Infectiologie
FORMATION MIXTE
Auteur(s) : Jean-Paul Delhom Article rédigé d’après la conférence donnée par Jean-Yves Madec (directeur scientifique antibiorésistance de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) lors de la journée technique des groupements techniques vétérinaires (GTV) Bourgogne-Franche-Comté, le 17 octobre 2024 à Beaune.
Il y a peu de résistances bactériennes en pathologie mammaire, mais le sujet est d’importance compte tenu du contexte global. Pourra-t-on encore se soigner dans l’avenir ? Le docteur Keiji Fukuda, sous-directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), disait à ce sujet en 2014 que « le monde s’achemine vers une ère postantibiotique, où des infections courantes […] pourraient à nouveau tuer ». La mortalité due aux septicémies à Staphylococcus aureus est passée de 82 % en 1941 à 20 % en 1947 grâce à la découverte de la pénicilline. Pour les médecins, l’importance des antibiotiques est énorme, tandis qu’en élevage les vétérinaires peuvent recourir à la réforme des animaux.
Dans une étude de 2014, les chercheurs estiment1 que l’antibiorésistance provoquera plus de mortalité vers 2050 que les cancers, et ce, principalement en Afrique et en Asie. Va-t-on voir ce phénomène arriver ou s’agit-il d’une pandémie silencieuse ? Le portage sain de bactéries résistantes est variable en fonction des pays (7 % à Paris, 60 % en Thaïlande)2. De plus, en ce qui concerne les entérobactéries résistantes aux céphalosporines de dernières générations, on estime qu’à travers le monde un milliard de personnes les hébergent, sachant que le risque de transmission varie en fonction des pays. Une étude algérienne3 a montré que 25 % des kebabs examinés étaient BLSE positifs, or les BLSE (bêtalactamases à spectre élargi) engendrent la résistance à la majorité des bêtalactamines.
Facteurs favorisant l’antibiorésistance
Comment maîtriser la pollution de l’environnement ? Si l’antibiorésistance est un phénomène bien étudié chez l’humain et chez l’animal, sa diffusion dans l’environnement est moins connue. Pourtant, certains gènes de résistance qui posent actuellement problème en médecine humaine proviennent de bactéries de l’environnement. Selon une étude de 2020, un centre de soins d’animaux sauvages4 voit en moyenne 25 % des individus recueillis devenir BLSE positif pendant leur séjour. Quel sera l’impact à leur retour dans la nature ? Une bactérie Salmonella enterica, productrice de carbapenemase, a par exemple été retrouvée chez un rapace5. En Inde, une concentration importante (31 mg/l) de ciprofloxacine a été relevée dans une rivière proche d’un lieu de production.
Par ailleurs, la mondialisation semble être au service de l’antibiorésistance. Suite à l'augmentation des échanges commerciaux, la prévalence de Staphylococcus aureus résistants à la méticilline (Sarm) au sein des élevages de porcs est ainsi passée en France de moins de 3 % en 2008 à plus de 40 % en 20216. De même, en filière poulet de chair, la vente de poussins anglais (traités à la céphalosporine) au Danemark – qui n’utilise pas ce produit pour les volailles – a introduit la résistance à cet antibiotique7 sur le territoire. L’usage dans un pays affecte donc la résistance dans un autre pays. L’acquisition de l’antibiorésistance se fait aussi parfois au cours de voyages, ou peut apparaître avec l’utilisation de désinfectants (triclosan) ou de produits altérant l’ADN.
Le « sans antibiotique » est-il une solution pour éviter la propagation de l’antibiorésistance dans l’environnement ? La loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, adoptée le 11 septembre 2014, et ses différents arrêtés et décrets ont défini un plan national de réduction des risques d’antibiorésistance en médecine vétérinaire en établissant les bonnes pratiques d’emploi des antimicrobiens. Pour la profession vétérinaire, les résultats obtenus sont très bons, car l’exposition aux antibiotiques a diminué de 52 % en 2022 par rapport à 2011. De plus, depuis l’entrée en vigueur de la réglementation européenne définissant de nouvelles mesures de restriction d’usage, on a observé une importante diminution du tonnage d’antibiotiques vendus. De fortes réductions d’exposition aux antibiotiques les plus critiques ont été relevées (- 88 % pour les fluoroquinolones, - 95 % pour les céphalosporines, - 79 % pour la colistine), même si cette réduction était moins marquée en médecine des animaux de compagnie. En effet, après une baisse de 19,5 % entre 2011 et 2016, le niveau d’exposition des chiens et des chats aux antibiotiques a augmenté ces dernières années (+ 21 %). L’objectif du plan EcoAntibio 3 sera donc de réduire de 15 % ce niveau d’exposition.
De nombreuses données d’épidémiosurveillance de l’antibiorésistance
Résapath est un réseau d’épidémiosurveillance de l’antibiorésistance des bactéries pathogènes animales. Les données sont en accès libre. Selon celles-ci, sur 12 268 antibiogrammes de bovins analysés dans 85 laboratoires de 84 départements (bovins adultes : 42 % ; jeunes animaux : 40 % ; âge inconnu : 18 %), les principales bactéries retrouvées étaient Escherichia coli (35 %) et Streptococcus spp (24 %), pour une très grande majorité de mammites (94 %). Les souches d’E.coli de pathologies digestives concentrent l’essentiel de la résistance, surtout à l’amoxicilline, à la streptomycine et aux sulfamides. En ce qui concerne les souches isolées de mammites, elles sont résistantes à l’amoxicilline et à l’amoxicilline/acide clavulanique dans 52 % des cas. Les résistances sont stables depuis 2022, et les multirésistances se retrouvent principalement chez les adultes. Les pasteurelles bovines, quant à elles, sont très largement sensibles aux bêtalactamines, et la résistance à la streptomycine est élevée (67 %) mais en baisse. La majorité des staphylocoques est retrouvée lors de mammites (92 %) et la résistance la plus fréquente concerne la pénicilline (22 %). Pour les Streptococcus spp, ils sont peu résistants à la gentamicine (2 %), et l'on observe une augmentation de la résistance à l’érythromycine (+ 6 %) depuis 2022. Enfin, en France, les germes responsables de mammites sont plutôt sensibles à très sensibles aux antibiotiques.
La résistance à E.coli est quasi absente pour tous les antibiotiques, sauf pour les premières générations de bêtalactamines, de streptomycine, de sulfamides et de tétracycline (20 %). Pour Streptococcus uberis, la résistance porte sur la steptomycine, les macrolides, les sulfamides et les tétracyclines (25 %). Par ailleurs, le veau de boucherie est un réservoir d’antibiorésistance. Ainsi, en atelier d’engraissement le taux d’antibiorésistance passe de 20 à 67 % avec 56,7 % des veaux qui se contaminent à la ferme. La contamination est persistante dans l’exploitation. Aucune pratique d’élevage ne se dégage comme facteur de risque. La présence de la même souche dans plusieurs élevages laisse supposer une contamination entre établissements. Toutefois, des progrès sont à souligner. Le fond résiduel significatif d’antibiorésistance est probablement lié à des aspects généraux de biosécurité en exploitation mais aussi lors des transports.