Bien dépister les affections héréditaires cardiaques félines - La Semaine Vétérinaire n° 2065 du 07/02/2025
La Semaine Vétérinaire n° 2065 du 07/02/2025

Génétique

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Par Marie Abitbol, Étienne Mousset et Caroline Dufaure de Citres

Parmi les six variants identifiés pour la myocardiopathie hypertrophique féline, seuls deux d'entre eux présentent un intérêt pour le dépistage chez le maine coon et le ragdoll, a confirmé une étude. Pour les autres races et les chats de maison, le dépistage par échocardiographie est recommandé.

Les affections cardiaques acquises et héréditaires sont fréquentes chez le chat. La maladie la plus couramment rencontrée est la myocardiopathie hypertrophique (ou HCM, pour Hypertrophic CardioMyopathy) : on estime qu'entre 3 et 15 % des chats en sont atteints. L'HCM peut être acquise ou d'origine génétique. Parmi les affections héréditaires cardiaques félines, seule l'HCM a fait l'objet de recherches qui ont abouti à l'identification de variants génétiques associés à la maladie. Plusieurs études ont évalué la corrélation génotype-phénotype pour les tests génétiques disponibles dans le commerce. Mais c’est une étude1, publiée en février 2024, qui permet aujourd’hui de véritablement conforter les pratiques. On fait le point.

Des premières recherches de mutations

Pour rechercher des mutations responsables d'affections héréditaires félines, deux grandes stratégies sont envisageables : les approches pangénomiques, qui ne font aucune hypothèse sur le gène recherché et visent à cribler tout le génome pour une recherche exhaustive ; les approches gène-candidat, qui se focalisent sur un ou quelques gènes du fait de leur intérêt majeur pour le caractère étudié. Dans le cas des recherches menées pour l'HCM féline, les deux premières mutations mises en évidence, en 2005 chez le maine coon et en 2007 chez le ragdoll, ont été identifiées grâce à une approche gène-candidat. Le gène en cause dans les deux races, appelé MYBPC3 (Myosin Binding Protein C3), était déjà connu pour être impliqué dans l'HCM humaine. Les deux mutations ont été appelées A31P chez le maine coon et R820W chez le ragdoll. Par la suite, les recherches de mutations d'HCM, par approche gène-candidat reposant sur les données acquises chez l'humain, se sont poursuivies dans diverses races, sans succès jusqu'en 2019, date à laquelle un variant dans le gène MYH7 (Myosin Heavy Chain 7) a été découvert chez un chat de maison. Notons qu'un troisième variant, appelé A74T, a été découvert dans le gène MYBPC3, qui s'est par la suite révélé non associé à l'HCM (voir ci-après).

C'est l'avènement des techniques de séquençage haut débit des génomes qui a permis de découvrir de nouveaux variants potentiellement associés à l'HCM féline. Ces variants ont été identifiés chez des sphynx : variant du gène ALMS1 (ALMS1 Centrosome And Basal Body Associated Protein) et chez un maine coon : variant du gène TNNT2 (Troponin T2). Notons qu'à ce jour aucun variant associé à l'HCM féline n'a été identifié à l'aide d'une approche pangénomique, soulignant ainsi le caractère complexe de l'affection, qui n'est pas monogénique.

Des études de corrélation génotype-phénotype

Les études généalogiques menées chez les races touchées par l'HCM ont initialement identifié un mode de transmission autosomique dominant à pénétrance incomplète et une apparition parfois tardive dans la vie du chat. Il en résulte une difficulté de prodiguer un conseil génétique en élevage, certains chats prédisposés génétiquement à l'HCM n'en exprimant pas les symptômes mais pouvant la transmettre à leur descendance. La mise en évidence des variants A31P chez le maine coon et R820W chez le ragdoll a permis de dépister génétiquement les chats et d'évaluer la corrélation génotype-phénotype. Cette corrélation est la donnée essentielle qui permet d'apprécier le risque d'HCM associé à chaque variant génétique, de juger de la pertinence d'un test ADN et d'en interpréter le résultat.

Les études menées chez le maine coon et le ragdoll ont montré que, pour les variants A31P et R820W, la corrélation génotype-phénotype était moyenne et que ces variants étaient des facteurs de risque pour l'HCM, mais pas des variants causaux au sens strict. Un consensus s'est dégagé sur le risque accru d'HCM chez les chats homozygotes mutés dans ces deux races, les hétérozygotes semblant finalement peu prédisposés, contrairement à ce que les premières études avaient suggéré. Le variant A74T a montré une absence d'association avec l'HCM et a été considéré comme un polymorphisme sans relation avec la maladie.

Une nouvelle approche plus précise pour caractériser les variants

En février 2024, un consortium rassemblant plusieurs équipes de cardiologues et de généticiens félins a publié un article visant à caractériser les six variants d'HCM féline en suivant la nomenclature de l’American College of Medical Genetics and Genomics (ACMG). Cette méthode est actuellement utilisée pour les variants génétiques humains2. Le protocole d'analyse inclut des résultats génotypiques, phénotypiques et d'analyses in silico qui permettent de classer chacun des variants génétiques comme : pathogène, probablement pathogène, de signification inconnue, probablement bénin, et bénin. Et ce n’est que lorsqu’un variant est classé comme pathogène ou probablement pathogène qu’il devient pertinent de le tester génétiquement.

L’étude a été menée sur cinq races : maine coon, ragdoll, sphynx, british et devon rex. Les fréquences alléliques pour les six variants ont été évaluées sur plusieurs milliers d'individus. Les génotypes et le phénotype établi par échocardiographie de 92 maine coons, 16 ragdolls, 84 sphynx, 29 british et 25 devon rex ont été utilisés pour calculer les odds ratios (ou risques relatifs), évaluer l'association avec l'HCM et classer les six variants. L'âge médian des chats atteints était de 4 ans (0,25 - 16,5 ans). L'âge médian des chats indemnes était de 8ans (6,00 - 23,00 ans), un âge volontairement avancé, l'HCM pouvant se déclarer tardivement dans la vie des chats. Le calcul des odds ratios a montré que seuls le variant A31P chez le maine coon et le variant R820W chez le ragdoll étaient significativement associés à l'HCM, plus précisément le génotype homozygote muté chez le maine coon et les génotypes homozygote muté et hétérozygote chez le ragdoll. Le risque pour le variant de MYH7 n'a pas pu être évalué, le variant s'étant révélé extrêmement rare. Notons que l'absence d'association entre le variant de TNNT2 et l'HCM avait déjà été mise en évidence deux ans plus tôt.

Ainsi, l'utilisation des critères de l'ACMG aura ensuite permis de classer les variants :

- pathogènes : variants A31P du maine coon et R820W du ragdoll (gène MYBPC3) ;

- probablement pathogènes : variant du gène MYH7 identifié chez un chat de maison ;

- signification inconnue : variant A74T du gène MYBPC3, variants des gènes ALMS1 (Sphynx) et TNNT2 (maine coon).

Un test pour telle race

Ces données confirment que seuls les tests ADN disponibles pour les races maine coon et ragdoll présentent un intérêt certain. Pour les autres races et les chats sans pedigree, la réalisation d'échocardiographies régulières est actuellement le seul moyen de dépistage disponible. En pratique :

- Le variant A31P chez le maine coon présente donc un intérêt en dépistage, le risque de développer une HCM chez les chats homozygotes mutés étant significatif. Le test ADN développé à partir de ce variant est commercialisé par de nombreux laboratoires depuis plus de quinze ans. Le test est appelé HCM-MC, HCMmc, HCM-1 ou HCM-A.

- Le variant R820W chez le ragdoll présente également un intérêt en dépistage, les chats hétérozygotes et homozygotes mutés ayant un risque accru de développer une HCM, comparé aux chats homozygotes sauvages. Le test est appelé HCM-R, HCMrd, HCM-3 ou HCM-C.

Ces tests HCM-MC et HCM-R sont utilisables en dépistage, mais pas pour le diagnostic.

- Le variant du gène MYH7 classé comme probablement pathogène a été identifié chez un chat de maison et semble extrêmement rare. Son intérêt en dépistage chez les chats de race est donc quasi nul.

- Les autres variants ne présentent pas d'intérêt à ce jour et leur utilisation en dépistage peut conduire à des erreurs de suivi clinique des chats, faussement classés comme « à risque » ou au contraire « non à risque » vis-à-vis de l'HCM. De plus, en élevage, cela peut conduire à une perte de diversité génétique si l'on écarte des schémas de sélection les individus porteurs de ces variants.

Cependant, chez le maine coon, comme chez le ragdoll, les tests ADN ne suffisent pas. Ils doivent impérativement être complétés par des échocardiographies, dont le rythme dépendra du statut génétique du chat. L'HCM est une affection complexe, due à de nombreux facteurs génétiques, et les mutations A31P et R820W ne sont que des variants de prédisposition. Actuellement, la recherche en génétique féline se poursuit, afin d'identifier de nouveaux variants associés à l'HCM.

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