De nouvelles pratiques pour un élevage plus vertueux - La Semaine Vétérinaire n° 2065 du 07/02/2025
La Semaine Vétérinaire n° 2065 du 07/02/2025

DOSSIER

Auteur(s) : PAR CHANTAL BÉRAUD

Un courant anti-viande existe désormais en France. Ne vaudrait-il pas mieux raison garder, puisque, sans en exagérer les vertus, certaines formes de polyculture-élevage contribuent aussi à la bonne santé de l'environnement ? La piste d'une contribution des praticiens vétérinaires vaut d'être explorée dans un contexte où l'agroécologie prend tout son sens.

En 2024, l’élevage en France représentait 145 000 fermes – soit 37 % des exploitations –, avec 17,6 millions de bovins, 13,7 millions de porcins et 157,6 millions de volailles1. Le secteur de l’agriculture est à l'origine de 18,7 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) sur le territoire, l’élevage y contribuant à hauteur de 59 %2. Mais dans son dossier de 2024 intitulé « L’élevage face aux défis du changement climatique », l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) note que « les animaux d’élevage, tout en nous approvisionnant en aliments de qualité, jouent un rôle majeur dans la transition vers les systèmes agroécologiques par les services qu’ils fournissent : valorisation de la biomasse et de coproduits non comestibles par les humains, fertilisation organique des sols limitant le recours aux engrais minéraux et de synthèse, préservation des prairies permanentes qui sont d’importants puits de carbone, entretien des paysages et biodiversité associée ».

Le coup de cœur de Jeanne Platz

La vétérinaire Jeanne Platz (A 15) a fondé Biodiveto3, avec pour objectif de proposer des formations sur la transition écologique. Des modules spécifiques ont été créés pour les praticiens suivant des animaux de production. Elle y aborde notamment les évolutions attendues de l’élevage pour maintenir son attractivité et pour répondre aux objectifs réglementaires, actuels et à venir (stratégie nationale bas carbone, bien-être animal, santé des éleveurs et des consommateurs, érosion de la biodiversité, pollutions, etc.). Le tout dans une logique « Une Seule Santé ». Dans sa newsletter d’avril 2024, elle rend compte de son entretien avec un éleveur de vaches nantaises, une race rustique particulièrement bien adaptée à la Loire-Atlantique et à ses zones humides – zones qui, en revanche, déplaisent aux autres races dites classiques. « Les conditions d’élevage y favorisent la biodiversité : agriculture biologique sans intrants chimiques ; alimentation majoritairement à l’herbe qui permet le maintien des prairies naturelles (avec donc peu ou pas de concentrés) ; agroécologie favorisée via le maintien de haies, de mares, d'arbres, de cours d’eau, etc. Il y a aussi une organisation en pâturage tournant dynamique avec un chargement (nombre de bovins par surface) adapté pour éviter le piétinement des sols et le surpâturage (0,75 UGB /hectare) », décrit Jeanne Platz. Qui poursuit : « Quant aux veaux, ils sont bien loin des conditions d’élevage classiques. Pas d’écornage ou d’ébourgeonnage en routine, ils sont élevés avec leurs mères, avec un accès aux prairies. Cela évite les risques d’anémie, fréquents chez leurs homologues conventionnels. La conséquence ? Une viande plus rosée que blanche, à laquelle il faut sensibiliser le consommateur. »

Une démarche encore minoritaire

Parmi les défis à relever figure notamment une meilleure rémunération des éleveurs pour leur préservation des milieux, corrélée, constate Jeanne Platz, à la nécessité de trouver d’autres manières de travailler, « pour gérer souvent seul une surface qui occupait toute une famille au début du XXe siècle ! » Une tâche qui reste immense, puisque, selon les chiffres d’un rapport du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, en deux ans nous avons planté en surfaces de haies en France ce que l’on perd en quatre mois, l’arrachage de haies continuant « hors des radars », lié au processus en cours de concentration des fermes4.

Les travaux de Josselin Andurand

Formateur et officiant au service climat du département Environnement de l’Institut de l’élevage (Idele), l'ingénieur agronome Josselin Andurand participe depuis de nombreuses années à l’élaboration d’une stratégie bas carbone en filière bovins, de l’échelon européen jusqu’à celui des territoires. Il a notamment piloté le projet « Life Beef Carbon » et calcule aujourd’hui que, « via l’outil CAP’2ER, quelque 25 000 diagnostics ont déjà été réalisés sur des fermes françaises ». Et d’expliquer : « Je travaille de concert avec des conseillers agricoles qui, eux, sont sur le terrain. Pour une optimisation technique de l’exploitation, tout ce qui rentre et tout ce qui sort est comptabilisé. Toutefois, vouloir considérer le système de polyculture/élevage uniquement sous le prisme du carbone est une monumentale erreur ! Car l’élevage de ruminants permet une diversité des espèces végétales cultivées sur la ferme, favorise la biodiversité et demande moins d’intrants d’engrais chimiques ou d’utilisation de produits phytosanitaires. Et si l’on favorise une rotation des cultures avec une implantation de prairies permanentes sur un cycle de trois à cinq ans, il se crée une sorte de vide sanitaire favorable à la santé végétale et animale, avec un moindre développement de pathologies. » L’autre avantage est qu'avec ce genre d’alimentation les vaches émettent aussi moins de méthane, ce qui est important car ledit méthane réchauffe l’atmosphère 27 fois plus que le CO2 ! Josselin Andurand estime que « l’exploitation stocke ainsi un tiers de ce qu’elle émet, grâce aux haies et aux prairies. Ces dernières ont aussi un impact positif sur la qualité de l’eau, puisqu'elles agissent comme un filtre protecteur par rapport aux engrais azotés qui sont épandus au sol. L’érosion est en outre limitée en cas de fortes pluies ».

Vers une conduite différente des troupeaux

« Actuellement, poursuit Josselin Andurand, de grands acteurs de l’agroalimentaire nous encouragent à faire encore des progrès pour pouvoir dire que l’empreinte carbone de chaque kilo de viande ou de chaque litre de lait produit est sur une dynamique de diminution. Pour y parvenir, il faut par exemple éviter d’avoir des vaches improductives. L’idéal est d’avoir un veau produit par vache et par an. Quant à l’âge du premier vêlage, il peut intervenir à 2 ans au lieu de 3 si l’animal a le bon poids type. Avoir des veaux en bonne santé est aussi primordial. » C’est dans ce domaine en particulier que peut intervenir un conseil vétérinaire adapté. « Par ailleurs, constate l'ingénieur agronome, par le “simple” fait d'aller soigner des animaux, le praticien contribue grandement à l’amélioration du bilan carbone, en faisant chuter les taux de mortalité ou de baisse de rendements associés à des maladies ! Moins de mammites dans un troupeau signifie de même plus de lait ou moins de lait déclassé, etc. » Les vétérinaires peuvent donc intervenir sous l’angle de la nutrition, de la reproduction, de la génétique, de la santé du troupeau, de la lutte contre le parasitisme… si possible en coordination avec d’autres spécialistes (conseil végétal, zootechnie, conseil énergétique). « L’essentiel est que tout le monde diffuse aux éleveurs des messages allant dans le même sens », tient-il à préciser.

Questionner davantage les systèmes d’élevage ?

L'objectif national de parvenir à une diminution de 45 % des émissions de GES pour l’agriculture et pour l’élevage, à horizon 2050, reste d'actualité. « De 2015 à 2023, analyse Josselin Andurand, notamment via les programmes “Life Beef Carbon” et “Life Carbon Dairy”, l’empreinte carbone des fermes engagées dans ces programmes a diminué de 10 à 15 %. Mais aujourd’hui, pour aller plus loin, il faut beaucoup plus questionner les méthodes d’élevage, en privilégiant des systèmes plus herbagers ainsi que l’agroforesterie. Cependant, encore faut-il qu’il existe un équilibre financier pour ces systèmes… »

Une sélection sur d’autres critères

Un important travail de sélection génétique est à mener pour concevoir des races qui restent productives tout en émettant moins de méthane. Les facilités de vêlage et les qualités maternelles sont des caractéristiques génétiques qui induisent elles aussi de faibles émissions de GES. Des vaches un peu moins grandes présentent l’avantage de pouvoir être finies davantage à l’herbe. Enfin, une ration moins émettrice de méthane est envisageable si on leur donne des acides gras, des lipides ou certaines formes de fourrages riches en tanin. « Pour sensibiliser les vétérinaires à tous ces changements, j’ai par exemple été invité par la SNGTV à donner une conférence », explique Josselin Andurand. Qui ajoute : « Même si, évidemment, des accords de libre-échange tels que le Mercosur enclenchent partiellement une dynamique inverse, nous nous lançons, à l’Idele, dans les nouveaux projets que sont “Méthane 2030”5 et “Climate Smart Research”. »

Ne pas faire de l’élevage un bouc émissaire

On l’aura compris, envisager, comme l'a fait la Cour des comptes, de réduire de 50 % le cheptel bovin français pour diminuer les GES relève d’une simplification absurde et absolue. Se nourrir relève d’un besoin primaire fondamental, contrairement par exemple aux voyages en avion ou aux transports assurés par camions, deux secteurs en pleine expansion. Si l’élevage peut certes encore faire des progrès, il ne faudrait assurément pas aller jusqu’à le transformer en un bien trop commode bouc émissaire ! L'élevage ne continuera à progresser que si les agriculteurs sont conseillés, et encouragés à aller vers ce genre de changement, dans un contexte économique rendu favorable. 

Philippe Dumonthier, responsable formation à l’Idele

Des formations pour les vétérinaires

Nos formations s’adressent directement aux éleveurs, et indirectement aux praticiens vétérinaires, puisque des animaux en bonne santé sont synonymes d'élevages plus performants et à moindre impact environnemental. Parmi les centaines que nous proposons, celles susceptibles de les intéresser plus particulièrement concernent par exemple la qualité du lait (dont la maîtrise des gênes pathogènes). Pour le sujet des mammites, nous demandons parfois l’intervention d’un vétérinaire. Nous formons aussi des intervenants qui ont la tâche de former à leur tour des référents en bien-être animal. L’ambiance et la ventilation des bâtiments d’élevage, notamment pour maintenir le confort thermique en été, sont abordées au cours d'une formation de quatre jours. Quelquefois, des praticiens viennent pour se perfectionner en matière de conseil en alimentation. Ou pour apprendre à mieux accompagner les éleveurs (par exemple grâce à l'animation d'une réunion participative). Les formations mentionnées ci-dessus se déroulent généralement en présentiel, parce que la théorie est souvent suivie par la visite d’une exploitation. Il nous est déjà arrivé d’intervenir pour des groupes de vétérinaires, sachant que l’idéal est de rassembler une douzaine de participants.

Un résumé des progrès réalisés

L'Institut de l’élevage (Idele) a publié fin 2024 un dossier très fourni intitulé « Les chiffres clés de l’environnement en élevage de ruminants ». Celui-ci récapitule notamment les progrès enregistrés en France au cours des vingt dernières années, grâce aux changements de pratiques.

À lire sur https://urls.fr/djZiKj

Des élevages en cours de transition

Lors du dernier Salon des maires et des collectivités locales, la filière Bleu-Blanc-Cœur a reçu l’un des trophées du grand prix des Alliances durables. Dans ce cadre, la collectivité territoriale de Vitré Communauté accompagne et finance ainsi  36 éleveurs laitiers engagés dans une démarche Écométhane qui consiste à baisser de 15 à 20 % les émission de méthane, par le biais d'une meilleure alimentation équilibrée avec des plantes d’intérêt nutritionnel (oméga 3, antioxydants) comme le lin, la luzerne, la féverole… Les cuisines des cantines scolaires proposent par ailleurs des menus Bleu-Blanc-Cœur.

Autonomie alimentaire : vers plus de légumineuses ?

« En France, estime l'ingénieur agronome Josselin Andurand, en bovin viande, l'alimentation des animaux est assurée à 85 % par l’herbe produite sur l’exploitation. L’autonomie alimentaire est donc importante, même si l'on peut bien sûr continuer à l’améliorer. » Par exemple en cultivant en France de la luzerne, qui sert en outre de fertilisant naturel (lequel bénéficiera ensuite à une autre culture, comme le blé). On peut aussi cultiver du tourteau de colza plutôt que d’acheter du soja importé. C’est notamment dans ce sens que va le Plan protéines 2030.

En savoir plus sur : http://www.cap-proteines-elevage.fr

  • 1. Source : statistique agricole Graph’Agri-Agreste.
  • 2. Source : Citepa, rapport Secten 2024.
  • 4. Source : le sociologue Léo Magnin, sur France culture, en octobre 2024, à écouter sur https://urls.fr/4WbBII