances limitantes peuvent être réalisées par différents types d’outils. L’un d’entre eux est appelé « ABCDE d’Ellis » (voir encadré). Il est préférable de se faire accompagner dans cette démarche, car il n’est pas rare qu’elle soit assez éprouvante émotionnellement et qu’elle aille chercher des blessures identitaires mal (ou pas) cicatrisées qui peuvent provoquer un profond inconfort. Elle se fait en 1 à 2 séances de plus en général.
L’étape 3 est la responsabilisation. Il s’agit d’accepter qu’en toute circonstance notre rôle est d’influencer les résultats de nos actions, le plus possible et de la manière la plus conforme à nos attentes, tout en reconnaissant que ces résultats ne dépendent pas toujours uniquement de nous et que nous l’acceptons. Dans le cas des soignants, il s’agit d’une forme de traduction de l’obligation de moyens : mettre en œuvre le maximum pour apporter les soins les plus appropriés au patient, les plus conformes aux bonnes pratiques et à l’état de l’art, dans la mesure de ce que nous sommes en capacité de fournir dans le contexte qui est le nôtre, sans toutefois garantir le résultat qui n’est pas exclusivement sous notre contrôle. Ces 3 premières étapes relèvent du domaine cognitif.
L’étape 4 finale relève, elle, du domaine comportemental et consiste à passer à l’action avec courage : agir, même avec des doutes, renforce l’idée que l’on est capable et que l’on peut faire face aux défis. Ce sont les actes qui nourrissent la conviction de ce dont on est capable sans avoir besoin de prouver continuellement sa valeur. Cette étape est aussi difficile que la prise de conscience mais tout aussi fondamentale.
Ce cheminement transforme la peur et le sentiment injustifié d’imposture et d’illégitimité conditionnelle en une affirmation sereine de soi et de ses capacités, indépendamment des circonstances, c’est-à-dire en une légitimité inconditionnelle.
Une libération possible
Le syndrome de l’imposteur est une condition psychologique qui peut être invalidante professionnellement, et qui génère une anxiété chronique. Heureusement, il est possible de la travailler, ce qui peut conduire à son atténuation ou même à sa disparition.
On notera qu’il existe le « syndrome » inverse : certaines personnes acceptent des postes ou des responsabilités sans avoir les compétences requises et sans chercher à acquérir les savoirs nécessaires. Ce comportement relève de l’effet Dunning-Kruger, un biais cognitif bien connu où un sujet surestime ses capacités, par méconnaissance de ses propres limites et par manque de métacognition, c'est-à-dire par manque de capacité à réfléchir à sa propre pensée, le rendant incapable de reconnaître sa propre incompétence.
L’ABCDE d’Ellis
L'ABCDE d'Ellis est un modèle utilisé en coaching cognitivo-comportemental pour aider les individus à identifier, comprendre et modifier leurs pensées, émotions et comportements.
- A pour Activating event (événement déclencheur) : c'est l'événement ou la situation qui déclenche une réaction émotionnelle ou comportementale. Par exemple, un conflit au travail, une critique ou un échec.
- B pour Beliefs (croyances) : ce sont les croyances, pensées ou interprétations que l'individu a à propos de l'événement déclencheur. Ces croyances peuvent être rationnelles ou irrationnelles. Par exemple, « Je dois toujours réussir, sinon je serai l'incarnation de l’échec ».
- C pour Consequences (conséquences) : ce sont les conséquences émotionnelles et comportementales qui découlent des croyances. Par exemple, une croyance irrationnelle peut conduire à des émotions négatives intenses comme l'anxiété, la dépression ou la colère.
- D pour Disputation (débat ? dialogue ?) : c'est l'étape où l'individu remet en question et débat les croyances irrationnelles. On examine la validité des croyances, en se demandant si elles sont logiques, réalistes ou utiles.
- E pour Effects (effet ou nouvel effet) : cette étape concerne les effets positifs qui résultent de la modification des croyances. Une fois que les croyances irrationnelles sont remplacées par des croyances plus rationnelles et constructives, les émotions et les comportements deviennent plus sains et adaptés.
* Modèle développé par Albert Ellis, psychologue américain